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— D’accord, c’est vrai, je suis sorti ce jour-là, je dis en essayant de raffermir ma voix. Mais pas pour tuer le Sphinx ! Je suis allé jouer de la cornemuse sur les bords de la Seine. J’avais protégé mon instrument avec un sac en plastique parce qu’il pleuvait. Je vous le jure, Walter, c’est la vérité !

— Je suis disposé à te croire, mon garçon, répond-il en se raclant la gorge. Cependant…

Walter fait peine à voir. Il tremble, saisi par une fatigue soudaine.

Mademoiselle Rose vient à son secours.

— Tu dois nous suivre rue du Horla, Jasper, et te prêter à un interrogatoire en règle.

Un interrogatoire en règle…

De nouveaux frissons s’emparent de moi.

« Qu’est-ce qu’ils vont faire, Jasper ?

— Ils vont me soumettre à l’investigation d’un sortilège inquisitorial. Ou bien me torturer avec des pinces chauffées au rouge ! Le résultat sera à peu près le même : je n’en ressortirai pas indemne. Blanchi, ça c’est sûr, puisque ce n’est pas moi qui ai tué le Sphinx ; mais dans un sale état.

— Tu ne peux pas essayer de t’échapper ?

— Pour aller où ? J’en ai marre de courir, de me cacher ! Et puis, comment veux-tu que je m’enfuie avec ces fusils braqués sur moi ? Sans compter Dragon Ball Rose… »

— Il y a une autre solution !

Le visage pâle et les lèvres tremblantes, Nina s’avance vers nous, surgie de nulle part.

Nina, belle et seule (sans son Jules), semblable à un ange, un miracle, un sursis de dernière minute, une panne d’électricité avant le supplice de la chaise…

— Nina ? Mais… Que fais-tu là ? s’étonne mademoiselle Rose.

— Jasper avait l’air si perdu, si triste quand on s’est quittés… lui répond-elle en me fixant. J’étais venue lui tenir compagnie. Je ne voulais pas qu’il se retrouve seul ce soir. Quand je suis arrivée, vous étiez déjà tous là. Je n’ai pas pu faire autrement qu’entendre ce que vous disiez…

Elle est venue pour moi ? Parce que j’étais malheureux ?

« Tu y comprends quelque chose, Ombe ?

— Nina a découvert un autre aspect de toi, Jasper. Elle t’a vu désemparé, triste, et surtout terriblement seul. La fragilité, ça plaît aux filles.

— Tu veux dire que…

— Elle tient à toi. Mais ce n’est pas le plus important. Elle te tend une sacrée perche, ne la laisse pas passer ! »

Pas important ? Que Nina ait des sentiments pour moi ? Et c’est une fille qui joue les autistes depuis des heures sur le mode de « il m’aimeuhhh toujours, bouhhh ! » qui me fait la leçon ! Je rêve…

— Tu disais qu’il existe une autre solution, Nina ? je lance avant que mademoiselle Rose demande à un de ses sbires de me flanquer un coup de crosse sur la tempe.

— Oui. Une manière de faire la lumière sur la mort du Sphinx. Je peux vous aider…

— Bien sûr ! s’écrie Walter qui retrouve quelques couleurs. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ?

— Parce que nous n’avons jamais poussé Nina à utiliser ce talent-là, répond mademoiselle Rose. Investir les énergies résiduelles latentes réclame beaucoup d’énergie. Ça peut être dangereux…

— Je suis prête à tout pour prouver l’innocence de Jasper, clame Nina sur un ton de défi.

Nina possède un deuxième pouvoir ? Je n’en reviens pas.

— Et si, au contraire, tu révèles sa culpabilité ? demande mademoiselle Rose en fixant la jeune fille.

— En ce cas… les énergies réveillées n’auront qu’à me dévorer.

« Waouh ! Tu crois que tu la mérites ?

— Non, Ombe. Ça, au moins, j’en suis sûr ! »

L’ambiance semble se détendre. Cependant…

Est-ce que je suis toujours accusé ? Prisonnier ? Mort en sursis ? Aucune idée, la situation m’échappe totalement !

Du coup, je ne sais pas comment me comporter.

Dois-je rejoindre Nina, lui prendre la main, l’embrasser ? M’approcher de Walter, qui semble le mieux disposé à mon égard ?

Dans le doute, je ne fais rien, me contentant (une fois encore) de parler.

— Quelqu’un pourrait m’expliquer ce qui se passe ?

— Ce serait trop long, rétorque mademoiselle Rose. Tu comprendras sur place.

— Sur place…

— Dans la ruelle où le Sphinx a été retrouvé mort, précise Walter en choisissant ses mots.

— En route, conclut mademoiselle Rose, inutile de perdre du temps.

Le temps de dire ouf et je me retrouve sous la garde vigilante d’un des deux mercenaires, l’autre soutenant Walter qui peine à suivre la cadence imposée par la guerrière en chef marchant en tête du groupe.

Groupe qui, sans le sortilège de discrétion tissé autour de lui par une main habile, attirerait immanquablement les regards des rares passants.

« Ombe ?

— Oui, Jasper ?

— L’aventure touche peut-être à sa fin. Est-ce que tu m’offrirais une dernière cigarette ?

— C’est quoi ce délire ?

— Les condamnés ont droit à une dernière cigarette, Ombe.

— Tu ne fumes pas !

— C’est une façon de parler ! En fait, en guise de cigarette, j’aimerais que tu m’expliques ce que tu voulais dire, l’autre jour. Quand je t’ai demandé qui tu étais. Tu m’as répondu que tu croyais que j’avais compris.

— Ah, ça…

— Oui, ça. C’est important, Ombe. Très important !

— …

— S’il te plaît.

— Quand le rayon m’a frappée sur la moto, avant de te toucher…

— Oui ?

— Je me suis… Comment dire ? Une partie de moi s’est… réfugiée en toi.

— Une partie de toi ?

— Mon esprit, mon âme, enfin, tu vois ! Je ne sais même pas s’il y a un mot pour la définir…

— Ton essence ?

— Si tu préfères.

— Et tu as fait… comment ?

— Je n’ai rien fait. Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas… lutté. Je me suis laissé emporter par le flux mystique. Et toi, tu… tu m’as acceptée tout de suite. Je ne t’ai pas forcé la main, je te jure ! Ne me regarde pas comme un monstre, Jasper… Comme un hôte indésirable du genre Alien ou Goa’uld.

— C’est pour ça que tu ne voulais pas en parler ?

— Oui…

— Ombe, Ombe… J’aurais ouvert ma poitrine de mes propres mains pour que tu y entres ! Je suis ton frère, ne l’oublie pas !

— Et moi, je suis ta grande sœur. Une grande sœur protège son petit frère, elle ne lui fait pas de mal, elle… Oh, Jasper ! J’avais tellement peur que tu…

— Tais-toi, tu es trop bête. À la vie, à la mort, tu le sais bien… »

Alors c’était ça, seulement ça ?

Simple et magnifique à la fois.

Ombe est toujours vivante, en moi.

Elle me donne sa chaleur et sa force, elle me souffle les paroles de chansons que je ne connais pas.

Elle n’est ni un souvenir, ni un délire, ni un esprit farceur ou un fantôme éphémère.

Elle est moi et je suis elle.

Même si je suis toujours moi et elle surtout moi. Enfin, je me comprends !

Minute…

Si Ombe est bien plus qu’une illusion ou une présence ectoplasmique, ça veut dire que si je meurs, Ombe mourra une seconde fois ?