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Quelques tintements supplémentaires et il s’effondre lourdement sur le sol, sans connaissance.

Je suis médusé.

Je viens d’assister à l’affrondement (ou l’affrontement, pour les incultes et les frondophobes) de David et Goliath !

Un fol espoir m’envahit. Maintenant j’en suis sûr, Otchi est capable de m’aider à comprendre les rapports étranges que j’entretiens avec la magie !

Je mets péniblement un terme à mes visions. Une voix dans le haut-parleur vient d’annoncer « Porte de Vouivre », le terminus de la ligne.

— Tu sais où tu vas, hein, Jasp ? chuchote Jean-Lu en me voyant pousser, sans hésiter, la porte de l’hôtel Héliott.

— Oui, je réponds, légèrement agacé. Les rendez-vous dans les endroits glauques, genre rue déserte ou entrepôts abandonnés, c’est bon pour les films. Les dealers d’aujourd’hui aiment le luxe.

Nous sommes à peine entrés qu’un homme se penche vers nous du comptoir de l’accueil.

— Je peux vous aider ?

Il faut avouer qu’on offre un spectacle pour le moins inhabituel. Un grand maigre tout en noir, un gros costaud du genre rockeur et une fille fringuée pour aller en boîte : l’équipe est franchement hétéroclite.

— Les Pieds Nickelés en vadrouille, je marmonne entre mes dents.

« Tu oublies la fille fantôme ! »

— Tiens, Ombe ! Non, ma vieille, je ne l’oublie jamais. C’est plutôt elle qui a tendance à déserter…

— Je suis toujours là, Jasper. Parfois, je rêvasse, c’est tout.

— Maintenant que tu es réveillée, tu as des idées, pour la suite ?

— Non. Mais je te rappelle que tu as une équipe avec toi.

— Merci pour ton aide !

— De rien. »

Le réceptionniste arbore un visage suspicieux. Je dois agir car c’est peut-être un complice du garou. Je cherche en vain sur mon poignet le bracelet de discrétion. Je l’ai oublié dans l’appartement… Quel idiot !

Je cherche fébrilement un mensonge crédible à servir à l’employé, quand Nina me devance :

— Mon père arrive, explique-t-elle avec un naturel parfait. Il gare la voiture. On peut attendre dans les fauteuils ? Oui ? Cool !

L’homme a acquiescé. Il semble se satisfaire de la réponse.

« Alors, Jasp ?

— Une équipe, je sais… »

Je regarde mes acolytes (qui n’ont rien d’anonyme). Mon cœur se serre brièvement. Contrairement à Ombe, je pense, moi, qu’il est temps de les préserver.

— Je descends au sous-sol, j’annonce. Je ne devrais pas en avoir pour longtemps. Attendez-moi là.

Nina et Jean-Lu échangent un bref regard de connivence.

— Pas question, dit Nina. On vient.

— Ça peut être franchement dangereux, je rétorque en évitant d’évoquer le garou embusqué là-dessous.

— Justement, confirme Jean-Lu en croisant les bras, pour signifier que cette décision est irrévocable.

« Une équipe, Jasper !

— Ombe, tu sais bien que Jean-Lu et Nina, même s’ils pensent bien faire, vont au contraire me gêner…

— On ne crache jamais sur un peu d’aide.

— Tu as vu ce qu’on va affronter, en bas ?

— Non. Quoi ?

— Eh bien le… le… »

Interloqué, je ne sais quoi dire, avant de me rappeler qu’Ombe n’a pas accès aux pensées que je formule pour moi-même. Logiquement, elle n’a donc pas non plus connaissance des informations transmises par Fafnir…

« C’est rien, Ombe. Laisse tomber. »

Puis je capitule à voix haute :

— D’accord, les gars (le féminin de gars étant garce, je préfère la jouer collectif). Mais dépêchons-nous !

Je me dirige vers l’escalier emprunté quelques instants plus tôt par Fafnir, en prenant soin de ne pas attirer l’attention des employés de l’hôtel.

Jean-Lu et Nina sur mes talons, je dévale les marches jusqu’au deuxième sous-sol, contourne le mur de béton derrière lequel mon espion a assisté à l’exhibition chamanique d’Otchi et…

… et je manque de percuter le loup-garou qui secoue rageusement la tête.

Zut.

J’ai manqué le créneau d’un poil.

Loin des noirceurs

Fouler la neige et se vider la tête dans sa blancheur, se laisser aveugler par les jeux du soleil, cingler par le vent et la poussière glacée

Où est-ce que je me trouvais, l’année dernière, au même moment ? Je ne sais pas. Mais j’étais différent puisque je n’étais pas Agent (stagiaire) et que j’ignorais jusqu’à l’existence de l’Association !

Il y a un an, il neigeait sur la capitale. Je marchais dans le jardin des Appeleurs. Crrr crrrr faisaient mes chaussures en écrasant les flocons. Des gamins riaient en se poursuivant.

Assis sur un banc, près de l’université Tolkien, je regardais les voitures déraper, sous les lumières clignotantes de Noël.

J’ai fini par rejoindre Romu. On a rempli un seau de neige, on l’a monté chez Jean-Lu et on a bombardé de boules les gens qui passaient en bas, dans la rue. Ce n’était pas très malin, mais on s’est bien marrés !

Comme tout cela paraît loin…

Je rêve de sérénité. De moments tranquilles, de moments d’espoir.

D’une trêve, loin de toutes les noirceurs.

Mais il s’élève à l’horizon un vent froid, de ces vents meurtriers qui annoncent les tempêtes.

I cala atasiluva0. I cala atasiluva. La lumière brillera-t-elle à nouveau ?

3

Je freine des quatre fers (je suis très à cheval sur les expressions) en me rendant compte que le garou a retrouvé ses esprits. Mes deux comparses manquent de me percuter.

Le colosse nous décoche un regard dément.

« Jasper… Cet Anormal, c’est Lakej, le lycan que j’ai combattu ! »

La voix d’Ombe est inhabituellement tendue. Les confidences faites par mon amie le soir de Noël me reviennent instantanément en mémoire.

« Celui que tu as réduit en bouillie ?

— Oui. Lakej est le bras droit de Trulez, tu sais, le rival de… Nacelnik. Trulez bossait pour les vampires.

— Et ?

— Réveille-toi, Jasper ! Lakej est un tueur de la pire espèce… »

— Merde alors ! lâche Jean-Lu stupéfait. Je n’ai jamais vu une montagne pareille !

Nina se fait toute petite (ce qui n’est pas très difficile). Il semble que son pouvoir, quel qu’il soit (et si elle en possède !), ne soit pas adapté à la situation.

Il va donc falloir que je me débrouille seul contre ce Lakej.

Et que j’essaye de faire aussi bien qu’Ombe.

Tandis que je réfléchis à un plan, Jean-Lu se place entre le garou et moi. On dit souvent qu’un con qui avance va plus loin qu’un mec intelligent qui reste dans son coin. C’est malheureusement vrai.

Je réagis trop tard.

— Jean-Lu ! Ne…

Il m’interrompt d’un geste.

— On est venus payer notre dette, déclare-t-il courageusement en croyant avoir affaire à un dealer.

Quand il est lancé, Jean-Lu, rien ne peut l’arrêter.