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— Tu vas donc me quitter encore, Mansour ? Quand te reverrai-je

? — Il ne tient qu'à toi de me suivre ! Pourquoi demeurer auprès de cet homme qui ne t'a apporté que déceptions et douleurs ? Je t'aime, tu le sais, et je peux te donner le bonheur. Le Grand Sultan t'accueillerait avec joie...

— Il n'accueillerait pas une épouse adultère. Tant que Muhammad vivra il me faudra demeurer. Maintenant, il te faut songer à mettre la mer entre lui et toi. Quelle route prends-tu ? Motril ?

Le cavalier noir secoua la tête.

Trop facile ! C'est là qu'on me cherchera en premier lieu. Non.

Almeria ! Le chemin est plus long, mais le prince Abdallah est mon ami et j'ai un navire dans le port.

— Alors, emmène le Franc et son épouse. Seuls, ils sont perdus : les cavaliers de Muhammad les auront vite repris. Avec toi, ils ont une chance...

— Laquelle ? Leur description doit, à cette minute, partir à francs étriers pour tous les postes frontières et tous les ports... Moi, je m'en sortirai toujours parce que j'ai des alliés, des amis, des serviteurs partout. Mais je ne donne pas cher de leur peau.

Sans laisser à Catherine le temps de s'affoler, Abou- al-Khayr intervint :

— Un moment, seigneur Mansour ! Accepte seulement de les emmener avec toi et je me charge de les dissimuler. J'ai pour cela une idée. D'ailleurs, je vous accompagnerai, si tu le permets. Tant que mes amis ne seront pas définitivement hors de portée des bourreaux du Calife, je ne regagnerai pas ma demeure.

Le petit médecin avait parlé avec tant de grandeur simple et de vraie noblesse que Mansour n'osa pas refuser.

Tandis que Catherine serrait doucement, dans un geste de gratitude profonde, la main de son ami, il bougonna :

— C'est bon ! Fais comme tu l'entends, Abou le Médecin, mais sache ceci : dans la moitié d'une heure seulement, je quitterai ce palais

! Le temps, je te l'ai dit, de réconforter hommes et chevaux. Si tes protégés ne sont point prêts à m'accompagner, ils resteront. J'ai dit !

Abou-al-Khayr se contenta de s'incliner en silence. Mansour, tournant les talons, rejoignit le sombre escadron qui, rigide, attendait, massé près de la porte, brides aux bras, mur noir troué d'yeux luisants.

Le chef leur dit quelques mots et, silencieusement, l'un derrière l'autre, ils gagnèrent les communs du palais. Le médecin, alors, se tourna vers Catherine et vers Amina :

— Venez, dit-il, nous n'avons pas beaucoup de temps.

Mais, en franchissant le seuil du palais, une idée traversa Catherine. D'un geste vif, elle détacha la fabuleuse ceinture d'Harounal-Raschid et la tendit à la sultane.

— Tiens ! dit-elle, cette ceinture t'appartient. Pour rien au monde, je ne voudrais l'emporter.

Un instant, les doigts minces d'Amina caressèrent les énormes gemmes. Il y avait une tristesse dans sa voix quand elle murmura :

— Le jour où je l'ai portée pour la première fois, je croyais bien qu'elle était la chaîne même du bonheur... Mais j'ai compris, par la suite, que c'était bien une chaîne, rien qu'une chaîne... et fort lourde.

Ce soir, j'ai espéré que mes entraves se briseraient... Hélas, elles sont toujours là et tu m'en rapportes la preuve ! N'importe ! Sois-en tout de même remerciée...

Les deux femmes allaient passer dans les appartements privés d'Amina, sur les pas du médecin, quand deux esclaves noires, grandes et vigoureuses sous des robes rayées de brun, apparurent, moitié portant, moitié traînant une femme beaucoup plus petite, toute vêtue de noir et qui se débattait comme une furie.

— On l'a trouvée à la porte ! fit l'une des deux esclaves. Elle criait qu'elle voulait voir Abou le Médecin, qu'on lui a dit, à sa maison, qu'il se trouvait ici...

— Lâchez-la, ordonna Abou qui, ajouta, tourné vers la nouvelle venue : Que veux-tu ?

Mais celle-ci ne lui répondit pas. Elle venait de reconnaître Catherine et, avec un cri de joie, elle arrachait son voile noir, se précipitait vers elle.

— Enfin, je te retrouve ! Tu avais pourtant promis de ne pas partir sans moi.

— Marie ! s'écria la jeune femme avec un mélange de joie et de honte tout à la fois car, au milieu de ses angoisses, elle avait oublié Marie et la promesse qu'elle lui avait faite : - Comment as-tu fait pour fuir et pour me retrouver ? ajouta-t-elle en l'embrassant.

Facile ! J'étais au milieu des autres pour... pour l'exécution. Je ne t'ai pas quittée des yeux un seul instant et je t'ai vue fuir avec le médecin.

Il y avait un tel tumulte sur la place que j'ai pu me glisser dans la foule qui s'éparpillait de tous côtés. Les gardes et les eunuques avaient bien autre chose à faire qu'à nous surveiller. Je suis allée chez Abou-al-Khayr où j'espérais te retrouver, mais on m'a dit qu'il soignait la sultane Amina et devait être à l'Alcazar Genil. Alors, me voilà ! Tu...

tu n'es pas fâchée que je sois venue ? ajouta la petite avec une soudaine inquiétude. Tu sais, j'ai tellement envie de retourner en France ! J'aime bien mieux moucher des gosses, cuire le pot et laver les écuelles que bâiller d'ennui dans la soie et le velours au milieu d'une prison dorée et d'une bande de femelles en folie !

Pour toute réponse, Catherine embrassa de nouveau la jeune fille et se mit à rire.

— Tu as bien fait et c'est moi qui te demande pardon d'avoir manqué à ma promesse. Ce n'était pas tout à fait de ma faute...

— Je le sais bien ! L'important, c'est d'être ensemble !...

— Quand vous en aurez terminé avec les politesses, coupa la voix railleuse d'Abou-al-Khayr, vous voudrez peut-être vous souvenir que le temps presse et que Mansour n'attendra pas.

Une demi-heure plus tard, la troupe silencieuse qui sortait de l'Alcazar Genil n'avait plus rien de commun avec celle qui était entrée, peu avant, sous la conduite furieuse de Mansour ben Zegris. Les sombres cavaliers aux visages voilés s'étaient mués en gardes réguliers du Calife, les selhams noirs remplacés par des burnous blancs. Mansour lui-même avait abandonné vêtements brodés d'or et fabuleux rubis entre les mains d'Amina et portait la tenue d'un simple officier.

Gauthier et Josse étaient mêlés aux soldats, le casque enturbanné enfoncé jusqu'aux yeux, et serraient de près une grande litière aux rideaux de soie hermétiquement fermés qui formait le centre du cortège.

Dans cette litière, Arnaud, toujours inconscient, était étendu sous la surveillance attentive d'Abou-al-Khayr, de Catherine et de Marie. Les deux femmes étaient habillées en servantes de bonne maison et, tandis que Marie, armée d'un chasse-mouches en plumes, éventait le blessé, Catherine se contentait de tenir entre les siennes l'une des mains entourées de bandages. Elle brûlait de fièvre, cette main, et Catherine anxieuse ne quittait pas des yeux le visage aux yeux clos, momentanément dévoilé. Car la grande habileté d'Abou-al-Khayr avait été de faire habiller Arnaud de somptueux vêtements féminins, les plus grands qu'on ait pu trouver. Emmitouflé d'amples voiles de léger satin bleu nuit rayé d'or, en pantalons bouffants et babouches brodées, le chevalier figurait assez bien la grande dame, âgée et malade, qu'il était censé représenter. Cet étrange accoutrement avait détendu les nerfs de Catherine. Il apportait une note amusante qui, de cette fuite précipitée, faisait une manière de fugue où l'amour avait son mot à dire. Et puis, ce qui comptait avant tout, c'était le départ, c'était le fait de quitter cette ville étrange et dangereuse d'où ils avaient, peu de temps auparavant, si peu de chances de sortir. Aussi fut-ce d'un ton calme qu'elle demanda à Mansour, en prenant place sur les matelas de la literie :

— Que dirons-nous si nous rencontrons les gens du Calife ?

— Que nous escortons la vieille princesse Zeinab, grand-mère de l'émir Abdallah qui règne à Almeria. Elle est censée regagner son palais après une visite à notre sultane dont elle est, depuis longtemps, l'amie.