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— Un cheval ! Une arme ! répéta-t-il.

— Voilà une arme, fit calmement Josse en lui tendant son propre cimeterre. Vous saurez mieux que moi vous servir de ce tranchoir.

Quant au cheval, prenez le mien.

— Et toi ?

— Je vais récupérer le cheval du cavalier qui a fait le grand saut.

Ne vous tourmentez pas.

— Arnaud ! cria Catherine avec angoisse. Je t'en supplie...

Mais il ne l'écoutait pas. Il avait déjà sauté en selle et, pressant le flanc de la bête de ses talons nus, rejoignait Mansour et Gauthier, engagés dans un combat furieux à un contre dix. Son arrivée produisit l'effet d'une bombe. Ce grand gaillard en vêtements féminins, empêtré de mousselines bleues, qui attaquait en poussant des cris affreux, causa chez l'ennemi une stupeur dont Mansour, réprimant une bonne envie de rire, profita. Quant à Catherine, le spectacle eut raison, un instant, de ses craintes, et elle se mit à rire, franchement, joyeusement

: Arnaud, avec ses pantalons-jupes, était irrésistible ! Mais ce ne fut qu'un instant. Bientôt Catherine, se laissant retomber sur ses coussins, jetait à Abou un regard de noyée.

— Il est fou ! soupira-t-elle. Comment pourrait-il supporter ce combat, alors qu'il y a seulement deux jours...

— Pendant deux jours, il a mangé, il a bu, il s'est reposé,, fit le petit médecin qui roulait calmement entre ses doigts les grains polis d'un chapelet d'ambre. Ton époux est d'une vigueur peu commune. Tu ne pensais pas sérieusement qu'il pourrait écouter sans broncher le fracas des sabres ? Les cris féroces de la guerre sont, à ses oreilles, comme le chant si doux du luth et de la harpe.

— Mais... ses mains ?

— Les blessures, tu l'as vu, se referment. Et il sait bien, si son sang coule de nouveau, que je l'arrêterai une fois encore.

Et, avec un sourire encourageant, Abou-al-Khayr se remit à invoquer silencieusement Allah et Mahomet, son prophète, pour l'issue du combat dont Catherine, oubliant son accès de gaieté passagère, suivait maintenant les phases avec terreur. Les brigands semblaient une multitude. Ils fourmillaient, enveloppant les cavaliers de Mansour d'une forêt d'éclairs, mais les hommes du désert et du Grand Atlas savaient se battre au moins aussi bien que les bandits de la Sierra. Ils formaient un groupe aussi solide qu'un rocher autour de la litière et Catherine était au centre d'un tourbillon flamboyant d'armes. Un peu plus loin, Mansour, Arnaud et Gauthier combattaient vaillamment.

Les hommes tombaient, sous leurs coups, comme des mouches.

Catherine entendit rire Arnaud dans la mêlée et ne put retenir un mouvement d'humeur. Il était là dans son élément réel, enfin retrouvé.

« Jamais, songea-t-elle avec ressentiment, il n'est aussi heureux qu'au plein d'une bataille. Même entre mes bras, il ne connaît pas une telle plénitude... »

Une voix perçante, criarde, lui parvint :

— Tu ne m'échapperas pas, Mansour ben Zegris ! Quand j'ai appris ta fuite, j'ai compris que tu essayerai de gagner Almeria par ce chemin difficile et tu es venu tout droit dans mon piège...

C'était Faradj qui narguait son ennemi. Le petit homme était, lui aussi, un redoutable guerrier et le duel qui l'opposait à Mansour était féroce.

— Ton piège ? répliqua dédaigneusement le prince. Tu te fais trop d'honneur. Je savais que tu campais dans ces parages et je ne te crains pas. Mais tu fais fausse route si tu espères de l'or ou des joyaux. Nous n'avons que nos armes...

— Tu oublies ta tête ! Le Calife me la paiera dix fois son poids d'or et je rentrerai enfin dans Grenade en triomphateur.

— Quand ta tête à toi pourrira sur le rempart, alors, oui, tu pourras contempler Grenade en triomphateur.

Le reste de l'altercation se perdit dans le fracas des armes.

Catherine s'était pelotonnée contre Marie et les deux femmes suivaient la bataille avec angoisse.

— Si nous sommes reprises, murmura la jeune fille, tu auras la vie sauve car Muhammad t'aime... mais moi je serai livrée au bourreau et empalée !

— Nous ne serons pas reprises, affirma Catherine avec une confiance que, cependant, elle était loin d'éprouver.

Le jour baissait vite. Seules, les crêtes neigeuses demeuraient encore rouges de soleil. Les pentes s'assombrissaient. La mort traçait des vides dans les deux camps. Parfois, avec un râle désespéré qui déchirait le tumulte, un cheval et son cavalier culbutaient dans le torrent.

Mansour, Arnaud et Gauthier se battaient toujours et, dans les rangs des brigands, les pertes étaient sévères alors que cinq hommes seulement étaient tombés du côté des fuyards. Mais le combat durait, la nuit allait venir et Catherine, les nerfs tendus à craquer, enfonçait ses ongles dans ses paumes pour ne pas crier. Auprès d'elle, Marie respirait avec peine, les yeux rivés à ces guerriers dont la victoire ou la défaite pouvaient avoir, pour elle, de si terribles conséquences.

Abou-al-Khayr priait toujours...

Et puis, il y eut un double cri, affreux, déchirant, qui, au mépris de tout danger, jeta Catherine hors de la litière. Le cimeterre vigoureusement manié par Arnaud venait de fendre la tête de Faradj le Borgne qui tomba à terre comme une masse. Mais la jeune femme ne lui accorda qu'un regard rapide, fascinée qu'elle était par une épouvantable image : Gauthier, toujours à cheval, la bouche grande ouverte sur ce cri qui ne finissait pas et une lance enfoncée en pleine poitrine.

Les yeux de Catherine et ceux du géant se croisèrent. Elle lut dans le regard de son ami une immense surprise, puis d'une masse, comme un chêne foudroyé, le Normand glissa à terre.

— Gauthier ! cria la jeune femme ! Mon Dieu !...

Elle courut vers lui, s'agenouilla, mais déjà Arnaud avait sauté de cheval, se précipitait et l'écartait.

— Laisse ! N'y touche pas...

À son appel, Abou-al-Khayr accourut, fronça les sourcils.

Vivement, il s'agenouilla, posa la main sur le cœur du géant abattu.

Un mince filet de sang coulait du coin de la bouche.

— Il vit encore, fit le médecin. Il faudrait ôter l'arme doucement...

tout doucement ! Peux-tu faire cela pendant que je le maintiendrai ?

demanda-t-il à Montsalvy.

Pour toute réponse, celui-ci arracha sans hésiter les pansements qui enveloppaient encore ses mains blessées et qui risquaient de glisser sur le bois de la lance. Puis, fermement, il empoigna l'arme tandis qu'Abou écartait avec précaution les lèvres de la plaie et que Catherine, avec un coin de son voile, essuyait le sang des commissures.

— Maintenant... fit le petit médecin. Doucement, tout doucement ! Nous pouvons le tuer en ôtant cette lance.

Arnaud tira. Pouce par pouce, l'arme meurtrière glissa, remontant des profondeurs de la poitrine... Catherine retenait son souffle, craignant que chaque respiration de Gauthier ne fût la dernière. Les larmes brouillaient ses yeux, mais elle les retenait courageusement.

Enfin, la lance vint tout entière et Arnaud, d'un geste de colère, la jeta loin de lui tandis que le médecin se hâtait, au moyen de tampons que Marie avait hâtivement fabriqués avec ce qui lui était tombé sous la main en fait de tissus, d'étancher le nouvel écoulement de sang causé par le retrait de l'arme.

Autour d'eux, le silence s'était fait. Privés de leur chef, les brigands s'étaient enfuis sans que Mansour se donnât la peine de les poursuivre. Côté rebelles, les survivants du combat revenaient vers le groupe, formaient autour un cercle silencieux. Mansour essuya tranquillement son cimeterre avant de le raccrocher à sa ceinture puis se pencha sur le blessé. Son regard sombre croisa j celui d'Arnaud.

— Tu es un vaillant guerrier, seigneur infidèle, mais ton serviteur aussi est un brave ! Par Allah, s'il vit, je le prends comme lieutenant.

Penses-tu le sauver, médecin?

Abou, qui avec son habileté habituelle avait mis à nu la poitrine blessée, aidé par Catherine, hocha la tête d'un air de doute et la jeune femme constata, avec un affreux serrement de cœur, que son front ne se déridait pas.