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Il résonne à l’intérieur de mon crâne.

Brusquement, je me souviens. Hier soir, j’ai donné l’ordre à Fafnir, mon sortilège-espion, de sonner la corne si le chamane se mettait en mouvement.

Fafnir applique mes consignes à la lettre !

Je referme les yeux.

Une sensation de démangeaison envahit le haut de ma cervelle. Mon sortilège-arpion, euh, espion, tape à la porte et cherche à s’immiscer dans ma tête… Je lui ouvre mon esprit, pour qu’il cesse ses grattouilles et me fasse son rapport.

Cette fois, j’ai droit à un diaporama (Fafnir est un sortilège très inventif).

Image 1 : le chamane est assis en tailleur sur son carton, enroulé dans une couverture brodée de glyphes mystiques, à côté de clochards endormis.

Image 2 : le chamane range ses affaires.

Image 3 : le chamane s’éloigne du pont.

Image 4 : le chamane consulte un plan de la ville.

Image 5 : le chamane se dirige vers un arrêt de bus.

J’ai beau être matinal, je suis mal. Otchi se fait la malle ! Qu’est-ce que j’attends pour réagir ? Je m’extirpe du duvet en trébuchant.

— Debout, Nina, je dis en secouant mon amie (un mot neutre qui exprime bien la confusion de mes pensées à son endroit – à son envers aussi, d’ailleurs, pour être tout à fait franc).

Et ce benêt de Jean-Lu qui m’avait promis d’être là à l’aube !

— Jasper, gémit-elle d’une voix étouffée. Laisse-moi tranquille.

— Impossible. Il y a urgence.

Seul un grognement me répond.

Je fonce en maillot de corps et caleçon hors de la chambre, en direction de la salle de bains. Je sais que Nina va en profiter pour se rendormir, mais j’ai besoin d’une bonne douche pour avoir les idées claires.

Le jet d’eau me brûle la peau et je récapitule les événements des dernières vingt-quatre heures. Moitié dans ma tête et moitié à voix haute. Comme si Ombe était là, derrière le rideau en plastique, en chair et en os, dans l’attente de mes confidences.

— La journée d’hier a commencé rue du Horla…, je commence en soupirant.

Devant une porte fermée.

— J’avais pourtant rendez-vous à l’aube ! C’est Walter lui-même qui avait insisté. On devait faire le point sur ma fuite de l’hôpital et ma confrontation avec l’assassin d’Ombe. Il faut croire que ce n’était pas si important…, je marmonne en me shampouinant les cheveux.

Plus inquiétant : hormis un bref appel de mademoiselle Rose m’engageant à reprendre contact plus tard, je n’ai aucune nouvelle de l’Association depuis plusieurs jours.

— J’ai suivi ensuite dans le métro trois mercenaires que j’ai confondus avec des Agents…, je ricane en me savonnant les pieds dans un équilibre précaire.

J’ai alors découvert qu’un puissant chamane traquait Walter et – dans la série de je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette – je l’ai pris en chasse à son tour.

— Otchi, un chamane sibérien qui gagne ses combats en jouant du tambour…, je ronchonne en essayant de rattraper le savon qui est tombé dans le bac de la douche.

En le filant (et juste avant de le laisser filer !), je suis tombé sur des vampires.

— Ils avaient kidnappé Nina. Monumentale erreur…, je grommelle en me redressant, le savon dans la main.

Car je l’ai libérée, mettant à profit une diversion inattendue.

— Tu parles d’une diversion ! Quelqu’un (quelque chose) a ravagé le manoir où elle était prisonnière et a massacré les buveurs de sang…, je souffle en me rinçant.

Nina et moi avons ensuite retrouvé la piste du chamane, qui nous a conduits vers une séance de spiritisme plutôt brûlante, puis sous le pont où il a passé la nuit.

— Sous le pont et la surveillance de Fafnir. Fafnir le fidèle qui vient à l’instant de me prévenir que le chamane s’est remis en mouvement. Et qui attend que j’intervienne…, je conclus en essayant de vider mes oreilles pleines d’eau.

Ce dont je dois encore convaincre une fille endormie (la première que j’arrive à ramener dans ma chambre, soit dit en passant).

« C’est assez bien résumé, Jasper.

— Ombe ! Tu es là depuis longtemps ?

— Je suis là tout le temps, tu devrais le savoir.

— Oui, mais bon, tu aurais pu être là sans être exactement là ! De l’autre côté du rideau de douche, par exemple.

— Non, ça, c’est impossible.

— Et, euh, Ombe, cette nuit aussi, tu… ?

— Tout le temps, j’ai dit. Mais pas toujours attentive à ce que tu fais ! Pourquoi ?

— Pour rien ! À propos, Ombe, je t’entends, mais rassure-moi… Tu me vois ? Je ne t’ai jamais posé la question !

— Tu veux dire là, en ce moment ?

— Euh

— Disons que… Ne baisse pas les yeux ! Je vois seulement ce que tu vois ! »

Je quitte maladroitement la douche. Pas facile, avec le regard fixé droit devant moi. Je me drape dans une serviette (à défaut de ma dignité).

« Et maintenant, Jasp ?

— Pour commencer, je vais me rhabiller. Ensuite, j’irai tirer Nina du lit. Et puis… Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Jasp !

— Nina est ici ?

— Oui, elle est ici. C’est vrai que tu n’es pas très attentive ! Elle ne voulait pas rester seule cette nuit.

— Et… ?

— Et quoi ?

— Tous les deux, vous l’avez fait ?

— Ombe… Pourquoi tu me harcèles ?

— Tu es un idiot. Elle en pince pour toi, c’est évident. Alors ?

— Non. Je n’allais pas profiter de la faiblesse d’une fille après une journée traumatisante.

— Au contraire, Jasp. Ce genre de trucs, ça redonne la pêche. Tu verras, si un jour tu trouves le courage de quitter ton rempart d’excuses débiles…

— On peut parler d’autre chose ?

— Gros naze. »

Je m’oblige à rester calme. J’ai mieux à faire que de me disputer avec Ombe.

D’abord, rendre Nina opérationnelle en un temps record.

Ensuite, contacter Jean-Lu pour savoir ce qui le retient.

Enfin, partir sur les traces du chamane, en espérant qu’il ne soit pas trop tard.

Vêtu du pantalon noir et du pull à col roulé de la même couleur qui annoncent le musicien gothique (ou le magisiyah, euh, -cien), je retourne dans la chambre et secoue vigoureusement la forme inerte vautrée dans mon lit.

— Allez Nina, debout ! Départ dans cinq minutes, douchée ou pas, habillée ou en pyjama !

— Hein ? Quoi ? Jasper… Je suis crevée. Laisse-moi dormir.

— Si tu préfères rester toute seule, c’est comme tu veux, je susurre.

La grande peur de Nina, c’est qu’on l’abandonne. Il n’en faut donc pas plus pour qu’elle émerge de la couette. Elle est mignonne en diable, ses cheveux roux ébouriffés, ses grands yeux verts papillonnants, le pyjama trop grand pour elle laissant juste deviner ses… formes.

Nina s’avance vers moi en s’étirant, se coule avec naturel dans mes bras et m’embrasse sur le bord des lèvres avant de s’écarter et de me sourire.

— Je vais prendre une douche, annonce-t-elle en sautillant vers la porte. J’en ai pour deux minutes.

Je secoue la tête pour chasser mon trouble.

— Oui, euh, deux minutes, hein ?

— Promis !

« Gros naze.

— Tais-toi, Ombe, je réfléchis ! »