Walter, lui, se lève d’un bond, plus blanc qu’un linge.
Bon sang, mais c’est qui, ce sorcier ? On dirait que je suis le seul à l’ignorer !
Otchi n’esquisse pas le moindre geste pour échapper à l’étreinte des gardes. Ignorant superbement les autres, il se contente de darder sur Walter un regard terrible.
Soudain, plus personne ne bouge. On dirait qu’un sortilège vient de transformer l’ensemble des protagonistes en statues de cire.
Je me rends compte que je retiens ma respiration et que je tremble de tous mes membres.
« Jasp, ça va ? »
Je ne réponds pas.
Un éclair de lumière rouge. Je ressens l’appel, un appel puissant. Un appel d’air intérieur. La simple aura du chamane a déclenché ma fuite, éperdue, au centre de moi-même. Où je me calme en foulant l’herbe ensanglantée d’une steppe infinie…
Je me force à respirer de nouveau.
À sortir de la panique dans laquelle m’a plongé le regard d’Otchi, qui ne m’était pas destiné.
C’est alors que se produit un deuxième coup de théâtre.
Surgissant d’un couloir, au sud, trois hommes en tenue de commando, lourdement armés, font irruption dans la caverne. Ils se postent de part et d’autre de l’entrée, pointant leurs fusils d’assaut sur les lycans ébahis.
Lorsqu’un quatrième individu pénètre à son tour dans la caverne, je lâche un cri de surprise qui, dans le brouhaha ambiant, passe heureusement inaperçu.
Mademoiselle Rose !
Une mademoiselle Rose déguisée en Jeanne d’Arc, moitié chevalier Teutonique, moitié Lara Croft.
Une cotte de mailles étincelle sous la lumière vive des torches.
Je distingue un sabre japonais accroché dans son dos et un pistolet énorme à sa ceinture.
Ainsi que des gants de fer et un bâton orné de runes qui aurait rendu Saroumane fou de jalousie.
« Tu vois ce que je vois, Jasper ?
— Oui… »
Otchi, puis mademoiselle Rose. Ma stupéfaction s’accroît encore en entendant la voix forte et autoritaire de la secrétaire :
— Ceci est une intervention de l’Association. Que tout le monde recule face au mur, les mains sur la tête. Je ne le répéterai pas deux fois.
J’ai à peine le temps de voir la surprise envahir le visage de mademoiselle Rose lorsqu’elle découvre Walter au milieu des grands méchants.
Car les lycans, sans tenir compte de son avertissement, se précipitent vers la secrétaire de l’Association en hurlant et en se métamorphosant.
Post-it
Tu es un Agent et chaque Agent est responsable de l’Association.
7
Planqué derrière mon rocher, les jambes flageolantes, je ne peux rien faire qu’assister au massacre…
« Tu as vu ça, Jasp ?! »
Sous mes yeux, deux loups-garous se font cribler de balles à forte teneur en argent (à en croire les spasmes qui les secouent) par les gardes du corps de notre chère secrétaire.
« Elle bouge plus vite qu’un vampire ! »
Mademoiselle Croft (ou Lara Rose, je ne sais plus) décapite un lycan avec son sabre étincelant.
On peut effectivement parler de massacre…
Mais les victimes ne sont pas celles que je croyais !
« On reconnaît bien le style coupant de mademoiselle Rose…
— Ah ah ! C’est pas le moment de faire de l’humour, Jasper. Les autres, ce sont des Agents ?
— Des mercenaires. Du genre de ceux qui pourchassaient Otchi et qui s’en sont pris à ma porte, ce matin. »
Ce qui me ramène à des considérations beaucoup moins admiratives.
Quoi qu’il en soit – et malgré le comportement récemment hostile de mademoiselle Rose envers moi – je ne peux empêcher mon cœur de prendre son parti.
Pendant que je bavarde silencieusement avec Ombe et avec moi-même, Siyah, Séverin et Trulez s’éclipsent discrètement.
— Les rats quittent le navire, je murmure entre mes dents.
Un cri.
Mon regard revient sur la bataille qui se livre à l’autre bout de la caverne. Un lycan monstrueux vient de planter ses crocs dans l’épaule de mademoiselle Rose.
Mon âme chavire.
Je suis là, je regarde, sans bouger, sans participer à l’action qui met en présence l’Association et ses ennemis.
Combien de fois ai-je rêvé d’un moment pareil, d’une bataille où mademoiselle Rose, Walter, le Sphinx et moi combattrions ensemble ! Une bataille qui aurait scellé mon appartenance au camp de la lumière.
Alors pourquoi est-ce que je me cache ? Si ce n’est pas l’envie qui me manque, c’est… c’est la peur qui me tétanise.
J’ai peur de me montrer, de sentir sur moi une fois encore les yeux d’Otchi.
Son regard me transperce et me brûle.
Comme la première fois, dans le métro, mais puissance dix.
Il me retire toute force.
Un hurlement.
Je me contracte, rentre la tête dans les épaules.
Les larmes jaillissent de mes yeux…
« Waouh ! Jasper, je révise mon opinion sur le Moyen Âge ! »
Je m’oblige à regarder.
C’est le loup-garou qui hurle de douleur, la mâchoire pleine de sang !
Je ne sais pas de quoi est constituée la cotte de mailles de notre chère Lara Rose, mais l’imbécile vient d’y laisser quelques dents.
Un immense soulagement m’envahit.
— Ça y est, tu as fini de jouer ? lance mademoiselle Rose d’une voix forte et pleine d’ironie. Alors à la niche, maintenant !
Elle fait virevolter le lourd bâton qui n’a pas quitté sa main gauche et assène au lycan édenté un coup puissant qui lui fend le crâne.
« C’est pas juste, elle me vole mes répliques !
— C’est le genre de trucs qu’on dit spontanément à un garou… enfin, à un garou qui cherche à mordre. Désolé, Ombe.
— C’est pas grave, Jasp. Les garous sympas ne sont pas représentatifs de l’espèce. »
Mademoiselle Rose est hors de danger.
Dark Walter, lui, n’a rien suivi du combat. Il est également resté indifférent à la fuite de ses petits (faux) camarades.
Tétanisé, il accorde toute son attention à Otchi, qui semble lui faire le même effet qu’à moi…
Le chamane sautille énergiquement autour de Walter en agitant son tambour, accomplissant une sorte de cercle ressemblant fort à un pentacle…
« Ça doit faire hyper mal !
— De tracer un pentacle ?
— Non, idiot. De se faire arracher un bras. »
À quelques pas de notre supersecrétaire, un mercenaire du groupe des Guns n’Rose passe un sale moment.
Deux garous surexcités sont en train de le dévorer vivant (beurk).
Mademoiselle Rose se rue sur les monstres.
Elle en frappe un au visage avec son gantelet métallique, cueille l’autre à l’estomac avec un coup de pied fouetté et, sortant un flingue gigantesque de sa ceinture, vide un chargeur entier sur les garous.
Puis elle se penche sur ce qui reste du soldat et secoue la tête.
« À toi, jasper !
— À moi ? Mais… qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Il se passe au moins trois trucs dingues en même temps !
— Va aider mademoiselle Rose ! Libère Walter ! Poursuis les fuyards ! N’importe quoi, mais bouge ! »
Les invectives d’Ombe font mouche. J’essaye de m’extirper de ma torpeur.
Sans y parvenir.
J’ai les jambes comme de la guimauve.
Et une voix, en moi, me crie de ne pas faire l’imbécile, de rester planqué loin du chamane.