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« Les montagnes en tremblaient. C'était comme si l'enfer s'était ouvert d'un seul coup... Les gens du village ont eu peur. Ils ont cru que les lépreux allaient sortir, les attaquer.

« Ils ont couru à Carlat demander du secours. Alors les hommes d'armes sont venus... »

Elle s'arrêta, jetant sur les ruines des regards encore effrayés de ce qu'ils avaient vu. De nouveau elle se signa.

— Alors ? demanda Catherine haletante.

— Ils .sont arrivés à la nuit, continua la vieille d'une voix qui faiblissait. Les lépreux criaient toujours leur douleur... C'était affreux. Mais après... ç'a été pire !

Catherine se sentait défaillir. Elle s'assit sur un banc de pierre placé contre la chaumière et essuya de sa manche la sueur qui lui coulait du front.

— Par pitié... Achevez !

— Les hommes d'armes étaient des soudards, de vrais barbares, lança la vieille avec une soudaine violence. Ils ont barricadé le portail de la maladrerie... et puis ils ont mis le feu.

Un double cri d'horreur lui répondit. Catherine, frappée au cœur, s'était laissée aller contre le mur.

— Arnaud ! gémit-elle... Mon Dieu !

La vieille était lancée, elle poursuivit avec une sorte de rage :

— Les soldats étaient ivres parce que les gens du village les avaient fait boire pour qu'ils aient le courage d'aller jusqu'à la maladrerie. Ils hurlaient qu'il fallait détruire ce nid de réprouvés... que le val devait être purifié... Toute la nuit, cela a brûlé. Mais, avant la minuit, on n'entendait plus crier... rien que le ronflement des flammes.

Elle se tut enfin et il était temps. Catherine défaillait.

Gauthier, vivement, se pencha vers elle, la prit sous le bras.

— Venez, dit-il doucement... Nous allons partir...

Mais, presque insensible, elle demeurait inerte. La vieille la regardait avec curiosité.

— Le jeune seigneur semble souffrir. Connaissait-il l'un de ces malheureux ?

— Le jeune seigneur est une femme, répliqua Gauthier brièvement. Elle connaissait... en effet, l'un d'eux.

Catherine n'entendait plus rien. Son corps lui semblait fait de pierre et, dans sa tête vide, une seule pensée sonnait comme un battant de cloche.

— Il est mort ! Ils me l'ont tué !

Elle avait tout oublié de ce que lui avait dit Gauthier. Il n'y avait plus, devant ses yeux qui ne voyaient rien, qu'un brasier flambant dans la nuit. Et son cœur lui faisait mal comme si des griffes de fer tentaient de l'arracher de sa poitrine.

La vieille, silencieusement, était rentrée dans sa maison. Elle en ressortit portant une écuelle.

— Tenez, pauvre dame, dit-elle, buvez ça. Ce sont des herbes macérées dans du vin. Cela vous fera du bien.

Catherine but, se sentit un peu mieux et voulut se lever, mais la vieille s'interposa.

— Non, restez. La nuit vient et les chemins ne sont pas sûrs. Si personne ne vous attend, restez jusqu'au matin... J'ai peu de choses à vous offrir, mais je l'offre simplement.

Gauthier consulta seulement le visage pâle de la jeune femme qui paraissait ne se soutenir qu'à peine. Elle était incapable de retourner à Montsalvy cette nuit.

— Nous resterons, dit-il simplement. Merci à vous.

Toute la nuit, Gauthier la passa au chevet du matelas de paille sur lequel Catherine, étendue, cherchait en vain le sommeil. Toute la nuit il essaya de faire passer dans l'âme meurtrie de la jeune femme la confiance qui habitait la sienne. Il redit, il répéta sans se lasser, toujours les mêmes choses. Catherine n'avait pas vu de fantôme. Elle avait vu Arnaud lui-même, échappé sans doute à l'incendie avec l'aide de Fortunat... et les deux hommes avaient dû fuir en prenant les chevaux. Mais elle ne voulait plus le croire. Arnaud n'avait aucune raison de fuir Montsalvy. Là, il pouvait, au moins, chercher refuge chez Saturnin qui, malgré la peur du mal, l'eût accueilli... Non, rétorquait Gauthier, le maître craignait trop de contaminer les siens.

S'il avait approché sa mère, c'est parce qu'il la savait mourante... et Fortunat, peut- être, l'avait conduit à une autre maladrerie. On disait que, vers Conques, il en existait une...

— Ne désespérez pas, dame Catherine... Nous allons rentrer à Montsalvy et, dans quelques jours, vous verrez revenir Fortunat.

Croyez-moi.

— Je voudrais bien te croire, soupirait Catherine, mais je n'ose pas. Tant de fois, j'ai été déçue.

— Je sais. Mais avec du courage, de l'obstination, on peut venir à bout de l'adversité. Un jour, dame Catherine, vous aussi...

— Non. Ne dis plus rien. J'essayerai d'être raisonnable...

J'essayerai de te croire...

Mais elle n'y parvenait pas. Le jour levant la trouva aussi abattue, aussi désespérée. Elle remercia généreusement la vieille paysanne de son hospitalité puis, dans une gloire de soleil qui blessait à la fois ses yeux las et son cœur lourd, elle reprit avec Gauthier le chemin de Montsalvy.

Du magnifique paysage de la vallée de la Truyère avec ses vertes pentes boisées Catherine ne vit rien. Elle chevauchait, le dos rond, les yeux mi-clos, traînant son cœur comme un boulet. La vision de l'autre nuit l'avait tellement persuadée de la mort d'Arnaud que le monde entier, tout à coup, avait perdu sa couleur. Elle ne voyait ni l'exubérante verdure des arbres, ni les fleurs des champs, ni les haies fleuries, ni l'éclat du soleil. C'était comme si quelque chose était mort en elle. Son esprit vide ne trouvait même plus une prière pour implorer du ciel un secours quelconque. A deux doigts du blasphème, Catherine ne pensait à Dieu que pour l'accuser d'injuste cruauté. De quel prix ne lui faisait-il pas payer chacune des faveurs qu'il lui accordait si parcimonieusement ?

Elle découvrait, en outre, qu'elle n'avait jamais cru Arnaud vraiment perdu pour elle avant cette minute. On l'avait retranché des vivants, mais, quelque part sous le ciel, il respirait et elle gardait, elle, Catherine, la possibilité d'aller le retrouver une fois sa tâche terminée.

Mais, maintenant, que lui restait-il ? Un vide immense et un goût de cendres sur les lèvres... De temps en temps, Gauthier poussait son cheval auprès du sien, lui parlait pour tenter de l'arracher à cette annihilant tristesse. Elle répondait par monosyllabes puis, éperonnant son cheval, reprenait quelques toises d'avance. Il n'y avait, pour elle, que la solitude qui fût supportable...

Pourtant, lorsque Catherine rentra dans la cour de Montsalvy, quelque chose se ranima en elle, quelque chose qui ressemblait à une joie. Au seuil de l'hôtellerie, le petit Michel dans les bras, il y avait Sara ! Elle se tenait immobile, le bambin niché contre son cœur, semblable à quelque madone rustique, mais, à mesure que les cavaliers avançaient dans la cour, les yeux aigus de la bohémienne distinguèrent le visage ravagé de Catherine, son regard de somnambule. Les traits, sévères d'abord, de Sara se détendirent.

L'amour, presque maternel, qu'elle avait pour Catherine devina sa souffrance, rien que dans sa silhouette accablée. Sans la quitter des yeux, elle tendit Michel à Donatienne qui accourait au bruit des chevaux, s'avança à la rencontre des cavaliers.

Aucun mot ne fut prononcé. Comme Sara arrivait près de sa monture, Catherine se laissa glisser à terre et s'abattit en sanglotant dans les bras qui se tendaient déjà. Comme il lui parut bon, à cet instant de désespoir, le cher refuge momentanément perdu ! Mais si pitoyable était l'aspect de la jeune femme que Sara, à son tour, se mit à pleurer. Etroitement embrassées, mêlant leurs larmes, elles retournèrent vers la maison.

Là, Catherine retrouva un peu le contrôle de ses nerfs et leva sur sa vieille amie une figure de noyée.

— Sara ! Ma bonne Sara !... Si tu es revenue, c'est que je ne suis pas tout à fait maudite.