— Qu'allons-nous faire, messire ? demanda Catherine.
Il tourna vers elle son visage de dogue orgueilleux et haussa les épaules.
— Pour l'heure, Madame, je me soucie moins de nous que de Mac Laren. Nous sommes encerclés, ou peu s'en faut. Comment nous rejoindra-t-il demain, en revenant de Montsalvy ? Il tombera sur ces gens qui le feront prisonnier... ou pire ! Villa-Andrado est prêt à n'importe quoi pour vous amener à composition. On lui posera des questions... Avec tous les suppléments désagréables que comporte, chez le Castillan, ce mot-là. Notre ennemi voudra savoir d'où il venait.
Catherine se sentit pâlir. Si Mac Laren, pris, parlait sous la torture, l'Espagnol saurait où trouver Michel. Et quel plus sûr otage que le bambin pour amener la mère à résipiscence ? Pour sauver son fils des griffes de Villa- Andrado, Catherine savait bien qu'elle accepterait n'importe quoi.
— Alors, dit-elle d'une voix blanche, je répète ma question.
Messire Kennedy, qu'allons-nous faire ? Du diable si je le sais !
— II faudrait, émit calmement Frère Étienne, qu'un homme pût quitter Carlat de nuit et marcher vers Montsalvy de façon à les rencontrer demain et à les prévenir. Le tout est de faire passer cet homme. Il semble bien que l'investissement de la place ne soit point encore complet. Il y a là, vers le mur nord, un large endroit où je ne vois briller aucun feu.
Kennedy haussa impatiemment ses lourdes épaules vêtues de cuir.
— Avez-vous jamais regardé le rocher en cet endroit ? Une falaise lisse et noire, tombant à pic sur la vallée et dont la courtine double presque la hauteur. Il faudrait une damnée longueur de corde et un rude courage pour descendre ça sans se rompre le cou.
— Je veux bien tenter l'expérience, fit Gauthier en s'avançant dans le cercle lumineux dessiné par les flammes de la cheminée.
Catherine ouvrait déjà la bouche pour protester quand le sénéchal la devança.
— Point besoin de corde, ni pour la muraille, ni pour le rocher... Il y a un escalier.
Immédiatement, il fut le point de mire de tous les regards. Kennedy l'empoigna par une épaule pour le voir de plus près.
— Un escalier ? Tu rêves ?
— Oh non, messire. Un véritable escalier, étroit bien sûr et taillé à même le roc Il part de l'intérieur d'une des tours. Seuls, le vieux sire de Cabanes et moi le connaissions. C'est même par là qu'Escornebœuf s'est enfui, dame Catherine, le jour où...
Catherine frissonna au souvenir de ce jour où, dans ce même donjon, le reître gascon avait tenté de la jeter dans l'oubliette. Parfois, dans ses cauchemars, elle revoyait la face rouge et suante, révulsée d'un hideux désir de tuer, du gros sergent.
1. L'escalier existe toujours, mais, la forteresse ayant été rasée, il est à ciel ouvert.
— Comment savait-il le secret ? articula-t-elle.
Le petit sénéchal baissa la tête et tortilla son bonnet entre ses mains.
— Nous... nous étions du même pays de Gascogne, balbutiât-il. Je n'ai pas voulu qu'il lui advînt mal de mort... à cause de ça.
Catherine s'abstint de répondre. Ce n'était pas au moment où cet homme apportait un renseignement de cette valeur qu'il fallait songer à lui demander des comptes pour avoir protégé un assassin. Kennedy, qui réfléchissait profondément, ne l'eût d'ailleurs pas toléré. Bras croisés, la tête penchée sur une épaule, il regardait le feu avec une totale absence d'expression. Machinalement, il demanda si l'escalier était praticable pour des femmes et, sur l'affirmative :
— Alors, nous allons faire mieux. Il faut profiter du fait que VillaAndrado n'a pas encore eu la possibilité d'encercler complètement le château. Il suppose d'ailleurs, vu la hauteur, que, sur la face nord, ce n'est pas si urgent ; mais il peut changer d'avis demain. Nous n'avons donc pas de meilleure chance que cette nuit. Dame Catherine, préparez-vous à partir.
Une légère rougeur monta aux pommettes de la jeune femme et elle serra ses mains l'une contre l'autre.
— Dois-je partir seule ? dit-elle simplement.
— Non. Sara, Frère Étienne et Gauthier vous accompagneront.
Bien entendu, Gauthier vous quittera une fois hors de Carlat et, tandis que vous irez l'attendre à Aurillac, il rejoindra Mac Laren. Il lui portera l'ordre de se rendre auprès de vous avec ses hommes et de vous servir d'escorte pour le reste de votre voyage.
— Mais vous, pendant ce temps ?
L'Écossais eut un bon rire qui, par une sorte de miracle, fit éclater en mille morceaux l'atmosphère tendue où baignait la haute pièce voûtée. Avec ce rire s'enfuyaient tous les démons de la peur et de l'angoisse.
Moi ? Je resterai tranquillement ici quelques jours, pour amuser VillaAndrado. D'abord, je dois attendre qu'arrive le nouveau gouverneur, mais celui-ci n'approchera pas tant que Carlat sera investi. Dans quelques jours, juste ce qu'il faudra pour vous laisser prendre une belle avance sur une éventuelle poursuite, je convoquerai VillaAndrado ici et saurai bien lui démontrer que vous avez vidé les lieux.
Dès lors, n'ayant plus rien à espérer, il s'en ira. Il ne me restera plus qu'à passer les pouvoirs à mon remplaçant, puis à plier bagages.
Frère Étienne s'approcha de Catherine et prit, dans les siennes, les deux mains froides de la jeune femme.
— Qu'en pensez-vous, mon enfant ? Il me semble que le capitaine fait entendre la voix de la sagesse.
Cette fois, Catherine sourit, réellement, franchement, un beau sourire chaud dont elle enveloppa le petit moine puis envoya la fin au grand Écossais qui, du coup, devint rouge d'émotion.
— Je pense, dit-elle doucement, que c'est bien imaginé. Je vais me préparer. Viens, Sara ! Messire Kennedy, je vous serais très reconnaissante de me procurer des vêtements d'homme ainsi que pour Sara.
Celle-ci poussa un affreux soupir. Elle avait horreur des vêtements d'homme dans lesquels ses formes rebondies se trouvaient toujours fâcheusement comprimées. Mais, apparemment, le temps des aventures n'était pas révolu et il fallait bien se résigner à l'inévitable, faute de mieux.
Un moment plus tard, dans sa chambre, Catherine examinait avec quelque étonnement les vêtements que Kennedy lui avait fait porter.
Le capitaine écossais les avait empruntés à son page et c'était le costume habituel des hommes de son pays avec tout de même une légère variante. Les rudes montagnards des hautes terres, habitués à un climat sans douceur, avaient la peau dure et le cuir tanné. Leur vêture habituelle se composait d'un ample morceau de laine aux couleurs de leur clan dans lequel ils se drapaient, d'une veste de flanelle et d'une chemise de mailles. Une plaque de fer ouvragé fixait la draperie à l'épaule. Comme coiffure ils portaient le casque conique ou bien un béret plat orné d'une plume de
héron et allaient jambes nues, parfois même pieds nus. Auprès du roi Charles VII, dont ils formaient, depuis 1418, la célèbre garde écossaise créée par le connétable John Stuart de Buchan, ils portaient cuirasses d'argent et fastueux plumails de héron blanc, mais en campagne ils revenaient volontiers à leur habillement traditionnel dans lequel ils se sentaient plus à l'aise.