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Pete sourit poliment.

« Non, mais quand j’étais chez mon oncle Phil à Cleveland pendant les vacances de février, j’ai trouvé tout un tas de vieux livres dans son garage. Surtout des Tom Swift. Vous savez, l’enfant inventeur.

— Je me souviens bien de Tom et de son ami Ned Newton, dit M. Ricker. Tom Swift et sa Mobylette, Tom Swift et son Appareil Photo Sorcier… Quand j’étais gosse, on plaisantait souvent sur Tom Swift et sa Grand-Mère Électrique. »

Pete réitéra son sourire poli.

« Il y en avait aussi une dizaine sur une fille détective, Trixie Belden, et une autre, qui s’appelle Nancy Drew.

— Je crois savoir où tu veux en venir avec tout ça, et je déteste te décevoir, mais il le faut. Tom Swift, Nancy Drew, les Frères Hardy, Trixie Belden… tous de très intéressants vestiges d’une époque révolue, et de merveilleux indicateurs nous permettant de juger à quel point la “littérature jeunesse” a changé au cours des quatre-vingts dernières années, mais ces livres ont très peu de valeur, voire aucune marchande, même trouvés dans un excellent état.

— Je sais, dit Pete. J’ai vérifié sur Fine Books, après. C’est un blog. Mais quand j’étais en train de jeter un coup d’œil à tous ces livres, mon oncle est venu me voir dans le garage pour me dire qu’il avait quelque chose qui pourrait encore plus m’intéresser. Parce que je lui avais dit que j’étais fan de John Rothstein. C’était un exemplaire relié et signé du Coureur. Pas dédicacé, juste signé. Oncle Phil m’a dit qu’un copain à lui, Al, le lui avait donné en paiement des dix dollars qu’il lui devait pour une partie de poker. Mon oncle m’a dit qu’il l’avait depuis presque cinquante ans. J’ai regardé la page de copyright et c’est une édition originale. »

M. Ricker, jusque-là renversé dans son fauteuil, se redressa d’un bond.

« Waouh ! Tu sais certainement que Rothstein signait très peu d’autographes, hein ?

— Oui, répondit Pete. Il appelait ça “défigurer un livre parfaitement bien fait”.

— Exact, il était comme Raymond Chandler pour ça. Et tu sais aussi que les volumes signés ont plus de valeur quand il n’y a que la signature ? Sans dédicace ?

— Oui, c’est ce qu’ils disent sur Fine Books.

— Une édition originale signée, du plus célèbre des romans de Rothstein, ça ça vaut probablement de l’argent. » M. Ricker réfléchit. « Réflexion faite, retire le probablement. Dans quel état est-il ?

— En bon état, répondit Pete promptement. Un peu de piqûre, comme disent les collectionneurs, sur le rabat de la couverture et la page de titre, mais c’est tout.

— Tu t’es bien renseigné sur le sujet, dis-moi.

— Un peu plus depuis que mon oncle m’a montré le Rothstein.

— Et je suppose que tu n’es pas en possession de ce livre fabuleux, n’est-ce pas ? »

Je suis en possession de bien mieux, pensa Pete. Si seulement tu savais.

Parfois, il ressentait le poids de ce secret. Aujourd’hui, en débitant ces mensonges, plus que jamais.

Des mensonges nécessaires, se rappela Pete.

« Non, mais mon oncle m’a dit qu’il me le donnait, si je voulais. Je lui ai dit que j’allais y réfléchir parce qu’il a pas… enfin, vous voyez…

— Il n’a aucune idée de la valeur réelle que ça pourrait avoir ?

— Ouais. Et puis, j’ai pensé à un truc…

— Dis-moi. »

Pete plongea la main dans sa poche arrière et en sortit un bout de papier plié qu’il tendit à M. Ricker.

« J’ai cherché sur Internet des libraires qui achètent et qui vendent des éditions originales, ici en ville, et j’ai trouvé ces trois-là. Je sais que vous êtes un peu collectionneur vous-même…

— Bien peu, mon salaire ne me le permet pas vraiment, mais j’ai un Theodore Roethke signé que j’ai l’intention de léguer à mes enfants. The Waking. De très beaux poèmes. Un Vonnegut aussi, mais ça ne vaut pas énormément. Contrairement à Rothstein, le père Kurt signait tout.

— Quoi qu’il en soit, je me demandais si vous les connaissiez et si vous pouviez me dire lequel serait le mieux. Si je décidais d’accepter le livre… et puis, ben, de le vendre. »

M. Ricker déplia le bout de papier, y jeta un coup d’œil, puis regarda à nouveau Pete. Ce regard, à la fois perçant et compatissant, mit Pete mal à l’aise. C’était peut-être une mauvaise idée, il n’était décidément pas très bon en fiction, mais maintenant qu’il s’était mis dedans, il allait devoir se dépêtrer de ce bourbier d’une manière ou d’une autre.

« Il se trouve que je les connais tous les trois. Mais bon sang, petit, je connais aussi ton amour pour Rothstein, et je ne me base pas seulement sur ton devoir de l’année dernière. Annie Davis dit que tu fais souvent référence à lui en cours d’écriture créative. Elle prétend que la trilogie Gold est ta bible. »

Pete supposait que c’était vrai, mais il n’avait pas réalisé jusqu’à maintenant qu’il avait été trop bavard. Il résolut d’arrêter de parler autant de Rothstein. Ça pourrait être dangereux. Les gens pourraient s’en souvenir si…

Si.

« C’est bien d’avoir des héros littéraires, Pete, surtout si tu as l’intention de faire des études de lettres. Le tien, c’est Rothstein — du moins pour l’instant —, et ce livre pourrait être le premier de ta bibliothèque. Tu es sûr de vouloir t’en défaire ? »

Pete pouvait répondre à cette question en toute honnêteté, même si ce n’était pas vraiment d’un livre signé qu’il parlait.

« J’en suis sûr, oui. Les choses ont pas été très faciles à la maison…

— Je suis au courant pour ce qui est arrivé à ton père au City Center, j’en suis vraiment désolé. Au moins, ils ont arrêté le dégénéré avant qu’il ne fasse plus de mal.

— Mon père va mieux, et lui et ma mère retravaillent tous les deux maintenant, sauf que je vais sûrement avoir besoin d’argent pour la fac, vous comprenez…

— Je comprends.

— Mais c’est pas le plus urgent. Ma sœur veut aller à Chapel Ridge mais mes parents lui ont dit que c’était pas possible, du moins pas pour l’année prochaine. Ils n’ont pas encore tout à fait les moyens. Presque, mais c’est pas encore ça. Et je pense que c’est un endroit comme ça qu’il lui faudrait. Elle est un peu, je sais pas, larguée. »

M. Ricker, qui avait sans aucun doute connu un grand nombre d’élèves largués, acquiesça gravement.

« Mais si Tina pouvait y entrer, avec toutes ces grosses bûcheuses — surtout cette fille, Barbara Robinson, qu’elle connaissait quand on habitait dans le West Side —, les choses pourraient s’arranger.

— C’est très attentionné de ta part de penser à son avenir, Pete. Noble, même. »

Pete ne s’était jamais vu comme quelqu’un de noble. L’idée lui fit cligner des yeux. Remarquant peut-être son embarras, M. Ricker reporta son attention sur la liste.

« OK. Grissom Books aurait été ta meilleure chance du temps où Teddy Grissom était encore de ce monde, mais c’est son fils qui tient les rênes maintenant, et il est du genre pingre. Honnête, mais toujours à un dollar près. Il te dira que c’est l’époque qui veut ça, mais c’est aussi sa nature.

— OK…

— Je présume que tu es allé voir sur le Net à combien était estimée une édition originale signée et en bon état du Coureur ?