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Rien, sauf un coup de poing de lycan. Qui le cueille à l’estomac et l’envoie valdinguer contre le mur.

Nina pousse un hurlement d’effroi.

J’observe Lakej, plein d’espoir : le cri de ma collègue stagiaire va-t-il le jeter à terre ? Hélas, il n’a rien de paranormal et le garou ne bronche pas (inutile de chercher un jeu de mots ; la vision de Jean-Lu en train de caner sur le sol, sans connaissance, ne me rend pas d’humeur badine…).

Je me précipite vers mon camarade.

— Il est… ? demande Nina, les yeux écarquillés.

— Il respire, je la rassure. Mais il a reçu un sacré choc.

Il a surtout eu un sacré bol. Si l’armoire à glace l’avait frappé à la tête, il n’aurait pas survécu. Mon pote doit son salut à son volumineux tour de taille.

— Vous êtes des amis du petit homme ? gronde le garou.

Question à mille euros.

Je me redresse, tremblant de colère. Le cogneur a beau être plus grand, bien plus rapide et infiniment plus fort que moi, on ne fait pas de mal à mes amis !

— Non, je réponds en le fixant droit dans les yeux (ce qui m’oblige à lever la tête très haut). On le poursuit. Vous feriez mieux de nous laisser passer.

Pourquoi est-ce que je ne me ramasse pas de claque dans la figure, alors que je n’ai même pas dit s’il vous plaît ? Tout simplement parce que je reste à bonne distance. Les garous détestent qu’on les colle, ils se sentent agressés. Il faut toujours maintenir un espace minimal (vital…) avec eux.

C’est ce que je m’apprêtais à dire à Jean-Lu.

— Personne ne passera, annonce Lakej, menaçant. Si vous tenez à la vie, emportez votre compagnon et filez. Avant que je change d’avis et que je vous tue.

« Ça ne lui ressemble pas.

— Il a peut-être reçu des ordres stricts, qui excluent la violence gratuite.

— Franchement, Jasper ? Ça m’étonnerait ! »

Alors ça veut dire qu’il n’a pas recouvré toutes ses facultés. Il est encore sous le choc de sa rencontre avec Otchi.

Que dois-je faire ?

1. obtempérer et confier Jean-Lu aux bons soins du personnel de l’hôtel, en justifiant son état par une chute dans les escaliers ;

2. affronter le gaillard, d’une manière ou d’une autre ;

3. sortir ma carte d’Agent de l’Association et tenter une négociation officielle.

Je me rembrunis en pensant aux situations critiques où j’ai tenté d’utiliser mon statut d’Agent pour sauver ma peau. Chaque fois, au lieu de les calmer, ma carte a excité mes adversaires.

Je décide malgré tout de retenter ma chance.

— Je suis en mission, je dis en brandissant le rectangle de plastique affichant un A comme Association. Merci de coopérer.

Pourquoi est-ce que je ne m’écoute jamais ?

Le grondement qui monte de la gorge de Lakej ressemble à celui d’un loup qui aurait mangé un lion.

Ses épaules s’élargissent, sa poitrine se gonfle et d’affreux poils noirs envahissent ses joues.

J’ai l’impression d’assister à un mauvais plagiat de Hulk !

Les mâchoires se déforment à leur tour, des crocs acérés jaillissent de la bouche (de la gueule ?) du garou.

Lakej vient de se transformer et c’est pas joli à voir.

Sous les lambeaux de son costume saillent des muscles hypertrophiés, couverts de fourrure. Des griffes acérées ont poussé, au bout de doigts anormalement longs.

Le garou mesure à présent deux mètres cinquante. Quant à la lueur folle qui brûle au fond de ses yeux, elle a gagné en intensité.

« Alors là, Jasper, chapeau. Pour arriver au même résultat, il a fallu que je le traite plusieurs fois de chien. Toi, il a suffi que tu sortes ta carte !

— Plus tard, les sarcasmes ! Si tu as une idée pour nous tirer de là, Ombe, n’hésite pas…

— À part lui sauter dessus et le massacrer avec un poing américain en alliage titane et argent, je ne vois pas.

— C’est ce que tu as fait ?! Tu es cinglée, ma vieille.

— Merci ! »

Lakej bondit sur moi à une vitesse hallucinante.

Une fraction de seconde avant que ses griffes me lacèrent, je glisse sur le sol, effectue un roulé-boulé parfait et me retrouve dans son dos.

Putain… Comment j’ai réussi un truc pareil ?

Poussant un grognement de surprise, le garou fait volte-face. Sans réfléchir, je plonge sur le côté. Le lycan agrippe ma sacoche, que je lui abandonne sans lutter. Elle s’ouvre sous le choc. Il s’acharne dessus et la réduit en lambeaux.

Je le regarde faire, plus pâle que le mur contre lequel je me redresse. Il y avait dedans les ingrédients qui auraient pu nous sauver.

En plus, je me retrouve coincé dans un angle, incapable de bouger.

Je suis cuit.

Dès qu’il me voit pris au piège, Lakej abandonne les débris de ma sacoche et se rue sur moi. Je serre convulsivement entre mes doigts le collier protecteur qui, cette fois, ne me sera d’aucun secours.

Face à la force brutale, la magie défensive a ses limites.

Comme pour me donner raison, le monstre gronde, gueule ouverte, de la bave dégoulinant de ses canines acérées…

… On raconte qu’au moment de mourir toute notre vie repasse devant nos yeux. Je sais, depuis qu’Erglug a tenté de m’étrangler, que ce n’est pas vrai.

Cette fois encore, ce n’est pas ma vie qui défile, mais toutes les questions auxquelles je n’aurai jamais de réponses.

Pourquoi Ombe et pourquoi pas moi, pourquoi nous et pas les autres stagiaires ?

Des questions soigneusement remisées dans un coin de mon cerveau, mises de côté pour plus tard, sans cesse repoussées.

Pourquoi Ernest Dryden, le meurtrier d’Ombe, m’a-t-il traité de monstre ?

Une porte s’est ouverte, une digue s’est rompue.

Pourquoi Séverin vend-il de la drogue aux Anormaux ? Pourquoi les vampires ont-ils été massacrés, dans le manoir ?

Elles affluent maintenant, en se bousculant, comme une foule les jours de spectacle.

Pourquoi Siyah, le magicien noir, en voulait-il à la créature du lac ? Pourquoi ne m’a-t-il pas arraché le cœur ?

Elles tourbillonnent dans mon crâne, comme des flocons de neige dans les yeux des boxeurs sonnés.

Pourquoi des temps si difficiles ?

Des temps si difficiles…

— Tu pues, grogne Lakej.

La voix du garou résonne dans le couloir, sinistre, et chasse le maelstrom qui est en train de m’engloutir.

— Qu’est-ce que tu attends ? je réponds en soutenant son regard bestial. Tue-moi ! L’Association me vengera !

Alors que je réprime un haut-le-cœur (je pue peut-être, mais lui, il refoule grave) et que je ferme les yeux en attendant le coup de grâce, essayant de ne pas imaginer ses dents déchirant ma gorge, un bourdonnement furieux prend possession du couloir.

J’entrouvre un œil.

J’y crois pas… C’est Fafnir !

Fafnir, qui vole frénétiquement vers moi !

Mon brave sortilège, enchâssé dans un assemblage de plomb et de pierres précieuses, vient à ma rescousse.

C’est complètement dingue.

Surpris lui aussi, Lakej assiste à l’arrivée en fanfare de mon fidèle compagnon.

Qui profite de son élan pour percuter son oreille blessée.

Poussant un cri de douleur, le garou relâche son attention et me fournit l’ouverture nécessaire pour m’échapper.

Je me jette en avant, me rétablis dans un roulé-boulé qui m’aurait valu le respect éternel de mon prof de sport. L’accès à l’escalier est dégagé. Je peux quitter cet enfer dans la minute.

Mais je ne le fais pas.

Parce que Nina est restée à côté de Jean-Lu encore évanoui, et qu’il est hors de question de les abandonner.