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Elle gloussa.

« Je croyais que t’avais dit que c’était pas porno. Je pourrai le lire quand t’auras fini ?

— On verra. Mais motus et bouche cousue, OK ? »

Elle acquiesça et, ce qu’il y avait de sûr avec Teenie, c’est qu’elle manquait rarement à sa parole. Mais ça, c’était il y a deux ans, et Pete était certain qu’elle avait déjà tout oublié.

Billy Webber arriva en roue libre sur un dix-vitesses rutilant.

« Hey, Saubers ! » Comme pratiquement tout le monde (M. Rickers étant une exception), Billy prononçait son nom Sobbers[5] au lieu de SOW-bers[6], mais quelle importance ? Ça restait un nom plutôt pourri, peu importe comment tu le prononçais. « Tu fais quoi cet été ?

— Je travaille à la bibliothèque de Garner Street.

— Encore ?

— J’ai réussi à décrocher un vingt heures par semaine.

— Oh, mec, t’es trop jeune pour faire esclave salarié !

— Ça me dérange pas », répondit Pete, ce qui était vrai. Bosser à la bibliothèque voulait dire accès libre à Internet, entre autres avantages, sans personne pour regarder par-dessus ton épaule. « Et toi ?

— Je vais dans notre maison de vacances dans le Maine. À China Lake. Plein de jolies filles en bikini, mon pote, et celles du Massachusetts savent comment s’y prendre. »

Alors peut-être qu’elles pourront te montrer, pensa Pete, narquois, mais quand Billy leva la main, il lui tapa dans la paume et le regarda partir avec une pointe de jalousie : vélo dix-vitesses sous le cul ; pompes Nike super chères aux pieds ; maison de vacances dans le Maine. Apparemment, il y avait des gens qui s’étaient déjà remis des mauvais jours. Ou peut-être que les mauvais jours les avaient carrément épargnés. Pas comme les Saubers. Ils s’en étaient bien sortis, mais…

Il faut plus d’argent, murmurait la maison dans la nouvelle de Lawrence. Il faut plus d’argent. Et mon coco, ça c’était de la résonance.

Est-ce que les carnets pouvaient être transformés en argent ? Y avait-il un moyen ? L’idée seulement de s’en défaire déplaisait à Pete, mais en même temps, il reconnaissait que c’était pas bien de les garder cachés comme ça dans son grenier. L’œuvre de Rothstein, surtout les deux derniers Jimmy Gold, méritait d’être partagée avec le reste du monde. Ces bouquins redoreraient sa réputation, Pete en était certain, mais sa réputation était encore plutôt bonne, et c’était pas ça le plus important. Les gens aimeraient ces bouquins, c’était ça qui comptait. Les adoreraient, s’ils pensaient comme Pete.

Sauf que des manuscrits holographes, c’était pas comme des billets de vingt et de cinquante impossibles à identifier. Pete se ferait arrêter et il risquerait la prison. Il savait pas exactement de quel crime on pourrait l’accuser — sûrement pas de recel d’objets volés puisqu’il avait pas volé les carnets mais qu’il les avait trouvés — mais il était certain qu’essayer de vendre des trucs qui t’appartiennent pas doit correspondre à un crime ou à un autre. Faire don des carnets à l’université de New York, l’alma mater de Rothstein, ressemblait à une solution possible, sauf qu’il devrait le faire de manière anonyme, sinon tout éclaterait au grand jour et ses parents découvriraient que leur fils les avait entretenus avec de l’argent volé à un homme assassiné. En plus, pour un don anonyme, on recevait que dalle de paiement.

Même s’il n’avait rien écrit sur la mort de Rothstein dans son devoir de fin d’année, Pete avait tout lu sur le sujet, principalement dans la salle informatique de la bibliothèque. Il savait que Rothstein avait été tué d’une balle dans la tête, style exécution sommaire. Il savait que les flics avaient trouvé suffisamment de traces dans la cour de la maison pour penser que deux, trois ou même quatre personnes étaient impliquées dans le meurtre, probablement tous des hommes à en juger par la taille de leurs empreintes de pas. Les enquêteurs pensaient aussi que deux d’entre eux avaient été exécutés peu de temps après sur une aire de repos dans l’État de New York.

Margaret Brennan, la première femme de l’écrivain, avait été interviewée à Paris peu de temps après le meurtre. « Tout le monde parlait de lui dans cette petite ville de province où il habitait, avait-elle dit. De quoi auraient-ils pu parler ? Des vaches ? Du nouvel épandeur à purin d’Untel ou Untel ? John était un sacré sujet pour ces provinciaux. Ils avaient cette idée fausse que les écrivains gagnent autant que les banquiers d’affaires et s’imaginaient qu’il avait des centaines de milliers de dollars planqués dans sa vieille ferme décrépite. Quelqu’un qui était pas du coin a dû entendre les commérages, c’est tout. La “retenue yankee” ? Mes fesses d’Irlandaise, oui ! Les gens du coin sont tout aussi en faute que les brutes qui ont fait ça. »

Questionnée sur la possibilité que Rothstein, outre de l’argent, ait accumulé des manuscrits inédits, Peggy Brennan avait répondu par ce que le journaliste appelait « un rire éraillé de fumeuse ».

« Encore des rumeurs, mon chou. Si Johnny s’était retiré du monde, c’était pour une raison et une seule. Il était au bout du rouleau et trop fier pour l’admettre. »

T’étais bien renseignée, pensa Pete. Il a probablement divorcé parce qu’il en pouvait plus de ton rire éraillé de fumeuse.

Il y avait beaucoup de spéculations dans les articles de journaux et de magazines que Pete avait lus, mais lui-même penchait pour ce que M. Ricker appelait « le principe du rasoir d’Ockham » selon lequel la réponse la plus simple et la plus évidente est généralement la bonne. Trois hommes étaient entrés par effraction et l’un d’eux avait tué ses complices pour pouvoir garder le butin pour lui. Pete n’avait aucune idée de ce qui avait amené ce type-là dans sa ville après ça, ni de la raison pour laquelle il avait enterré la malle, mais il était certain d’une chose : le braqueur survivant ne reviendrait jamais la chercher.

Pete était pas le meilleur en maths — c’était d’ailleurs pour ça qu’il avait besoin de ce cours d’été pour progresser —, mais pas besoin d’être Einstein pour faire de simples calculs et estimer certaines probabilités. Si le braqueur survivant avait trente-cinq ans en 1978, ce qui semblait être une estimation correcte aux yeux de Pete, il en avait soixante-sept en 2010 quand Pete avait trouvé la malle, et dans les soixante-dix aujourd’hui. Soixante-dix ans, c’est vieux. S’il se pointait pour récupérer son fric, ça serait sûrement en déambulateur.

Pete tourna dans Sycamore Street en souriant.

Selon lui, il y avait trois explications, toutes également valables, au fait que le braqueur survivant ne soit jamais revenu pour sa malle. Un, il était en prison quelque part pour un autre crime. Deux, il était mort. La trois était une combinaison de un et deux : il était mort en prison. Dans tous les cas, Pete ne pensait pas qu’il avait à se soucier de ce type. Les carnets, en revanche, c’était une autre histoire. Eux lui causaient un maximum de souci. Être assis dessus, c’était comme être assis sur une collection de magnifiques tableaux volés impossibles à revendre.

Ou sur une caisse remplie de dynamite.

En septembre 2013 — presque exactement trente-cinq ans après le meurtre de John Rothstein —, Pete glissa les derniers billets de l’argent-mystère dans une enveloppe adressée à son père. Le dernier versement s’élevait à trois cent quarante dollars. Et parce qu’il trouvait cruel d’entretenir un espoir qui ne se réaliserait jamais, il ajouta un mot d’une ligne :

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5

Littéralement : les sangloteurs.

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6

Équivaut à Sobers  : les sobres.