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— Dix.

— Six. »

Elle réfléchit.

« OK. »

Un grognement étouffé leur parvint depuis le rez-de-chaussée, suivi du claquement des béquilles. Pete suivit le bruit jusque dans la cuisine où son père s’assoirait, allumerait une cigarette et soufflerait la fumée par la porte de derrière grande ouverte. Ce qui déclencherait la chaudière, et la chaudière brûlait pas du mazout, d’après leur mère, mais des billets de banque.

« Tu crois qu’ils vont divorcer ? »

Pete reçut un double choc : celui de la question d’abord, puis de son pragmatisme adulte. Il s’apprêtait à dire : Non, bien sûr que non, et puis il se rappela à quel point il détestait les films où les adultes mentent aux enfants, autant dire tous les films.

« Je sais pas. Pas ce soir, en tout cas. Les tribunaux sont fermés. »

Tina gloussa. C’était probablement bon signe. Il attendit qu’elle dise autre chose. Mais non. Les pensées de Pete retournèrent à la malle enterrée sous la berge, au pied de l’arbre. Il avait réussi à tenir ces pensées à distance pendant qu’il faisait ses devoirs, mais…

Non, c’est pas vrai. J’y ai pensé tout le temps.

« Teenie ? T’as pas intérêt à t’endormir.

— Je m’endors pas… »

Mais pas loin, d’après le son de sa voix.

« Qu’est-ce que tu ferais si tu trouvais un trésor ? Un coffre enterré rempli de bijoux et de doublons d’or ?

— C’est quoi des doublons ?

— Des pièces d’autrefois.

— Je le donnerais à papa et maman. Pour qu’ils se disputent plus. Pas toi ?

— Si, dit Pete. Allez, retourne dans ton lit maintenant, avant que je doive te porter moi-même. »

L’assurance-maladie de Tom Saubers ne lui donnait plus droit qu’à deux jours de rééducation par semaine maintenant. Un fourgon médical venait le chercher tous les lundis et vendredis à neuf heures et le ramenait à seize heures, après l’hydrothérapie et une réunion où des gens souffrant de blessures de longue durée et de douleurs chroniques s’asseyaient en cercle et parlaient de leurs problèmes. Tout ça pour dire que ces jours-là, il n’y avait personne à la maison pendant sept heures.

Le jeudi soir, Pete alla se coucher en se plaignant d’avoir mal à la gorge. Le lendemain matin, il se leva en disant qu’il avait toujours mal et qu’en plus, il pensait avoir de la fièvre.

« C’est vrai, tu as le front brûlant », dit Linda après avoir posé la face interne de son poignet sur son front. Pete l’espérait bien, après avoir gardé la figure au ras de sa lampe de chevet avant de descendre. « Si ça ne va pas mieux demain, il faudra aller voir le docteur.

— Ça c’est une idée ! » s’exclama Tom depuis son côté de la table où il tripatouillait ses œufs brouillés. On aurait dit qu’il n’avait pas dormi de la nuit. « Un spécialiste, peut-être ! Laissez-moi juste appeler Shorty le Chauffeur. Tina est prioritaire sur la Rolls pour son cours de tennis au country-club mais je crois que la Lincoln est disponible. »

Tina rigola. Linda lança un regard noir à Tom mais, avant qu’elle puisse lui répondre, Pete dit qu’il se sentait pas si mal que ça, qu’un jour de repos à la maison suffirait sûrement à le retaper. Et que sinon, le week-end le ferait.

« Je suppose. » Sa mère soupira. « Tu veux manger quelque chose ? »

Oui, il avait faim, mais il jugea préférable de rien dire vu qu’il était censé être malade. Il mit ses mains devant sa bouche et fit semblant de tousser.

« Non, peut-être juste un peu de jus de fruits. Et puis je crois que je vais remonter me coucher. »

Tina quitta la maison la première, sautillant jusqu’au coin de la rue où Ellen et elle discuteraient de tous les trucs bizarres dont discutent les filles de neuf ans en attendant le bus scolaire. Puis, maman partit pour son école avec la Focus. Et enfin papa, qui béquilla dans l’allée jusqu’au fourgon médical qui l’attendait. Pete le regarda s’éloigner depuis la fenêtre de sa chambre, trouvant que son père avait l’air plus petit qu’avant. Les cheveux qui dépassaient de sa casquette Groundhogs avaient commencé à grisonner.

Le fourgon parti, Pete s’habilla en vitesse, attrapa un des sacs de courses réutilisables que sa mère gardait dans le cellier et fila au garage. Il prit un marteau et un burin dans la caisse à outils de son père et les jeta dans le sac. Il s’empara de la pelle, s’apprêta à sortir puis fit demi-tour et prit aussi le pied-de-biche. Il avait jamais été scout mais il croyait à la devise Toujours Prêt.

Le matin était assez froid pour qu’il voie la condensation de son souffle mais, lorsqu’il eut creusé suffisamment autour de la malle pour sentir qu’il avait une chance de la dégager, la température avait monté et il transpirait sous son manteau. Il le suspendit à une branche basse et scruta les environs pour s’assurer qu’il était toujours seul au bord du ruisseau (il avait déjà fait ça plusieurs fois). Rassuré, il ramassa de la terre et se frictionna la paume des mains avec, comme un batteur de base-ball se préparant à frapper. Il saisit la poignée sur le côté de la malle, sans oublier de se préparer à ce qu’elle craque. La dernière chose qu’il voulait, c’était dégringoler la berge cul par-dessus tête. S’il tombait à l’eau, il pourrait réellement choper la crève.

Probablement rien d’autre là-dedans qu’un tas de vieux habits moisis, de toute façon… oui, mais pourquoi quelqu’un irait enterrer une malle remplie de vieux habits ? Pourquoi pas juste les brûler ou les donner au Goodwill ?

Une seule façon de le savoir.

Pete inspira profondément, retint son souffle, et tira. La malle resta où elle était et la vieille poignée poussa un grincement menaçant, mais Pete fut encouragé. Il s’aperçut qu’il pouvait remuer légèrement la malle d’un côté à l’autre. Ça lui rappela quand son père nouait un fil autour des dents de lait de Tina et tirait d’un coup sec lorsqu’elles ne voulaient pas tomber toutes seules.

Il s’agenouilla (en se souvenant qu’il ferait bien de laver son jean en rentrant ou alors de l’enfouir loin dans son placard) et regarda au fond du trou. Il vit qu’une racine s’était refermée sur l’arrière de la malle tel un bras possessif. Attrapant la pelle à la base du manche, il entreprit de la trancher. La racine était épaisse mais, après plusieurs interruptions, il finit par la sectionner. Il posa la pelle de côté et saisit à nouveau la poignée. La malle avait plus de jeu à présent, elle était sur le point d’être dégagée. Il jeta un coup d’œil à sa montre. Dix heures et quart. Il pensa à sa mère l’appelant pendant sa pause pour savoir comment il allait. Pas très grave s’il répondait pas, elle penserait juste qu’il dormait, mais il se dit de pas oublier de vérifier le répondeur à son retour. Il reprit la pelle et creusa autour de la malle, dégageant la terre et sectionnant des racines plus petites. Puis il se saisit à nouveau de la poignée.

« Cette fois-ci, saloperie, dit-il. Cette fois-ci, c’est la bonne. »

Il tira. La malle glissa vers lui si soudainement et avec une telle facilité que Pete serait tombé s’il n’avait pas eu les pieds solidement écartés. La malle penchait en dehors du trou à présent, le couvercle parsemé de terre. Il voyait les fermoirs à levier à l’ancienne sur le devant, comme sur une gamelle d’ouvrier. Et aussi un gros cadenas. Il attrapa de nouveau la poignée, et cette fois elle craqua.

« Enfoirax », dit Pete en regardant ses mains.