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— Je comprends. Continue, Jules.

— Je les ai suivis jusqu’à l’hôtel Héliott.

— Porte de Vouivre ?

— Exactement. Ensuite, ils sont descendus dans les sous-sols. Je ne leur ai pas collé le train très longtemps ! Ça s’est mis à barder, là-dessous.

— À barder ?

— Genre grosse bagarre. Sur fond de hurlements de garou… Je suis sorti de l’hôtel et je vous ai appelée. Que voulez-vous que je fasse, mademoiselle Rose ?

— Rien. Tu restes où tu es et tu me préviens si un Anormal ou un Paranormal quitte l’hôtel.

— Vous n’allez pas aider Nina et Jasper ?

— Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que ta mission à toi était terminée. La mienne commence…

13, rue du Horla – Troisième étage – Appartement de mademoiselle Rose

— Ah ! Les choses se précisent, on dirait, sorcière. Depuis combien de temps n’as-tu pas revêtu ta tenue de combat ?

— Bien longtemps, démon.

— Je te préfère comme ça ! Tu révèles ta vraie nature, sauvage et violente.

— Ce ne sont qu’un pantalon en Kevlar et une côte de mailles en titane-argent, démon.

— Tu oublies les bottes en cuir, les gantelets de fer et le pistolet dans son étui sombre. Tu l’as chargé avec des balles thermoluminescentes ou des balles d’argent liquide ?

— Les deux. Vampires et garous sont les grands pénibles du moment.

— J’en conclus que Jasper n’est plus ta priorité…

— Il en fait partie. Mais la situation s’est compliquée.

— D’où le wakizashi que tu portes dans le dos, Sorcière ?

— Lame en alliage rare : antimoine et titane. Contre les démons de ton espèce ! Je ne sais pas encore à quoi je vais être confrontée.

— Pourquoi ne pas prendre d’ustensiles magiques, dans ce cas ?

— J’en emporte, démon. Je ne compte pas me balader en ville avec cet attirail sans un voile d’illusion. D’ailleurs, ce lourd bâton d’if chaussé de fer et casqué de plomb ne te rappelle rien ?

— Le tisseur de sorts…

— Inutile de reculer, démon, ce miroir n’a pas de fond. Et puis tu ne risques rien. Je t’ai déjà terrassé. Ce n’est pas mon genre de m’acharner sur un ennemi vaincu.

— Cet état d’esprit t’honore, sorcière ! Encore une fois, laisse-moi te remercier. Libère-moi et je combattrai à tes côtés !

— Plutôt avoir un troll en rut pour compagnon d’armes, démon.

— Comme tu veux, sorcière. Moi, j’essaye juste de t’aider. Est-ce que Walter se joindra à toi ?

— Walter reste malheureusement injoignable. Les événements se précipitent. Je ne peux pas me permettre de compter sur son retour…

— Quel dommage ! Pardon, je voulais dire : quel dommage… Mais qu’est-ce que tu fais, sorcière ?

— J’active le sort de destruction enchâssé dans le miroir, démon. Si je ne reviens pas pour le désamorcer, tu cesseras d’exister.

— Pourquoi, sorcière ?

— Tu es trop dangereux. Un sorcier maladroit ou inexpérimenté pourrait te laisser échapper. Mais assez bavardé, il est temps d’y aller.

— Garde-toi, sorcière ! Tu as tout ce qu’il te faut ? Je te trouve sous-équipée ! Tu devrais prendre un bouclier et aussi un… Eh ! Tu m’entends ? Bonne chance !

La dernière bataille de mademoiselle Rose

À quand remonte ma dernière véritable opération de terrain ? C’était il y a treize ans, si je me fie à ma mémoire et non à mes fiches. Nous nous rendions, Walter, le Sphinx et moi, à une importante réunion qui devait entériner un accord entre vampires et loups-garous – accord arraché au prix d’efforts diplomatiques acharnés : aux enfants de Nosferatu les centres-ville, à ceux de Lycaon les périphéries. Visiblement, cet arrangement n’était pas du goût de tout le monde. Nous rencontrâmes sur notre route un groupe de vampires et de garous ligués pour l’occasion. Il n’en resta pas un vivant. La signature de l’accord eut lieu comme prévu

J’eus le temps de voir le Sphinx exploser littéralement la figure d’un vampire avec son poing et égorger un garou d’un revers de poignard, tandis que Walter, à l’abri d’un mur de protection, invoquait des sphères de haute densité destinées à aveugler nos assaillants. Une horde vociférante se jeta alors sur moi. Un garou perdit ses griffes contre mes mailles en argent. Il ne hurla pas très longtemps : je le tuai avec mon sabre. J’évitai ensuite une attaque de vampire et ripostai en lui brisant une jambe avec mon bâton ferré. Tandis que le plomb du pommeau emmagasinait le sort que je tissais en psalmodiant, je dégainai mon pistolet et défouraillais dans le tas. Quand mon sort fut prêt, je fis signe au Sphinx qui se retira à l’abri de la protection érigée par Walter. Brandissant mon bâton d’if je lâchai les énergies mortelles qui foudroyèrent ce qui restait d’agresseurs.

Comme dit le poète, le combat cessa faute de combattants.

— Toujours dans la dentelle, hein Rose ? fut le seul commentaire de Walter.

— C’est pas juste, se plaignit le Sphinx. Je commençais seulement à m’amuser.

Walter. Sphinx. Votre ironie et votre humour vont me manquer, à l’heure où je repars seule sur le champ de bataille…

6

La pâle lumière qui éclaire la cage d’escalier et l’ascenseur s’estompe rapidement derrière moi au profit des ténèbres.

J’avance d’un pas prudent, touchant régulièrement le béton du mur, autant pour me rassurer que pour ne pas trébucher. Et je m’interroge sur ce sous-sol, qui semble n’avoir aucune raison d’être.

Le couloir, dans lequel je progresse à l’aveuglette, est totalement incongru. Où conduit-il ? Plusieurs réponses se bousculent et la plus sinistre me suggère que si l’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est également le seul endroit gardé par un cerbère monstrueux…

Tout en continuant d’avancer, je repense aux différentes phases de la bataille qui vient de se dérouler.

J’ai du mal à croire que c’est bien moi qui ai affronté – et vaincu ! – le loup-garou body-buildé. Mon collier protecteur ne suffit pas à tout expliquer, surtout après la faillite d’un autre de mes artefacts contre Lakej (l’anneau grésillant qui chatouille les loups-garous en les épilant…).

L’adrénaline ? Ridicule.

Les exhortations d’Ombe ? J’en doute.

Le pouvoir de Nina ? Peut-être.

Le visage de ma petite amie (je ne sais pas au juste quels sentiments elle a pour moi mais une chose est sûre : elle n’est pas très grande…) s’impose à moi. Ses confidences éclairent – à défaut du couloir où je manque de trébucher – plusieurs événements de la journée d’hier, à commencer par l’irrésistible envie de me précipiter à son secours malgré la présence de nombreux vampires, ainsi que l’impulsion idiote qui m’a incité à lui proposer l’hospitalité pour la nuit.

Pousser les autres à nous protéger… C’est quand même le pouvoir ultime !

Est-ce que ça aurait marché avec le garou ? Sans doute que non, autrement elle aurait essayé. Ça ne doit fonctionner qu’avec des Normaux.

Ou des Paranormaux.

Ou des garçons.

Voire des garçons qu’on a embrassés.

Je penserai à le lui demander quand je la reverrai !

Je suis heureux qu’elle soit restée avec Jean-Lu. Parce que mon courageux (et stupide) ami mérite de voir un ange à son réveil.

Et parce que les anges n’ont rien à faire en enfer.

Je ralentis le pas. L’obscurité s’épaissit. À cette allure – et en authentique Alamanyarien – je n’arriverai nulle part.