La terre qui se tord…
Rivage glacé…
Même si Ombe semble l’ignorer, je sais pourquoi elle et moi sommes liés dans l’odeur du soufre.
La rouge saveur du soufre…
Il ne manque plus qu’une pièce pour terminer le puzzle et voir l’image apparaître tout entière…
— Le temps est presque écoulé, Jasper, me prévient mademoiselle Rose.
Est-ce que je dois leur dire ?
Leur dire, puisqu’ils n’ont pas su le découvrir, que leur pire ennemi se tient peut-être devant eux ? Peut-être.
— Nous avons chacun droit à une dernière question, annonce Walter en se tournant vers moi. Tu veux commencer ?
La dernière pièce.
L’ultime.
Pour que la lumière soit.
— Qu’est-ce que…, je demande d’une voix tremblante qui m’attire les regards étonnés de mes deux mentors. Qu’est-ce que la Barrière ?
— Tes questions touchent juste, admet Walter, admiratif. Il s’agit là encore d’un des grands secrets de notre Organisation.
Un grand secret…
Il ne sera jamais aussi grand que celui qui vient de m’échoir.
— Notre monde n’est pas unique. L’univers est en réalité un multivers. Tu te rappelles les cours de mademoiselle Rose ?
Je hoche la tête en déglutissant.
— Si ces mondes entraient en contact les uns avec les autres, les conséquences seraient terribles, poursuit-il. Parce que certains d’entre eux ont une nature prédatrice et verraient volontiers les portes s’ouvrir. C’est pour cela que les autres mondes se protègent en érigeant des barrières. Notre Barrière, à nous les hommes, ce sont les Anormaux.
— En protégeant les Anormaux, poursuit mademoiselle Rose, l’Association protège les Normaux et préserve notre monde de la convoitise des espaces dimensionnels belliqueux.
— Tu comprends, Jasper, l’importance de notre rôle ? me demande Walter en me décochant l’un de ses bons vieux sourires paternels.
Et comment que je comprends ! Quelqu’un cherche à faire tomber la Barrière et à livrer notre monde à l’appétit des démons…
J’ignore encore le rôle qui sera le mien dans cette bataille. Mais j’ai l’intime conviction qu’il dépend entièrement des minutes qui vont suivre.
— À mon tour de poser la dernière question, annonce mademoiselle Rose.
Ne vous trompez pas, s’il vous plaît.
Dites que vous voulez toujours de moi.
Ne faites pas de moi votre ennemi.
Il suffirait de si peu de chose pour faire pencher la balance…
Ou alors jetez-vous sur moi, attachez-moi solidement, empêchez-moi de faire du mal !
— Jasper…
S’il vous plaît, mademoiselle Rose, s’il vous plaît !
— Nous accordes-tu ta confiance, malgré ce qui s’est passé ? Es-tu encore des nôtres ?
Je lâche un long, un très long soupir.
Les dés sont jetés.
Je lutterai aux côtés de l’Association.
Contre ses ennemis.
Contre moi-même, s’il le faut.
— Oui, je hoquette.
Walter et mademoiselle Rose sourient.
Ils vont m’emmener rue du Horla, me préparer un chocolat chaud, écouter et noter soigneusement mon rapport.
Sans se douter de ce que je suis.
De ce que j’ai fait et suis capable de faire encore.
« Ombe, ma sœur Ombe, ne vois-tu rien venir ?
— Je ne vois que la route qui poudroie, Jasper. L’horizon est voilé !
— Ensemble, hein ? Pour le meilleur…
— … et pour le pire. Tu peux compter sur moi, petit frère. Toujours. »
[1] Fear Factory, « Powershifter ».
[2] The Doors, « Shaman’s Blues »