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— Comment cela ?

Bientôt, dans quelques jours, j'irai offrir le diamant maudit à la seule qui n'ait rien à redouter de sa puissance diabolique.

— Est-il vraiment si malfaisant ?

Catherine se leva, son regard s'évada de la petite chambre close.

Comme l'autre nuit, elle eut la vision de l'incendie qui avait ravagé Calves. Elle serra les dents pour ne pas crier de douleur puis murmura avec une intraduisible expression de haine et de terreur :

— Plus encore que vous ne croyez. Le mal... il n'a jamais cessé d'en faire. Il en fait encore, presque chaque jour que Dieu crée, mais je saurai bien lui arracher son pouvoir ! J'enchaînerai Satan une nouvelle fois aux pieds de Celle qui, un jour, écrasa le Serpent sous ses pieds nus. Au manteau de la Vierge Noire du Puy, le diamant noir deviendra impuissant.

Des larmes perlaient maintenant aux yeux d'Isabelle, mais une lumière y brillait.

— Vous nous étiez destinée, Catherine. D'instinct, vous retrouvez cette vieille tradition des châtelaines de Montsalvy qui, aux jours de guerre et de danger, s'en allaient au Puy implorer l'aide divine et offrir leurs plus beaux joyaux. Allez, ma fille, vous pensez en vraie Montsalvy.

Catherine ne répondit pas. Entre Isabelle et elle, il n'était plus besoin de mots. Le silence leur suffisait tellement ; désormais, elles savaient se comprendre. D'ailleurs, à cet instant même, l'abbé Bernard entrait chez la malade pour la visite que, chaque soir, il avait pris l'habitude de lui faire. Et Catherine ; après avoir baisé son anneau pastoral, se retira, les laissant seuls. Elle voulait rejoindre, dans la cuisine, Sara qui donnait son bain à Michel, mais, comme elle traversait la salle commune, elle vit accourir le Frère portier.

— Dame Catherine, dit-il, le vieux Saturnin vous prie de daigner vous rendre jusque chez lui. Il dit qu'il s'agit d'une chose importante.

En tant que bailli de Montsalvy, Saturnin était chargé de recruter des travailleurs pour la reconstruction du château. Pensant qu'il s'agissait de régler quelque problème d'embauche ou de paiement, Catherine jugea inutile de prévenir Sara de son absence.

— C'est bien, j'y vais, répondit-elle. Merci, Frère Eusèbe.

S'assurant, d'un coup d'œil rapide au petit miroir de sa chambre, que sa robe de futaine bleue était nette et sa haute coiffe de lin bien blanche, Catherine sortit du couvent et se dirigea vers la maison de Saturnin qui se trouvait dans la Grand'Rue, à quelques pas. Les paysans rentraient des champs en cette fin de journée, car on était en pleine moisson. Pour la première fois depuis des années, aucun ravage n'était venu empêcher le blé et l'avoine de pousser. On se hâtait de les mettre en bottes et de les rentrer.

Dans la rue, Catherine rencontra ses paysans en groupes joyeux, les visages cuits par le soleil sous les chapeaux de paille rejetés en arrière, les blouses ouvrant largement sur les poitrines suantes. Les femmes avaient retroussé leurs robes dans leurs ceintures et allaient, jambes nues, le râteau à faner ou la fourche sur l'épaule. Tous saluaient Catherine d'un sourire, d'un envol du chapeau ou d'une courte révérence et d'un joyeux « Le bonsoir, not'dame » qui lui faisaient chaud au cœur. Ces braves gens l'avaient adoptée spontanément, à cause de la souffrance partagée avec eux, à cause du souvenir d'Arnaud... Elle était vraiment chez elle à Montsalvy.

La maison du bailli Saturnin et de Donatienne touchait presque à la porte sud de Montsalvy et à la tour carrée qui la défendait. C'était, avec son haut pignon, l'une des plus belles maisons du village, presque une maison bourgeoise, et Donatienne y entretenait une propreté flamande. Lorsque Catherine y arriva, le vieux Saturnin l'attendait sur le seuil surélevé de deux marches, son bonnet à la main.

Le souci plissait toutes les rides de son visage. Tellement que le menton légèrement en galoche rejoignait presque le long nez en lame de couteau. Il salua Catherine avec respect et lui tendit la main pour l'aider à entrer dans la maison.

— Il y a là un berger, dame Catherine... Il est arrivé tout à l'heure de Vieillerie, un village à quatre lieues d'ici, dans la vallée du Lot, et il a d'étranges choses à dire. C'est pourquoi j'ai préféré ne pas le conduire à l'abbaye et je vous ai fait prier, en m'excusant de l'audace, de venir jusqu'ici.

— Vous avez bien fait, Saturnin, se hâta de répondre Catherine dont le souffle s'était fait un peu plus court quand il avait parlé de la vallée du Lot. Qu'a-t-il de si étrange à dire ?

— Vous allez le savoir. Entrez plutôt.

Dans la cuisine où les étains, sur le manteau de la cheminée, brillaient comme de l'argent, où la pierre du sol était si blanche qu'elle semblait de velours, un jeune garçon, vêtu d'une casaque en peau de mouton, sur des vêtements de toile grossière, était assis sur un banc, près de la table de châtaignier noir. Il mangeait du pain et du fromage que Saturnin avait dû lui servir, mais il se leva, poliment, en voyant entrer Catherine, salua avec gaucherie, puis se tint debout, attendant qu'on lui parlât.

— Ce garçon, dit Saturnin, est l'un des bergers du seigneur de Vieillevie. Quant à toi, mon ami, tu es devant la dame de Montsalvy.

Dis-lui ce que tu as vu, dimanche matin.

Le berger rougit un peu, gêné sans doute par la présence de cette grande dame, et sa voix, d'abord, fut à peine audible, mais, aux premiers mots prononcés, Catherine sentit s'éveiller en elle un intérêt passionné.

— Dimanche matin, je gardais mes moutons sur le plateau plus haut que la Garrigue...

— Parle plus fort, intima Saturnin. On entend mal.

Le garçon se racla la gorge et enfla la voix :

J'ai vu deux cavaliers qui semblaient venir de Montsalvy, le premier, grand et de belle stature, était tout vêtu de noir, il portait même un masque noir, mais il montait une belle jument blanche comme la neige...

— Morgane, murmura Catherine captivée. Morgane et...

— L'autre était un petit bonhomme maigre et jaune avec des yeux de braise et une barbiche en pointe. L'autre... le cavalier au masque, je n'ai même pas entendu le son de sa voix. Il ne m'a pas regardé. Il se tenait un peu à l'écart, flattant de sa main gantée l'encolure de sa bête qui grattait le sol avec impatience.

— Que t'a dit le plus petit ? demanda Saturnin.

— Il m'a demandé si je connaissais le bailli de Montsalvy. J'ai répondu que je l'avais vu deux ou trois fois, à l'occasion, que j'étais berger du seigneur de Vieille- vie. Alors le petit homme jaune a demandé si j'accepterais d'aller porter quelque chose chez maître Saturnin aussi vite que possible. Et il m'a donné un écu pour ma peine.

— Cette lettre, demanda Catherine, où est-elle ?

— La voici, répondit Saturnin en tendant à Catherine le message tout scellé qu'elle prit d'une main tremblante.

— Vous ne l'avez pas ouverte ?

— Ce n'est pas à moi de le faire, fit le bailli en hochant la tête.

Voyez plutôt.

En effet, quelques lignes étaient tracées sur le parchemin : « Pour dame Catherine de Montsalvy, quand elle reviendra. »

Catherine eut tout à coup l'impression que les murs blanchis à la chaux se mettaient à tournoyer autour d'elle. Ces mots, sans aucun doute possible, c'était Arnaud, Arnaud lui-même, qui les avait tracés !

Dans un geste instinctif, elle serra le message contre son cœur, luttant contre l'émotion qui montait en elle. Saturnin s'en aperçut, voulut congédier le berger.

— Tu as bien délivré ton message, mon garçon. Va te reposer maintenant.

Mais Catherine l'arrêta.

— Attends ! Je veux aussi te remercier, berger.

Elle fouilla dans son aumônière, mais le jeune garçon fit un geste de refus.