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— Alors, vous m'avez confié votre butin, acheva Catherine tranquillement. Et si, malgré tout, on m'avait fait un mauvais parti ?

— Je jure sur le Dieu auquel je n'ai jamais cessé de croire que je me serais dénoncé. Et si l'on ne m'avait pas cru, je me serais battu pour vous, jusqu'à la mort !

Catherine garda le silence un moment, pesant les paroles qu'il venait de prononcer avec une gravité inattendue. Enfin elle dit :

— La seconde question maintenant : pourquoi nous avez-vous rejointes ? Pourquoi venez-vous ici avouer votre faute ? Je suis libre, en sécurité, et vous l'étiez aussi. En venant ici, vous remettez tout en question. Vous ignorez comment je vais réagir et si je ne vous livrerai pas.

C'était un risque à courir, fit Josse sans se démonter. Mais je ne voulais plus rester avec ces diseurs de patenôtres sanguinaires. J'en avais assez de Gerbert Bohat et de messire Colin. Du moment que vous n'étiez plus là, le voyage n'avait plus aucun intérêt et...

— Et tu t'es dit, ricana Ermengarde, qu'à défaut de rubis tu pourrais peut-être chasser l'émeraude de la Reine. Car tu n'as certainement pas tes yeux dans ta poche, n'est-ce pas ?

Mais de nouveau Josse dédaigna de lui répondre. Soutenant toujours le regard de Catherine, il dit :

— Si vous pensez cela, dame Catherine, livrez-moi sans plus d'hésitation. Ce que je voulais vous dire, c'est ceci : je vous ai fait tort pour sauver ma vie, mais j'en ni grand regret. Pour réparer, je suis venu vous offrir mes services. Si vous le permettez, je vous suivrai, je vous défendrai... Je suis un truand, mais je suis brave et je sais manier l'épée comme un seigneur. Sur la route que vous suivez, on a toujours besoin d'un bras solide. Voulez-vous, d'abord, me pardonner et ensuite me prendre pour serviteur ? Sur le salut de mon âme, je jure de vous servir fidèlement.

De nouveau le silence. Josse, toujours à genoux, ne bougeait pas, attendant la réponse de Catherine. Celle-ci, bien loin d'éprouver de la colère, se sentait curieusement attendrie par ce garçon bizarre qui, à une malhonnêteté flagrante, joignait des sentiments d'une curieuse élévation et un charme indéniable. Passant par sa bouche, les choses les plus ahurissantes prenaient un air de naturel. Néanmoins, avant de répondre, elle leva les yeux sur Ermengarde qui, les lèvres serrées, gardait, elle aussi, le silence, mais un silence de mauvais augure.

— Que me conseillez-vous, chère amie ?

La douairière haussa les épaules avec emportement.

— Que voulez-vous que je vous conseille ? Vous paraissez douée des mêmes talents que la magicienne Circé : elle changeait les hommes en pourceaux. Apparemment, vous faites l'opération inverse.

Agissez donc à votre guise, mais je connais déjà votre réponse.

Tout en parlant, Ermengarde avait enfin atteint sa béquille, s'y agrippait en refusant la main de Catherine et se mettait debout après un méritoire effort. Et comme Catherine, alarmée, craignant de l'avoir offensée, demandait avec inquiétude :

— Où allez-vous, Ermengarde ?. Je vous en prie, ne prenez pas mal ce que je vais vous dire, mais...

— Où voulez-vous que j'aille ? grogna la vieille dame. Je vais dire à Béraud de battre un peu la ville pour nous trouver un autre cheval.

Ce garçon court peut- être vite, mais pas assez pour nous suivre jusqu'en Galice à pied !

Après quoi, étayée tant bien que mal sur ses béquilles, semblable à quelque vaisseau de haut bord donnant fortement de la bande, Ermengarde de Châteauvillain quitta majestueusement la cour de l'auberge.

Quinze jours plus tard, Catherine et son escorte, parvenue au pied des Pyrénées, franchissaient le gave d'Oloron sur l'antique pont fortifié de Sauveterre. Le voyage s'était déroulé sans histoire car, dans les terres traversées, qui appartenaient pour la plupart à la puissante famille d'Armagnac, les routiers anglais n'étaient guère à craindre. Les places fortes qu'ils tenaient encore en leur pouvoir se situaient surtout en Guyenne et, peu soucieux de se créer des histoires avec le comte Jean IV d'Armagnac, dont la politique envers eux se montrait étrangement souple depuis quelque temps, ils se gardaient bien d'empiéter sur ses domaines.

Par Cahors, Moissac, Lectoure, Condom, Eauze, Aire-sur-Adour et Orthez, Catherine, Ermengarde et leurs gens avaient enfin atteint les montagnes qui les séparaient de l'Espagne. Mais la patience de Catherine était à bout. Depuis que l'on avait quitté les pèlerins de Gerbert Bohat, Ermengarde de Châteauvillain semblait avoir perdu tout à coup sa hâte d'arriver à destination. Elle qui, la veille encore, excitait l'impatience de Catherine, lui démontrant vigoureusement l'avantage qu'il y aurait à laisser en arrière la colonne trop lente des pèlerins, voilà qu'elle semblait mettre un malin plaisir à ralentir leur marche !

Au début, Catherine n'avait rien soupçonné. Il avait fallu demeurer une journée à Figeac pour procurer une monture à Josse Rallard. À

Cahors aussi l'on était demeuré deux nuits : c'était un dimanche et Ermengarde assurait que, sur les routes saintes, il ne portait pas bonheur de ne pas respecter le jour du Seigneur. C'était acceptable et, par amitié, Catherine avait refréné son impatience, mais quand, à Condom, la douairière avait voulu s'attarder pour assister à une fête, la jeune femme n'avait pu se retenir de protester.

— Oubliez-vous que je ne fais pas ce voyage par plaisir et que les fêtes n'ont pour moi aucune importance ? Vous savez ma hâte d'arriver en Galice, Ermengarde. Que venez-vous me parler de fêtes locales ?

Sans se démonter, Ermengarde, jamais à court, avait objecté qu'une trop grande tension d'esprit est néfaste au bon fonctionnement du corps et qu'il est salutaire, même lorsqu'on est pressé, de prendre un peu son temps. Naturellement, Catherine n'avait rien voulu entendre.

— Autant valait, dans ce cas, aller jusqu'au bout du vœu que j'avais fait et demeurer avec Gerbert Bohat !

— Vous oubliez qu'il ne dépendait pas de votre volonté de demeurer avec les pèlerins, ma chère !

Catherine, alors, avait regardé son amie avec curiosité.

— Je ne vous comprends pas, Ermengarde. Vous sembliez désireuse de m'aider et, tout à coup, on dirait que vous avez changé d'avis ?

— C'est bien parce que je souhaite vous aider que je vous prêche la modération. Qui sait si vous n'allez pas au-devant de cruelles déceptions ? Dans ce cas, vous les rencontrerez toujours assez tôt !

Cette fois, Catherine n'avait pas répondu. Les paroles de son amie correspondaient trop à ses angoisses constantes pour ne pas ressentir cruellement leur écho. Cette entreprise était folle, elle le savait bien, et ce n'était pas la première fois qu'elle se disait combien minces étaient ses chances de retrouver Arnaud. Souvent, la nuit, au cœur de l'obscurité, dans ces heures sombres et lourdes où les angoisses décuplées entretiennent l'insomnie et font battre le cœur sans qu'il soit possible de le calmer, elle demeurait éveillée, couchée sur le dos, les yeux grands ouverts, essayant de faire taire sa raison qui lui conseillait d'abandonner, de retourner à Montsalvy auprès de son enfant et d'y entamer courageusement une vie tout entière consacrée à Michel. Parfois, elle était prête à céder, mais, quand l'aube pointait, chassant les fantômes déprimants, Catherine se retrouvait plus acharnée que jamais à la poursuite de son rêve : revoir Arnaud, ne fût-ce qu'un instant, lui parler une fois encore. Ensuite...

Elle n'en éprouvait pas moins une pénible impression à constater qu'au lieu des encouragements dont elle avait tant besoin elle ne trouvait plus chez son amie que scepticisme et conseils de prudence.

Ermengarde, elle le savait bien, n'avait jamais aimé Arnaud. Elle appréciait en lui la race, la vaillance et le talent d'homme de guerre, mais elle avait, de tout temps, été persuadée que Catherine ne pouvait trouver auprès de lui que douleur et désenchantement.

Pourtant, ce matin, tandis que les sabots de son cheval résonnaient sur les pierres du vieux pont, il n'y avait place que pour l'espoir dans le cœur de Catherine. Sourde aux grondements du gave écumeux dont les eaux blanches roulaient sous ses pas, elle regardait avec une stupeur émerveillée ces immenses montagnes dont les sommets aigus, en dents de scie, s'encapuchonnaient de neige éclatante. Pour l'enfant des plaines qu'elle était et qui n'avait connu, en fait de montagnes, que les formes adoucies de l'Auvergne, ce gigantesque décor formait une barrière à la fois redoutable et exaltante où aucun chemin ne paraissait possible. Elle ne put s'empêcher de songer à haute voix :