Dès mon arrivée dans ce hourd, je n'ai vu qu'elle et, si vous le permettez, je m'en délecte. Oui, c'est le mot, je m'en délecte !
Catherine, en effet, portait ce jour-là les améthystes que Garin lui avait offertes pour leurs fiançailles et, afin que rien ne vint détourner l'attention de la splendeur des pierreries, sa robe était de simple satin blanc à reflets mauves, mais un merveilleux satin souple qui épousait les courbes de son corps jusqu'aux hanches, comme un drap mouillé.
Le hennin était fait du même satin, recouvert d'une fine dentelle blanche qui retombait en nuage sur les épaules découvertes de la jeune femme. Elle s'était parée avec un soin tout particulier et quasi désespéré. Pour regarder Arnaud risquer sa vie, elle s'était voulue plus belle que jamais. Il fallait qu'il la vît, qu'il pût la distinguer parmi tous les autres spectateurs.
Elle et Ermengarde étaient arrivées de bonne heure afin d'être bien placées dans la tribune réservée à la maison des princesses mais, depuis quelques instants, le fragile et brillant édifice s'emplissait d'une foule de nobles spectateurs : dames et damoiselles en atours brillants, jeunes seigneurs bavards et excités, graves conseillers et aussi quelques vieux chevaliers qui venaient réchauffer leurs souvenirs à la vue des exploits d'autrui. Catherine vit arriver Marie de Vaugrigneuse et remarqua le pincement des lèvres de la jeune fille en constatant que la dame de Brazey avait place au premier rang.
Pendant ce temps, Jean de Saint-Rémy s'était installé auprès d'elle et bavardait sans arrêt, commentant telle ou telle toilette, nommant les arrivants avec une verve et un esprit, souvent acérés, mais amusants, Par-dessus Catherine placée entre eux deux, Ermengarde lui donnait la réplique et leurs propos distrayaient la jeune femme de son angoisse. Pourtant, elle ne put se retenir de demander :
— Vous avez déjà vu combattre le comte de Montsalvy, messire de Saint-Rémy ? Est-ce que vous pensez, comme chacun ici, qu'il n'a aucune chance devant le bâtard de Vendôme ?
Ermengarde laissa échapper un énorme soupir, à la fois compréhensif et ennuyé, mais Saint-Rémy étendit ses longues jambes et se mit à rire. Il se pencha confidentiellement vers sa voisine : Ne le répétez pas, car je me ferais honnir. Je crois, moi, que le bâtard aura bien du mal à venir à bout de messire Arnaud. Lionel a pour lui une force de taureau, mais Montsalvy tient debout... et il a le plus affreux caractère que je connaisse dans tout le royaume de France. Il se gardera bien de mourir, sauf s'il y est absolument forcé. Et cela dans le seul but de contrarier son adversaire...
Il se mit à rire, d'un air nonchalant, un peu niais, mais qui donnait bien le change sur son exact degré d'intelligence. Catherine, extraordinairement remontée, d'un seul coup, lui fit écho. Elle se sentait soulagée d'un grand poids et la confiance lui revenait. Mais, à son grand regret, il ne lui fut pas possible de continuer la conversation car, dans la grande loge centrale toute tendue de velours pourpre à crépines d'or, le duc Philippe et les princes faisaient leur entrée. Une immense ovation les salua. Philippe était vêtu de noir à son habitude, un vaste chaperon sur la tête et un collier de diamants, gros comme des noisettes, autour du cou. Il était pâle mais impassible. Catherine remarqua qu'il laissait, un instant, son regard peser sur le champ clos où éclataient les vivats du petit peuple contenu par les barrières, mais qu'il ne souriait pas. Avec lui apparurent les deux couples de fiancés : Bedford, impassible et terriblement anglais, conduisant Anne d'une main solennelle, puis Richemont et Marguerite qui se souriaient, tout occupés d'eux-mêmes. Le duc de Bretagne venait entre les deux couples et les nobles spectateurs prirent place dans les fauteuils armoriés préparés pour eux. Derrière celui de Philippe, dans l'ombre, Catherine aperçut son mari et Nicolas Rolin. Les deux hommes discutaient et ne regardaient pas la lice.
A peine assis, le duc Philippe fit un geste de la main. Vingt trompettes s'alignèrent devant les tribunes, embouchèrent leurs instruments et lancèrent, vers le ciel qui se couvrait de nuages, un strident appel.
Catherine sentit ses mains se glacer, ses joues se creuser tandis qu'un frisson glissait le long de son échine : le moment du combat était venu
! Entre les cordes, tendues en travers de la lice et qui coupaient le champ clos de part et d'autre d'un étroit couloir, s'avança Beaumont, héraut d'armes de Bourgogne, un bâton blanc à la main. Derrière lui se rangèrent six poursuivants d'armes en tabard armorié. Jean de Saint-Rémy les nomma tout bas à Catherine. C'étaient Fusil, Germoles, Montréal, Pèlerin, Talant et Noyers. Le jeune conseiller semblait extrêmement surexcité.
— Monseigneur m'a promis qu'au jour où il créerait l'ordre de chevalerie dont il rêve comme emblème de sa gloire, j'en deviendrai le roi d'armes ! confia- t-il à Catherine.
— Ce serait merveilleux, fit machinalement Catherine qui s'en moquait éperdument.
Toute son attention était centrée sur Beaumont. Il proclamait, dans le silence qui avait suivi l'appel des trompettes, les termes et clauses du combat. Depuis vingt-quatre heures, les hérauts des deux partis parcouraient la ville en répétant, à chaque carrefour, ces mêmes clauses. Catherine les savait par cœur. Mentalement, elle récitait en même temps que Beaumont : « ... les armes choisies sont la lance et la hache d'armes. Il sera couru six lances de part et d'autre... » Les mots frappaient, sans entrer, son oreille et sa mémoire. De tout son cœur, tandis que s'achevait la proclamation, Catherine adressait une fervente prière à la petite vierge noire de Dijon, à Notre-Dame-de- Bon-Espoir...
« Protégez-le, implorait-elle fiévreusement, protégez-le, douce mère du Sauveur ! Faites que nul mal ne lui advienne. Qu'il vive, surtout, qu'il vive... même si je devais le perdre à jamais ! Qu'au moins je puisse penser qu'il respire quelque part, sous le même ciel que moi. Sauvez-le-moi, Notre-Dame, sauvez-le !... »
Puis, d'un coup, sa gorge se sécha. À l'appel du héraut, le bâtard de Vendôme, à cheval et armé de toutes pièces, était arrivé au petit trot et se rangeait devant le duc. Avec terreur, Catherine regarda le gigantesque chevalier, ses armes d'acier bleu, son cheval roux disparaissant sous la cotte de soie et le caparaçon pourpre. Sur son casque, entre deux cornes de taureau s'érigeait un lion d'or, son emblème. Il avait l'air d'un mur rouge et gris ! Il était hallucinant !
Catherine, fascinée, ne pouvait en détacher ses yeux mais un cri de surprise, sorti de mille poitrines, la fit sursauter.
— Oh ! fit Saint-Rémy à la fois admiratif et scandalisé, quelle audace !... ou quelle faveur insigne !...
Ermengarde était restée sans voix. Quant à Catherine, elle vit, comme dans un rêve, Arnaud sortir à cheval et tout armé de son pavillon. Au pas lent de son destrier noir, il s'avança jusqu'à la tribune ducale dans un silence impressionnant. Le gigantesque Lionel de Vendôme le regardait approcher avec une insolite expression de respect. C'est que celui qui s'avançait n'était plus le chevalier à l'épervier de l'autre soir. Par faveur insigne, sans doute, comme le disait Saint-Rémy, Arnaud de Montsalvy portait les armes du Roi de France !
Par-dessus son armure, il portait une cotte de soie bleue fleurdelisée d'or, assortie à la housse qui enveloppait le cheval jusqu'aux sabots.
Bleus et or étaient les lambrequins de cuir découpés qui tombaient du casque et protégeaient la nuque. Sur le heaume, enfin, l'épervier noir et la couronne comtale avaient fait place à une haute fleur de lys d'or à chaque pointe de laquelle brillait un gros saphir. Le cheval, lui aussi, portait, sur la tête, la fleur de lys. Une seule chose indiquait qu'il ne s'agissait pas là du Roi en personne : autour du casque, la couronne royale avait été remplacée par un simple tortil bleu et or. Ventaille relevée, laissant voir son visage immobile, Arnaud s'avançait sous les armes royales, splendide image de chevalerie, éclatant symbole féodal qui forçait le respect.