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— Bah ! L'Auvergne n'est pas si loin. Je sais que le Roi songe à y venir et, quand il sera enfin réconcilié avec Richemont, nous serons peut-être bientôt tous réunis.

— Dieu vous entende ! Au revoir, mon ami.

Il baisa la main qu'il tenait toujours, sauta en selle. Les portes de l'abbaye s'ouvrirent au large devant lui, découvrant la place du village où s'attroupaient déjà les ménagères. Tristan l'Hermite se mit à la tête de sa troupe, mais, au moment de franchir le seuil sacré, il se retourna, ôta son chapeau de feutre noir et l'agita en l'air.

— À bientôt, dame Catherine !

— À bientôt, si Dieu le veut, ami Tristan !

Quelques instants plus tard, les lourds vantaux étaient refermés, la cour vide. Catherine s'approcha de Gauthier qui se tenait toujours près de la porte ouverte.

— J'ai fait un rêve étrange cette nuit, Gauthier... Je suis assaillie de tristes pensées... Aussi, j'ai décidé de partir avec toi à la rencontre de Fortunat. Même s'il faut aller jusqu'à Calves, je pense que nous pourrons rentrer dans la journée. Prends un cheval et selle-moi Morgane.

— Je voudrais bien, répondit calmement le Normand, malheureusement, c'est impossible.

— Et pourquoi donc ?

— Parce que Morgane n'est plus là.

— Comment ?

— Je dis la vérité. Morgane a disparu. Voyez vous même...

Catherine, abasourdie, suivit Gauthier dans l'écurie obscure. Plusieurs chevaux s'y trouvaient encore, mais il n'était que trop vrai qu'aucune jument blanche ne s'y montrait. Immobile au milieu de l'écurie, Catherine regarda Gauthier.

— Où est-elle ?

— Comment voulez-vous que je le sache ? Personne n'a rien vu, rien entendu... J'ajoute qu'il manque également un autre cheval, Roland, l'un de ceux que l'abbé nous avait donnés.

— C'est invraisemblable ! Comment ces deux bêtes ont-elles pu sortir d'ici sans que personne ne s'en aperçoive ?

— Sans doute parce que celui qui les a emmenées avait la possibilité d'entrer sans attirer l'attention... Il devait bien connaître l'abbaye.

— Alors, fit Catherine en se laissant tomber sur une botte de paille, qu'est-ce que tu en conclus ?

Gauthier ne répondit pas tout de suite. Il réfléchissait. Au bout d'un moment, il glissa vers Catherine un regard incertain.

— Il se trouve, dit-il, que Roland, le cheval qui a été volé avec Morgane, était celui dont Fortunat avait l'habitude de se servir quand il allait à Aurillac ou ailleurs...

— Mais pas quand il allait à Calves ?

— Non. Vous savez bien qu'il ne consentait jamais à y aller autrement qu'à pied... à cause de messire Arnaud.

Ce fut au tour de Catherine de garder le silence. Elle avait tiré un brin de paille et le mâchonnait distraitement. Une foule d'idées l'assaillait... Enfin, elle releva la tête.

— Je me demande si j'ai vraiment rêvé, dit-elle... Si ce n'était pas l'une de ces prémonitions...

— Que voulez-vous dire ?

— Rien. Je t'expliquerai. Selle deux chevaux et préviens que nous partons pour la journée. Je vais mettre mon costume de garçon.

— Où .allons-nous ?

— À Calves, voyons. Et plus vite que jamais !

CHAPITRE XV

Le val désert

À la croisée de deux chemins, les cavaliers arrêtèrent leurs montures, hésitant sur celui qu'il fallait prendre. Le pauvre village de Calves était tout proche maintenant, et, à l'horizon, Catherine pouvait voir, avec une émotion bien naturelle, se dresser la falaise basaltique de Carlat, hérissée de tours et de murailles. Elle avait vécu là les heures les plus crucifiantes de toute sa vie, elle l'avait fui sous la menace, mais, à revoir cet imposant décor devenu familier, elle sentait son courage fléchir.

Un paysan qui revenait des champs, sa houe sur l'épaule, approchait du croisement. Gauthier l'interpella du haut de son cheval :

— Sais-tu, brave homme, où se trouve la maison des lépreux ?

L'homme se signa précipitamment, désigna l'un des chemins.

— Descendez jusqu'à la rivière... Vous verrez un gros bâtiment clos. C'est là. Mais ne venez pas au village après.

Il s'éloigna vers le hameau, pressant le pas. Catherine tourna la tête de son cheval dans la direction indiquée.

— Allons, dit-elle seulement.

Le chemin descendait vers l'Embène, la petite rivière qui, plus loin, contournait le rocher de Carlat. Une ligne de saules en marquait le cours. Catherine, marchant en tête, chevauchait en silence, balancée au pas de sa monture. Une profonde émotion l'étreignait en approchant ce lieu dont si souvent elle avait rêvé sans oser l'aborder. Dans quelques instants, elle serait tout près d'Arnaud, à quelques pas de l'endroit où il vivait... Peut- être parviendrait-elle à le voir. À cette seule idée son cœur battait plus fort, mais, malgré cela, elle avait du mal à s'arracher de l'esprit le mauvais pressentiment qu'elle traînait depuis le matin.

Le chemin déviait maintenant pour plonger à travers un petit bois aux taillis inextricables. Le sol, raboteux, malaisé, creusé de profondes ornières anciennes et de trous demeurés boueux dans ce bas-fond, ne devait pas être foulé souvent. Le ciel de cette fin de journée -

Catherine et Gauthier avaient mis infiniment plus de temps qu'ils ne pensaient pour atteindre Calves disparaissait derrière l'épaisse voûte de feuillage. Ce bois avait l'air d'une barrière végétale établie par les hommes pour se protéger des réprouvés de Calves... Et puis, soudain, au bas de la pente, les deux cavaliers contournèrent un rocher à pic et se retrouvèrent au bord de la rivière, hors du bois.

Le val resserré, où l'on entendait seulement la chanson mélancolique de l'eau, était d'une tristesse affreuse. A l'orée des arbres, Catherine arrêta brusquement son cheval. Gauthier la rejoignit et tous deux, botte à botte, restèrent là, immobiles, frappés de stupeur. Devant eux, à quelques toises, les murs d'enceinte d'une sorte de grosse ferme se dressaient... les murs d'enceinte seulement, car, au milieu, il n'y avait plus rien que des pans noircis, une ogive encore debout qui avait dû être l'entrée de la chapelle. Le grand portail, arraché, pendait sur ses gonds et montrait la cour intérieure de la léproserie, pleine de décombres calcinés... Seuls, les sinistres croassements des corbeaux qui tournoyaient dans le ciel troublaient le silence.

Catherine devint pâle comme une morte, ferma les yeux et vacilla sur sa selle, au bord de l'évanouissement.

— Arnaud est mort, balbutia-t-elle... C'est son fantôme que j'ai vu cette nuit !

D'un bond, Gauthier fut à terre. Ses bras vigoureux arrachèrent la jeune femme de sa monture. Il l'étendit, blême et les dents claquantes, sur le talus du chemin, puis se mit à frictionner vigoureusement ses mains qui se glaçaient.

— Dame Catherine ! Allons... Reprenez-vous ! Ayez du courage...

Je vous en prie, implora-t-il, affolé.

Mais elle perdait conscience de plus en plus, avec l'affreuse sensation que sa vie lui échappait, coulait de son corps comme de l'eau. Alors, par deux fois, il la gifla, contrôlant malgré tout sa force qui aurait pu la tuer. Les joues blêmes devinrent rouge vif, Catherine ouvrit les yeux, le regarda avec stupeur. Il lui sourit d'un air contrit.

— Pardonnez-moi. Je n'avais pas le choix. Attendez, je vais vous chercher un peu d'eau.

Contournant les bâtiments incendiés, il courut à la rivière, emplit le gobelet qu'il portait pendu à sa ceinture et revint faire boire Catherine avec des gestes de mère. La réaction vint, aussitôt, brutale : la jeune femme éclata en sanglots.

Debout près d'elle, il la laissa pleurer, sachant le pouvoir apaisant des larmes. Il ne dit pas un mot, ne fit pas un geste pour arrêter les sanglots terribles qui la déchiraient. Et, peu à peu, Catherine se calma... Au bout d'un long moment, elle releva sur le Normand un visage marbré, des yeux rouges au regard désolé.