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Elles étaient rouges et palpitaient.

Bon, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin (une autre expression fétiche de maman). Il agrippa comme il put la malle à bras-le-corps et se balança en arrière sur ses talons. Cette fois-ci, elle sortit entièrement de sa cachette, relique humide et sale aux ferrures rouillées revoyant certainement le soleil pour la première fois depuis des années. Elle faisait environ quatre-vingts centimètres de long sur au moins cinquante de profondeur. Peut-être plus. Pete soupesa un côté et estima qu’elle devait peser dans les trente kilos, la moitié de son poids à lui, mais il était impossible d’évaluer le poids du contenu par rapport au poids de la malle seule. Dans tous les cas, c’était pas des doublons : si la malle avait été remplie d’or, jamais il n’aurait été capable de la sortir, encore moins de la soulever.

Il releva les fermoirs, déclenchant de petites avalanches de terre, puis se pencha sur le cadenas, prêt à le faire sauter d’un coup de marteau et de burin. Et s’il s’ouvrait toujours pas après ça — et il s’ouvrirait certainement pas —, alors il prendrait le pied-de-biche. Mais d’abord… qui ne tente rien n’a rien…

Il saisit le couvercle de la malle qui s’ouvrit dans un crissement de gonds encrassés. Plus tard, il présumerait que quelqu’un l’avait achetée d’occasion, probablement à un bon prix puisque la clé manquait, mais pour le moment, il se contentait de la fixer du regard. Oubliés son ampoule à la main, son dos et ses cuisses endoloris, la sueur dégoulinant sur son visage strié de terre. Oubliés sa mère, son père, sa sœur. Oubliés aussi les ouafis-ouafis, du moins pour le moment.

L’intérieur de la malle avait été doublé de plastique transparent afin de protéger le contenu de l’humidité. En dessous, il apercevait ce qui ressemblait à des piles de carnets. Il se servit du tranchant de sa paume comme d’un essuie-glace pour essuyer un croissant de fines gouttelettes sur le plastique. C’était bien des carnets, de beaux carnets, très certainement reliés en cuir. Il devait bien y en avoir une centaine. Mais ce n’était pas tout. Il y avait aussi des enveloppes, comme celles que sa mère ramenait à la maison après avoir encaissé un chèque. Pete écarta le plastique et regarda fixement l’intérieur de la malle à moitié pleine. Les enveloppes portaient les mentions GRANITE STATE BANK et « Votre Amie Pour La Vie ! ». Plus tard, il remarquerait certaines différences entre ces enveloppes et celles que sa mère ramenait de la Corn Bank and Trust — pas d’adresse e-mail sur celles-ci, et rien sur les retraits par carte —, mais pour le moment, il les fixait juste du regard. Son cœur battait si fort qu’il voyait des points noirs palpiter devant ses yeux et il se demanda s’il allait pas s’évanouir.

Que dalle, oui, il était pas une fille.

Peut-être, mais il se sentait indéniablement vaseux et il s’aperçut qu’une partie du problème venait du fait que depuis qu’il avait ouvert la malle, il avait oublié de respirer. Il inspira profondément, expira et inspira de nouveau. Jusqu’au fond des orteils, on aurait dit. Il retrouva ses esprits, mais son cœur cognait plus fort que jamais et ses mains tremblaient.

Ces enveloppes de banque seront vides. Tu le sais, hein ? Les gens trouvent de l’argent enterré dans les livres et les films, mais pas dans la vraie vie.

Sauf qu’elles paraissaient pas vides. Elles paraissaient archi-pleines.

Pete tendit la main pour en prendre une, puis retint son souffle en entendant un froissement de l’autre côté du ruisseau. Il se retourna brusquement et vit deux écureuils, pensant probablement que le dégel de la semaine signifiait le retour du printemps, en train de batifoler dans les feuilles mortes. Ils s’élancèrent en haut d’un arbre, queue frémissante.

Pete retourna à la malle et s’empara d’une enveloppe. Le rabat était juste rentré, pas collé. Il le souleva d’un doigt gourd alors que la température avait bien monté maintenant. Il appuya sur les côtés de l’enveloppe pour l’ouvrir et regarda à l’intérieur.

De l’argent.

Des billets de vingt et de cinquante.

« Seigneur Jésus mon Dieu qui êtes aux Cieux », murmura Pete Saubers.

Il sortit la liasse de billets de l’enveloppe et essaya de compter mais ses mains tremblaient trop et il en laissa tomber quelques-uns. Ils voletèrent dans l’herbe et, avant qu’il les rassemble à la hâte, son cerveau surchauffé lui jura avoir vu Ulysses Grant lui faire un clin d’œil depuis un billet de cinquante.

Il compta. Quatre cents dollars. Quatre cents dollars dans cette seule enveloppe, et il y en avait des dizaines.

Il réenfonça les billets dans l’enveloppe — pas facile parce que maintenant ses mains grelottaient encore plus que celles de Grampa Fred la dernière ou les deux dernières années de sa vie. Il jeta l’enveloppe dans la malle et regarda autour de lui, les yeux écarquillés et exorbités. Les bruits de la circulation, qui ici dans cette friche broussailleuse lui avaient toujours paru légers, lointains et insignifiants, lui semblaient maintenant proches et menaçants. Non, c’était pas l’île au Trésor ; c’était une ville de plus d’un million d’habitants dont beaucoup actuellement au chômage auraient adoré posséder ce qu’il y avait dans cette malle.

Réfléchis, se dit Pete Saubers. Réfléchis, bon sang. C’est la chose la plus importante qui te soit jamais arrivée, peut-être même la chose la plus importante qui t’arrivera jamais, alors réfléchis, et bien.

Ce fut d’abord Tina qui lui vint à l’esprit, blottie contre le mur dans son lit. Qu’est-ce que tu ferais si tu trouvais un trésor ? lui avait-il demandé.

Je le donnerais à papa et maman, avait-elle répondu.

Mais imagine que maman veuille le rendre ?

C’était une question importante. Papa non, jamais — Pete le savait —, mais maman était différente. Elle avait des idées bien arrêtées sur ce qui était bien et ce qui l’était pas. S’il leur montrait cette malle et ce qu’il y avait dedans, ça risquait de déclencher le pire ouafi-ouafi à propos d’argent de tous les temps.

« Le rendre à qui, en plus ? murmura Pete. À la banque ? »

C’était ridicule.

Ou pas ? Imagine que cet argent soit vraiment un trésor de pirates, pas de flibustiers mais de braqueurs de banques ? Mais alors, pourquoi il était dans des enveloppes, comme pour les retraits ? Et tous ces carnets noirs, alors ?

Il pourrait réfléchir à tout ça plus tard, mais pas maintenant : pour le moment, il devait agir. Il consulta sa montre et vit qu’il était déjà onze heures moins le quart. Il avait encore du temps, mais il devait l’utiliser.

« Le temps, c’est de l’argent », murmura-t-il.

Et il commença à jeter les enveloppes de liquide GRANITE STATE BANK dans le sac à commissions en toile contenant le marteau et le burin. Il expédia le sac en haut de la berge et le recouvrit de son manteau. Il bourra le plastique dans la malle, referma le couvercle et la repoussa dans le trou à grand renfort de muscles. Il fit une pause le temps d’essuyer son front poisseux de terre et de sueur, puis empoigna la pelle et se mit à pelleter comme un dingue. Il recouvrit la malle — presque entièrement —, s’empara du sac et de son manteau et remonta le chemin de la maison en courant. Il cacherait le sac au fond de son placard, ça ferait l’affaire pour le moment, et irait voir s’il y avait un message de sa mère sur le répondeur. Si tout était OK côté maman (et si papa était pas rentré plus tôt de sa thérapie — ça, ce serait horrible), il pourrait se dépêcher de retourner au ruisseau pour tenter de mieux cacher la malle. Il jetterait peut-être un coup d’œil aux carnets plus tard mais, alors qu’il remontait chez lui par cette matinée ensoleillée de février, sa seule préoccupation était qu’il puisse y avoir d’autres enveloppes d’argent parmi eux. Ou en dessous.