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Mais il sait pas pour les carnets, pense Pete. Pas encore.

À moins qu’il les ait découverts depuis son dernier appel. Dans ce cas, il les aura déjà emportés. Il sera parti. Ça serait parfait s’il a laissé la vie sauve à Tina. Et pourquoi pas ? Quelle raison aurait-il de la tuer une fois qu’il a trouvé ce qu’il cherche ?

La vengeance, pense froidement Pete. Pour se venger de moi. Je suis le voleur qui lui a pris les carnets. Je l’ai frappé avec une carafe et je me suis enfui de la librairie et je mérite d’être puni.

Il se lève et titube, pris de vertige. Quand le malaise passe, il traverse le ruisseau. De l’autre côté, il se remet à courir.

49

La porte d’entrée du 23 Sycamore Street est grande ouverte. Hodges descend de la Mercedes avant que Jerome ne se soit complètement arrêté. Il court à l’intérieur, une main dans sa poche, refermée sur le Happy Slapper. Il entend une musique tintinnabulante qu’il connaît bien pour avoir passé des heures à jouer au solitaire sur son ordinateur.

Il s’oriente au son et découvre une femme assise — affalée — contre un bureau dans une alcôve aménagée en espace de travail. Un côté de son visage est enflé et couvert de sang. Elle le regarde en essayant d’accommoder.

« Pete », dit-elle. Puis : « Il a emmené Tina. »

Hodges s’agenouille et écarte prudemment les cheveux de la femme. Ce qu’il voit est vilain, mais nettement moins vilain que ça aurait pu l’être : cette femme a gagné à la seule loterie qui compte vraiment. La balle a creusé un sillon de dix centimètres de long dans son cuir chevelu, mettant son crâne à nu à un endroit, mais c’est pas une blessure du cuir chevelu qui va la tuer. Elle a perdu beaucoup de sang, cependant, et elle souffre autant du choc psychologique que de la commotion cérébrale. Le moment est mal choisi pour l’interroger, mais il doit le faire. Morris Bellamy est en train de laisser derrière lui un sillage de violence et Hodges se situe encore à la mauvaise extrémité.

« Holly. Appelle une ambulance.

— Pete… l’a fait », dit Linda. Et, comme si sa voix faible l’avait fait apparaître comme par enchantement, ils entendent une sirène. Elle est encore lointaine, mais elle se rapproche rapidement. « Avant… de partir.

— Madame Saubers, est-ce que Pete a emmené Tina ? C’est cela que vous avez dit ?

— Non. L’autre. L’homme.

— Un homme aux lèvres rouges, madame Saubers ? demande Holly. L’homme qui a emmené Tina, avait-il des lèvres rouges ?

— Des lèvres… d’Irlandais, dit Linda. Mais pas… rouquin. Des cheveux blancs. Il était vieux. Je vais mourir ?

— Non, dit Hodges. Les secours arrivent. Mais vous devez nous aider. Savez-vous où est allé Peter ?

— Il est sorti… par derrière. Le portail. Je l’ai vu. »

Jerome regarde par la fenêtre et voit le portail ouvert.

« Qu’y a-t-il par là ?

— Un sentier, dit-elle d’une voix lasse. Les enfants… l’empruntaient… pour aller au Centre Aéré. Avant qu’il soit fermé. Il a pris… je crois qu’il a pris la clé.

— Pete a pris la clé du Centre Aéré ?

— Oui… »

Ses yeux se tournent vers un tableau où sont pendues de nombreuses clés. Un crochet est vide. La bande Dymo collée en dessous indique CTR AR BIRCH ST.

Hodges prend une décision.

« Jerome, tu viens avec moi. Holly, tu restes avec Mme Saubers. Trouve un linge froid à appliquer sur le côté de sa tête. » Il inspire un grand coup. « Mais avant de faire ça, appelle la police. Demande à parler à mon ancien coéquipier. Huntley. »

Il s’attend à ce qu’elle regimbe mais Holly hoche simplement la tête et décroche le téléphone.

« Il a pris le briquet de son père aussi », dit Linda. Elle semble un peu plus présente maintenant. « Je ne sais pas pourquoi. Et le petit bidon de Ronson. »

Du regard, Jerome questionne Hodges qui répond :

« C’est de l’essence à briquet. »

50

Pete marche dans l’ombre des arbres, tout comme Morris et Tina avant lui, même si les gars qui jouaient au basket sont rentrés chez eux, laissant les terrains déserts, à l’exception de quelques corneilles occupés à nettoyer des chips éparpillées. Il aperçoit une petite voiture engagée sur le quai de chargement. Planquée là, en fait. Et la plaque d’immatriculation personnalisée suffit à faire disparaître les derniers doutes que Pete aurait pu avoir. Lèvres Rouges est bel et bien là, et il n’a pas pu faire entrer Tina par la porte de devant. Cette porte donne sur la rue, où il doit y avoir pas mal de passage à cette heure-ci, et de toute façon, il n’a pas la clé.

Pete dépasse la voiture et, au coin du bâtiment, il s’agenouille et regarde alentour. Une des fenêtres du sous-sol est ouverte. La pelouse et les mauvaises herbes qui poussaient devant ont été piétinées. Il entend une voix d’homme. Ils sont bel et bien là, en bas. Avec les carnets. La seule question est de savoir si Lèvres Rouges les a déjà trouvés.

Pete recule et s’adosse contre les briques chauffées par le soleil en se demandant quoi faire maintenant. Réfléchis, s’intime-t-il. T’as mis Tina dans ce merdier et maintenant tu dois l’en sortir, alors réfléchis, putain !

Sauf qu’il y arrive pas. Son cerveau est saturé de bruit blanc.

Dans une de ses rares interviews, l’irascible John Rothstein avait exprimé son agacement face aux questions du genre où-trouvez-vous-vos-idées. Les idées d’histoires viennent de nulle part, affirmait-il. Elles surgissent hors de l’influence polluante de l’intellect de l’auteur. L’idée qui vient soudain à Peter semble elle aussi surgir de nulle part. Elle est tout à la fois horrible et horriblement attirante. Elle ne marchera pas si Lèvres Rouges a déjà découvert les carnets, mais s’il les a découverts, plus rien ne marchera.

Pete se lève et contourne le gros cube de brique par l’autre côté, dépassant une fois de plus la voiture verte à la plaque révélatrice. Il s’arrête au coin avant droit du cube de brique abandonné pour observer la circulation dans Birch Street. C’est comme contempler un monde différent par la fenêtre, un monde où les choses seraient normales. Il se livre à un rapide inventaire : portable, briquet, essence à briquet. Le bidon d’essence à briquet était dans le tiroir avec le Zippo de son père. Il n’est qu’à moitié plein, à en juger par le bruit du liquide à l’intérieur quand il l’agite, mais ça suffira amplement.

Il tourne le coin, complètement exposé à la vue depuis Birch Street maintenant, essayant de marcher normalement et espérant que personne — du genre M. Evans, son entraîneur de Petite Ligue — ne le hélera.

Personne ne le hèle. Cette fois, il sait laquelle des deux clés utiliser et cette fois, elle tourne facilement dans la serrure. Il ouvre lentement la porte, pose le pied dans le hall d’entrée, et la referme silencieusement. L’odeur de renfermé et la chaleur sont brutales. Il pense à Tina et espère qu’il fait plus frais au sous-sol. Elle doit être terrifiée, se dit-il.

Si elle est encore en vie pour éprouver quoi que ce soit, lui murmure une petite voix diabolique. Lèvres Rouges était peut-être en train de parler tout seul, debout au-dessus de son cadavre. Il est fou et c’est bien ce que font les fous.

Sur sa gauche, il y a l’escalier qui monte au premier étage, lequel consiste en un vaste espace ouvert occupant toute la longueur du bâtiment. Son nom officiel est Salle Communautaire du North Side, mais les jeunes lui ont toujours donné un nom différent, un nom que Lèvres Rouges doit se rappeler.