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Je maudis encore une fois le garou qui, en détruisant ma sacoche, m’a privé non seulement de mon matériel rituel, mais également d’une puissante lampe-torche.

J’envie Gandalf, éclairant avec le pommeau de son bâton de magicien le chemin de la communauté de l’Anneau dans les mines labyrinthiques de la Moria.

Je n’ai pas d’anneau. Je n’ai pas de bâton (un peu encombrant dans un environnement urbain). Mais je possède une gourmette magique !

Je la sors de ma poche, l’approche de mon visage et chuchote à l’attention de mon compagnon de bagarre lové dans sa nouvelle demeure :

— Fafnir Cala Fafnir ! Cala ! Fafnir ! Lumière !

J’espère qu’il a eu le temps de reprendre des forces. Sa folle intervention, tout à l’heure, m’a sauvé la vie mais l’a sûrement épuisé.

En réponse à ma sollicitation elfique, la chaînette se met à luire comme une veilleuse de nuit pour nourrisson, diffusant un faible halo bleuté.

Insuffisant pour éblouir un adversaire mais assez pour voir où je pose les pieds.

« D’accord, j’avoue : la magie a parfois du bon !

— Merci, Ombe. De mon côté, je reconnais que savoir cogner peut également s’avérer utile.

— Sympa, Jasp !

— À ton service. »

Me revoilà donc avec mes coéquipiers habituels : une fille fantôme qui parle dans ma tête et un sortilège qui adore les bijoux.

Je murmure encore à l’attention de ce dernier :

— Hantanyàl, ninya ancalima, curwinqua curunindil Hantanyël, ninya ancalima, curwinqua curunindil… Merci, mon très brillant, ami inventif du magicien…

Une brève variation dans l’intensité de la lueur signale que le message est passé, et qu’il a été apprécié.

Tant mieux.

« Quand le futur est en morceaux, il est important de rester soudés », a dit fort justement Gaston Saint-Langers.

Tenant la gourmette devant moi comme un pendule, je poursuis ma route dans le couloir en repoussant les ombres. Mes pas résonnent étrangement sur le sol dur et froid qui accuse une légère pente. Je suis en train de m’enfoncer sous terre.

Le béton disparaît progressivement au profit du rocher.

Je quitte le couloir pour un tunnel irrégulier, creusé à la main à une époque sans doute lointaine. Une odeur d’humidité me prend à la gorge.

En même temps, mon sixième sens de magicien se réveille. Je perçois des énergies foisonnantes et contradictoires, canalisées par les veines de quartz emprisonnées dans la roche. Je frissonne.

« Ça y est, Jasper ! Ça recommence à devenir intéressant !

— Tu ne veux pas plutôt dire flippant ?

— C’est pareil.

— Et avec le garou, Ombe, c’était quoi ? Amusant ?

— Instructif.

— Instructif ? Tu te fous de moi, là !

— Considère que c’était une épreuve et que tu l’as passée haut la main.

— Tu veux dire…

— Cette rencontre avec Lakej était un test.

— J’emploierais plutôt le mot “miracle” !

— Ta victoire est tout sauf un miracle. Tu as dévoilé un pan nouveau de ta personnalité. C’est pour ça que j’ai dit que c’était instructif. »

Je ne réponds rien. Ombe a raison (une fois de plus). Pas seulement à propos du Pan qui sommeille en moi ! J’étais vif et rapide pendant la bataille. Fort, aussi.

À cause de la magie de Nina ? De la gourmette enchantée ?

Dans ce cas, comment expliquer mes acrobaties sur la façade du manoir aux vampires et l’endurance inédite dont j’ai fait preuve dans le métro ?

Je change, c’est évident, même si je ne comprends ni comment ni pourquoi.

Et j’aime ce changement !

C’est tout ce qui m’importe pour l’instant.

Un premier embranchement ne me pose pas de problème puisque j’ai décidé de suivre le tunnel principal.

Par contre, j’hésite devant une fourche un peu plus loin.

Un couloir continue à descendre, l’autre à monter. Je choisis de descendre, écoutant mon instinct qui n’a – pour l’instant – jamais failli, ainsi que l’oscillation de mon pendule improvisé qui tourne seul.

— Un peu plus à l’ouest, je ne peux m’empêcher de murmurer.

J’ai vu juste car la galerie principale débouche sans crier gare sur une caverne immense.

Qui m’estomaque.

Un tel endroit n’a rien à faire là, dans le tréfonds de la capitale !

Je demande à Fafnir, dans un chuchotement, d’éteindre la gourmette pour d’évidentes raisons de discrétion…

Cette caverne a la taille d’un gymnase. Creusée dans la roche – comme les quelques galeries qui y débouchent – mais consolidée avec du béton.

Une roche irrégulière et un béton lisse, humide comme un mur de glace.

De gigantesques tentures rouges recouvrent une partie des parois et une multitude de flambeaux dans des torchères de métal se consument en projetant des lueurs aveuglantes.

L’ambiance est très Club Med (médiéval…).

Cela ferait une salle de concerts géniale ! En plus, les musiciens sont déjà là. Rassemblés au centre de la caverne, autour d’une table en pierre, dans de grands fauteuils métalliques.

Je m’accroupis dans un recoin d’ombre, le cœur battant.

Je les connais tous.

Il y a Siyah, le magicien noir qui a essayé de nous tuer, Ombe et moi.

Ainsi que Séverin, le vampire qui a voulu me saigner et dont j’ai brûlé le visage.

Et puis un loup-garou au visage mauvais, qui doit sûrement être…

« Trulez ! Sale bâtard, fils de chienne ! »

Ombe m’enlève les mots de la tête.

Quant au quatrième homme…

« Walter ?! » on s’exclame ensemble.

Oui, Walter, le chef de l’Association, vêtu d’un impeccable costume trois-pièces et arborant une magnifique cravate en soie, en compagnie des trois plus fameux salauds de la ville.

« Jasper… Tu penses qu’il est prisonnier ?

— Non, Ombe. Je ne pense pas. »

En effet, Walter semble parfaitement à son aise au milieu des crapules. Quant à la dizaine de lycans postés dans la caverne, ils ont davantage l’air de gardes du corps que de geôliers.

« Soit Walter possède un sang-froid extraordinaire et joue parfaitement la comédie, soit il est passé du côté obscur.

— Je penche pour la deuxième option. Regarde son costume, Jasp : on dirait un dandy !

— C’est pour ça que j’ai eu un moment d’hésitation avant de le reconnaître…

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— J’en sais rien, Ombe, j’en sais foutrement rien. »

Plus que ça : je suis carrément paumé.

Car, en observant l’incroyable scène avec attention, je remarque non seulement que Walter ne paraît pas gêné par ses voisins de table, mais qu’en plus ceux-ci lui manifestent un respect très (trop ?) marqué.

— Walter…, je murmure, trop médusé pour laisser la tristesse m’envahir.

Un détail, un petit détail haut comme trois pommes, me saute soudain aux yeux : Otchi n’est pas là. Cette absence me déstabilise autant que la présence de Walter à la table de pierre.

« Tu es sûre que tu ne peux pas me pincer, Ombe ?

— Oui, hélas. Et crois-moi, Jasper, je suis la première à le regretter !

— À ton avis, qu’est-ce que je dois faire ?

— Rien.