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— On s’en balance, Jasp. Il est vivant, c’est ce qui compte.

— Je ne sais pas si tu as remarqué… Depuis quelque temps, on discute de manière presque normale. Comme avant…

— Comme avant ?

— Non. Mieux qu’avant.

— Tu es en train de me dire que je deviens bavarde ? Comme une vraie fille ?

— Tu es bête ! Tu sais quoi, Ombe ?

— Non.

— Je t’aime.

— …

— Et je me demande ce que je ferais si ma grande sœur n’était pas là avec moi.

— …

— Tu ne dis rien ?

— Je t’aime aussi, Jasper. Mon horripilant, impertinent et génial petit frère ! »

Des larmes me brouillent la vue.

— Les garous, ils approchent, me prévient Nina en attrapant mon bras.

Pendant toute la confrontation, elle est restée avec Jules, blottie contre lui.

J’essuie subrepticement mes yeux d’un revers de manche.

— On ne risque rien, t’es sûr ? me demande le blondinet piqueur de copine.

— J’en suis sûr, je mens en soupirant et en me disant qu’il serait bon de revoir mes techniques d’approche avec les filles.

Nacelnik a retrouvé une apparence plus humaine, comme ses acolytes qui lui manifestent un respect accru. Ses vêtements sont tachés de sang, mais la capacité de régénération des lycans est à l’œuvre et ses blessures commencent déjà à se refermer.

Avant qu’il ait le temps de nous signifier notre arrêt de mort (parce que ce détail a échappé à la jolie Nina et à Jules le blaireau : les Normaux ne sont pas censés assister à des scènes impliquant des Anormaux !), je sors ma carte d’Agent (stagiaire) avec un A, comme Association.

— Ça baigne, les gars, je les rassure. L’Association n’interfère jamais dans la vie privée des Anormaux. Les lycans marquent un temps d’arrêt, interloqués.

— Vous êtes tous les trois des Agents ? demande Nacelnik d’un ton suspicieux qui incite Jules et Nina à exhiber leur carte sans attendre.

L’Alpha grogne de satisfaction.

— Le clan des entrepôts est en bons termes avec l’Association, déclare-t-il avec une certaine solennité. J’en suis le chef.

— Tu es Nacelnik, je dis en le regardant dans les yeux. Des yeux bleus magnifiques (tu as bon goût, Ombe, il faut le reconnaître), qui s’arrondissent de surprise.

— On s’est déjà vus ?

— Non. Mais…

— Tu es le frère d’Ombe ! s’exclame-t-il.

Alors là, c’est moi qui reste sans voix.

— Vous avez la même odeur, m’explique-t-il en interprétant correctement mon étonnement. Exactement la même. Nous autres, lycans, sommes capables de déceler beaucoup de subtilités parmi les effluves.

— Son frère ? je balbutie. Oui, euh, c’est pas faux, je continue, pitoyable. Je m’appelle… Jasper.

« Ombe, tu es toujours là ? Tu ne dis rien ? »

Pas de réponse. Lâcheuse !

Nacelnik pose sa main sur mon épaule, dans un geste protecteur.

— J’ai appris ce qui lui est arrivé. Tout se sait très vite, en ville. Je suis désolé, Jasper. Ta sœur et moi, on était… C’est délicat à expliquer. Mais je ne cesse de penser à elle. Si un jour tu as besoin d’aide, tu peux compter sur moi. J’ai contracté une dette auprès d’Ombe. Alors n’hésite pas : tu me libéreras un peu.

Il s’apprête à partir.

— Attends ! je crie. Nacelnik, tu disais… tu disais qu’on avait la même odeur ! L’odeur de quoi ?

— Une odeur de soufre, Jasper. Légère mais prégnante. Profonde. Pas une simple fragrance : une véritable odeur, attachée à vos personnes.

Il me tapote gentiment le bras et s’éloigne à grandes enjambées, me laissant seul avec des pensées qui me dévorent et un couple d’Agents stagiaires qui a suivi notre échange sans vraiment le comprendre.

— Jasper ? Ça va ?

Je souris faiblement à Nina qui a pris ma main dans la sienne et la serre très fort. Je me laisse aller contre elle, pose la tête sur son épaule.

Elle me caresse doucement la joue.

— Le lycan a parlé d’Ombe. Il la connaissait, n’est-ce pas ? C’est ça qui te bouleverse ?

J’acquiesce, une grosse boule dans la gorge, incapable de prononcer un mot.

Je ne sais pas ce qui me secoue le plus : les révélations de Nacelnik, la gentillesse de Nina ou les sanglots d’Ombe qui résonnent dans ma tête…

Un ciel sans bougie

J’avais promis à ma mère de ne pas quitter l’appartement pour le Jour de l’an.

Je n’ai pas obéi.

Ombe ne me parlait plus. Elle avait disparu pour de bon. J’avais envie de hurler.

Et puis le ciel était trop bas ; la pluie coulait comme des larmes le long des nuages gris.

J’ai mis ma cornemuse dans un sac en plastique et, perdu dans mes pensées, j’ai marché un long moment dans la ville morte.

Je me suis arrêté sur les quais, avec comme seule compagnie celle des arbres trempés.

J’ai accordé l’instrument en ajustant les bourdons, je l’ai calé sous mon bras, j’ai soufflé pour remplir la poche. Et puis debout, face au fleuve, j’ai joué ce qui me passait par la tête, sur des paroles silencieuses : « Ne fait-il pas plus froid ? La nuit n’est-elle pas plus noire ? Pourquoi faut-il allumer les lanternes dès le lever du jour ? »

Le son, si puissant d’habitude, parvenait tout juste à percer la brume. Peut-être que c’était moi qui jouais moins fort, à cause du poids sur la poitrine.

Le poids des heures grises qui ressemblent à des deuils, sans bougie et sans joie.

Où s’en allaient mes notes et mes pensées ? Qu’importe. Cette pâle musique que je tirais de ma cornemuse, j’en suis sûr, dérangeait les ténèbres et c’est tout ce qui comptait…

À quoi servent les notes d’une musique, à quoi servent les mots d’une chanson, sinon à remplir la mer que d’autres ont vidée ? À repeindre des horizons qui ont été effacés ? À forger les maillons de la chaîne qui nous rattache au soleil ?

À ériger un lieu habitable sur les territoires du néant…

11

Porte de Vouivre – Quelque part dans les sous-sols de l’hôtel Héliott

— Doucement, Rose. Je viens d’être l’objet d’une possession et d’un exorcisme. C’est une expérience doublement traumatisante.

— Allons, Walter, ne faites pas le douillet. Appuyez-vous sur moi.

— Je n’ai plus l’âge de ces bêtises…

— Arrêtez de bougonner, vieil ours ! Il n’y a pas d’âge pour se battre et survivre. Vous croyez que la cotte de mailles ne pèse pas plus lourd qu’autrefois sur mes épaules ? Que je brandis le sabre avec la même habileté, que mes balles d’argent touchent toutes leur cible, que les énergies viennent facilement jusqu’à mon bâton de pouvoir ? Bien sûr que non ! Ça ne m’empêche pas d’être là et de faire mon devoir.

— Vous êtes toujours aussi belle quand vous vous énervez, Rose. Et j’adore votre tenue de Walkyrie.

— La fatigue vous fait délirer, Walter.

— De vous voir ainsi équipée me ramène quelques années en arrière. Bon sang, Rose, vous vous rappelez ? Toutes ces missions pour ramener l’ordre dans la communauté des Anormaux ? Vous alliez au feu avec le Sphinx et moi je couvrais vos arrières… Et les bouteilles qu’on vidait au retour pour fêter nos succès ? Nos rires et discussions jusqu’au petit matin ?