— Je vous aime, répéta-t-elle, plus bas et plus ardemment. Je vous ai toujours aimé, depuis la minute où je vous ai vu. Souvenez-vous...
Souvenez-vous de cette aube où, à votre réveil, vous m'avez trouvée auprès de vous. Rien d'autre alors n'occupait votre esprit... sinon que je vous plaisais. Et moi, j'ai accepté vos caresses, j'ai été bien près de m'abandonner tout entière sans pudeur et sans regrets ! Parce que je ne m'appartenais déjà plus et que, du fond de mon âme, je vous avais fait don de moi-même. Pourquoi détour- nez-vous la tête ? Pourquoi ne me regardez-vous pas ? Est-ce que je vous fais peur, Arnaud ?
C'était la première fois qu'elle osait lui donner son nom, mais il ne se révolta pas. Par bravade, il la regarda au fond des yeux.
Peur ? Non. Je n'ai pas peur de vous, ni de vos sortilèges. De moi, peut-être... et encore ! Que venez- vous me parler d'amour ? Croyez-vous donc que je puisse être dupe de vos paroles ? Vous les prononcez si aisément, ma belle, qu'il faudrait être bien fou pour y croire !
Il s'animait à mesure qu'il parlait, chauffant ainsi sa colère qui était sa meilleure défense.
— Vous ne croyez pas à mon amour ? gémit Catherine atterrée.
Mais... pourquoi ?
— Parce que les mots dits à tous n'ont aucune valeur, voilà tout !
Comptons ensemble, voulez-vous ? J'imagine que vous les avez dits à votre gracieux époux... et au duc Philippe, puisqu'il est votre amant ?
À qui encore ? Oh ! peut-être à ce jeune et charmant capitaine qui vous courait après pour vous escorter sur la route de Flandres ? Cela fait donc au moins trois, plus tous ceux que j'ignore.
Malgré la promesse qu'elle s'était faite de ne point se fâcher, Catherine n'y put tenir. Ce ton persifleur était intolérable alors qu'elle venait à lui avec des mots d'amour. Son visage s'empourpra brusquement. Elle frappa du pied.
— Cessez donc de parler de ce que vous ignorez ! J'ai dit que je vous aimais et je le redis... Je dis maintenant que je suis pure... malgré le mariage, car mon époux ne m'a point touchée !
— Ni le duc ? lança Arnaud avec hauteur.
— Ni le duc ! Il me recherche mais je ne suis point à lui... ni à personne sauf à vous... si vous voulez !
— Qui me prouve que vous dites la vérité ?
La colère de Catherine tomba aussi soudainement qu'elle s'était levée. Elle enveloppa le jeune homme d'un rayonnant sourire.
— Oh... mon doux seigneur, c'est chose bien facile à prouver, il me semble !
Elle n'en dit pas plus. Ce fut lui qui fit un pas vers elle, attiré irrésistiblement par le clair visage qui brillait si doucement dans l'ombre bleue de la tente. Catherine lut, sur le visage crispé du chevalier, une irrésistible tentation, le même désir sans masque qu'au matin de Tournai. Elle sentit qu'il oubliait à cet instant tout ce qui n'était pas l'adorable forme féminine si proche de lui, qu'elle tenait sa victoire ! Elle enjamba sans le quitter des yeux, le coffret aux onguents, se coula contre la poitrine d'Arnaud et, dressée sur la pointe des pieds, glissa les bras autour de son cou et offrit ses lèvres. Il se raidit. Elle sentit la contraction de tous ses muscles comme si son corps tentait instinctivement de la repousser. Dérisoire défense ! La séduction du corps souple collé au sien agissait sur le jeune homme comme un filtre. Il perdit le contrôle de sa volonté à l'instant précis où Catherine, cessant de vouloir elle aussi, se laissait emporter par la passion et la tempête de ses sens. Tout s'effaça : les murs bleus de la tente, l'heure, le lieu, et jusqu'au vacarme qui venait du champ clos où trois mille gosiers braillaient avec ardeur.
Arnaud étreignit Catherine, l'écrasant contre sa poitrine avec une brutalité sauvage. Possédé d'une faim profonde, vieille de plusieurs mois et qu'il n'avait jamais réussi à assouvir, il s'empara des jolies lèvres, si fraîches et si roses, qui tentaient sa bouche, se mit à les dévorer de baisers passionnés. Il la serrait si fort contre lui que Catherine, bouleversée de bonheur, sentait contre son sein droit les battements affolés de son cœur. Leur deux souffles ne faisaient plus qu'un et la jeune femme crut mourir sous cette bouche exigeante qui aspirait sa vie même...
Perdus dans leur extase amoureuse, ils vacillaient sur leurs jambes amollies, noués l'un à l'autre comme deux arbustes solitaires au milieu d'une lande battue par la tempête. Ils n'entendirent pas revenir Xaintrailles, rouge, soufflant comme un forgeron et la lèvre fendue.
Le chevalier, son heaume défoncé sous le bras, s'arrêta à la porte avec un haut-le-corps. Mais un large sourire silencieux s'étendit sur son visage carré. Sans se presser et sans quitter des yeux le couple enlacé, il entra, se versa une rasade de vin qu'il avala d'un trait. Puis, après avoir enjoint d'un geste autoritaire aux écuyers d'avoir à rester dehors, il commença sans se presser, à ôter lui-même les différentes pièces de son armure. Il en était à la cubitière droite quand Arnaud, levant légèrement la tête, l'aperçut... et lâcha si brusquement Catherine qu'elle dut se raccrocher à son épaule pour ne pas tomber.
— Tu ne pouvais pas dire que tu étais là ?
— Je m'en serais voulu de vous déranger, riposta Xaintrailles. Ne vous gênez surtout pas pour moi ! J'achève de m'éplucher et je sors...
Tout en parlant, il continuait d'ôter les pièces d'acier. Il en était maintenant aux cuissards, plus avancé en cela que son ami qui avait toujours les siens. Catherine, nichée contre la poitrine d'Arnaud, le regardait faire en souriant. Elle n'éprouvait aucune honte, ni même aucune gêne d'avoir été surprise ainsi dans les bras de l'homme qu'elle aimait. Arnaud était à elle, elle était à Arnaud, l'entrée même de Garin n'eût rien changé ! Le jeune homme avait passé un bras autour d'elle, comme s'il avait peur qu'elle lui échappât, mais il continuait à surveiller le déshabillage de Xaintrailles.
— Rebecque ? interrogea-t-il. Qu'est-ce que tu en as fait ?
— Il aura du mal à s'asseoir pendant un moment, et il doit avoir une énorme bosse au crâne, mais il est entier.
— Tu lui as laissé la vie ?
— Parbleu ! Il ne méritait pas mieux, ce jeune blanc-bec ! Si tu l'avais vu : il tenait sa hache comme un cierge d'église. Ma parole, j'en étais tout attendri...
Xaintrailles avait fini d'ôter sa carapace. En chemise et chausses collantes, il procédait à une rapide remise à neuf avec un parfum dont il versait de généreuses ondées sur ses cheveux roux. Puis il prit dans un coffre un pourpoint court, en velours vert brodé d'argent, chaussa d'interminables poulaines de même tissu. Ceci fait, il adressa à Catherine un profond et cérémonieux salut !
— Je me jette à vos genoux, trop belle dame ! Et je m'en vais au-dehors pleurer ma mauvaise étoile... et votre manque de goût. En même temps, je referai connaissance avec le bon vin de Beaune. Ces sacrés Bourguignons ont au moins cela de bon : leurs vins !
Il sortit, splendide, majestueux et soupirant à fendre l'âme. Arnaud se mit à rire et Catherine avec lui. L'immense bonheur qu'elle éprouvait à cet instant, lui rendait cher chacun des êtres et des choses qui entouraient son bien-aimé. Xaintrailles aux cheveux rouges lui plaisait. Pour un peu elle eût éprouvé de l'affection pour lui...
Mais Arnaud, maintenant, revenait à elle. Doucement il la fit asseoir sur le lit de camp, prit entre ses deux mains le ravissant visage ému pour mieux le contempler. Il se pencha vers lui.
— Comment as-tu deviné que je t'appelais, mur- mura-t-il, que j'avais désespérément besoin de toi ? Tout à l'heure, quand la mort était si près de moi, j'ai eu envie de bondir dans cette tribune et de te voler un baiser pour, au moins, quitter ce monde avec le goût de tes lèvres...
Il l'embrassait à nouveau, à petits coups rapides et doux qui couvraient son visage. Catherine le regardait avec adoration.