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« Pourquoi ? » demanda Morris en se levant.

Un petit passage par la case Administration, c’était généralement pas une bonne nouvelle. Souvent, c’était des flics qui voulaient que tu balances quelqu’un et qui te menaçaient de toutes sortes de trucs sordides si tu refusais de coopérer.

« Commission des Libérations Conditionnelles.

— Non, dit Morris. C’est une erreur. Je passe pas devant la Commission avant l’année prochaine.

— Je fais juste ce qu’on m’a demandé de faire, OK ? répliqua le geôlier. Si tu veux pas que je te signale, trouve quelqu’un pour te remplacer et bouge ton cul. »

La Commission — composée maintenant de trois hommes et trois femmes — était réunie dans la salle de conférences. Philip Downs, l’avocat principal de la Commission, faisait le septième mercenaire. Il lut une lettre de Cora Ann Hooper. Une lettre merveilleuse. La salope avait un cancer. C’était une bonne nouvelle, mais ce qui suivait était encore mieux. Elle abandonnait toutes ses objections à la mise en liberté sous conditions de Morris Bellamy. Elle disait être désolée d’avoir attendu si longtemps. Downs lut ensuite une lettre du Midwest Art and Culture Center, rebaptisé le MACC par les gens du coin. Ils avaient embauché beaucoup de détenus en conditionnelle au fil des années et ils étaient disposés à prendre Morris Bellamy en tant qu’archiviste et opérateur informatique à mi-temps à compter de mai si, bien entendu, la libération conditionnelle était accordée.

« Au vu de votre conduite exemplaire au cours des trente-cinq dernières années, et au vu de la lettre de Mme Hooper, déclara Downs, j’ai jugé bon d’avancer d’un an votre demande de mise en liberté sous conditions. Mme Hooper nous informe qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre et je suis persuadé qu’elle aimerait mettre un terme à cette affaire. » Il se tourna vers les autres membres de la Commission. « Qu’en pensez-vous, mesdames et messieurs ? »

Morris savait déjà ce qu’en pensaient ces dames et ces messieurs, sinon ils ne l’auraient jamais fait appeler. Ils votèrent à l’unanimité en faveur de la liberté sous conditions.

« Et vous, Morris, qu’en pensez-vous ? » demanda Downs.

Morris, d’ordinaire habile avec les mots, était trop stupéfait pour dire quoi que se soit, mais il n’eut rien besoin de dire. Il fondit en larmes.

Deux mois plus tard, après la réunion de concertation obligatoire avant la mise en liberté, et peu de temps avant son premier jour de travail au MACC, Morris passa la porte A de la prison de Waynesville et remit les pieds dans le monde libre. Dans sa poche, il avait ses économies de trente-cinq années de travail à la teinturerie, à l’atelier de menuiserie et à la bibliothèque. Un montant de deux mille sept cents dollars et des poussières.

Enfin, les carnets de Rothstein étaient à sa portée.

DEUXIÈME PARTIE

VIEUX POTES

1

Kermit William Hodges — Bill pour les intimes — roule sur Airport Road, les vitres baissées et la radio allumée, poussant la chansonnette avec Dylan sur « It Takes a Lot to Laugh, It Takes a Train to Cry ». Il a soixante-six ans (plus tout jeune) mais l’air plutôt pas mal pour un rescapé de crise cardiaque. Il a perdu dix-huit kilos depuis son embolie gazeuse et a arrêté la malbouffe qui le tuait à petites (grosses) bouchées.

« Vous voulez arriver à soixante-quinze ans ? lui avait demandé son cardiologue. C’était après son premier bilan de santé, deux semaines après la pose du pacemaker. Dans ce cas, arrêtez la couenne de porc grillée et les donuts. Faites ami-ami avec la salade. »

Pas du même tonneau que « Aime ton prochain comme toi-même », comme conseil, mais Hodges l’avait pris au mot. Posée à côté de lui sur le siège passager, il y a une salade dans un sac en papier blanc. Il aura tout son temps pour la manger, avec de la Dasani pour la faire descendre, si l’avion d’Oliver Madden arrive à l’heure. Et si Madden arrive tout court. Holly Gibney lui a certifié que Madden était déjà en route — elle a trouvé son plan de vol sur un site qui s’appelle AirTracker — mais il est toujours possible que Madden flaire quelque chose et qu’il prenne une autre direction. Ça fait un bon moment qu’il joue au con maintenant, et les types comme lui ont un flair très développé.

Hodges dépasse la voie de desserte menant aux terminaux principaux et aux arrêts courte durée et continue sa route, suivant les panneaux FRET AÉRIEN, SIGNATURE AIR et THOMAS ZANE AVIATION. Il tourne vers cette dernière destination. Thomas Zane Aviation est une entreprise aéronautique privée indépendante, tapie — presque littéralement — dans l’ombre de la bien plus grande Signature Air FBO juste à côté. De l’herbe pousse dans les fissures de l’asphalte craquelé du parking, vide à l’exception de la première rangée. Celle-là a été réservée pour une douzaine de voitures de location environ. Au milieu des petites citadines et des sous-compactes, et les dominant toutes, il y a un Lincoln Navigator aux vitres fumées. Hodges prend ça pour un bon signe. Son homme aime avoir du style, caractéristique typique des ordures. Et même si son homme porte des costumes à mille dollars, ça n’en fait pas moins une belle ordure.

Hodges contourne le parking et va se garer devant l’entrée, sur le rond-point réservé aux CHARGEMENTS ET LIVRAISONS SEULEMENT.

Hodges escompte un beau chargement.

Il consulte sa montre. Onze heures moins le quart. Il repense à sa mère lui disant : « Il faut toujours arriver en avance aux grandes occasions, Billy », et ce souvenir le fait sourire. Il détache son iPhone de sa ceinture et appelle le bureau. Ça sonne juste une fois.

« Finders Keepers[8], j’écoute », répond Holly. Elle annonce toujours le nom de la société en décrochant, peu importe qui appelle : un de ses petits tics. Elle en a beaucoup. « T’y es, Bill ? Tu es à l’aéroport ? Tu y es ? »

Petits tics mis à part, cette Holly Gibney-ci est bien différente de celle qu’il a rencontrée il y a quatre ans, lorsqu’elle était venue en ville pour les funérailles de sa cousine. Différente dans le bon sens du terme, même si elle continue à s’en griller une en douce de temps en temps ; il le sent à son haleine.

« J’y suis, répond Hodges. Dis-moi que je vais être chanceux.

— La chance n’a rien à voir là-dedans. AirTracker est un site très fiable. Pour ta gouverne, il y a actuellement six mille quatre cent douze avions dans l’espace aérien américain. Intéressant, non ?

— Carrément fascinant. L’heure d’arrivée de Madden est toujours onze heures trente ?

— Onze heures trente-sept, pour être précis. Tu as laissé ton lait écrémé sur ton bureau. Je l’ai remis au frigo. Le lait écrémé tourne très rapidement quand il fait chaud, tu sais. Même dans un environnement climatisé comme ici. Enfin climatisé. »

Elle avait seriné Hodges pour qu’il fasse installer l’air conditionné. Holly est une très bonne serineuse quand elle s’y met.

« Fais-toi un p’tit shot, Holly, dit-il. J’ai de la Dasani.

— Merci, mais non, j’ai mon Coca Zéro. Barbara Robinson a téléphoné. Elle voulait te parler. Elle était toute sérieuse. Je lui ai dit qu’elle pouvait te rappeler cet après-midi. Ou que tu la rappellerais. » Le doute s’immisce dans sa voix. « J’ai bien fait ? Je me suis dit que tu voudrais avoir ton téléphone disponible pour le moment.

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8

« Qui trouve garde. » La formule enfantine complète est Finders Keepers, Losers Weepers  : Qui trouve garde, qui perd pleure.