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Il exigea pourtant de se rendre compte de l'étendue des dégâts malgré la résistance choquée de Catherine et l'examina soigneusement, sur toutes les coutures, mais sans se livrer à aucun commentaire, ce qui soulagea grandement la jeune femme. Pourtant en passant un doigt soigneux le long du dos meurtri, il se permit une remarque :

— Curieux, l'effet de ces épines... ! Il faudra que je me rende tout exprès dans le Nord pour les examiner de près... fit-il avec un brin d'ironie et tant de bonhomie que Catherine se contenta de sourire sans répondre.

Par contre, il loua grandement l'emploi qu'avait fait Sara de son baume de Matarea, souverain pour toutes les blessures, se contentant seulement de préconiser, pour le visage, une pâte composée d'amandes douces, de bulbe d'iris du Levant, d'eau de rose, de myrrhe, de camphre et de graisse fine de porc, dont il lui remit un plein pot avec ordre de s'en servir matin et soir.

Il essaya, de même, d'adoucir la cuisante blessure laissée par le départ de Sara. Catherine ne parvenait pas à s'y faire. Elle souffrait de cet abandon brutal comme d'une injure et, peu à peu, la colère l'emportait sur le chagrin.

Depuis la fuite de Sara, une transformation s'opérait dans l'esprit de la jeune femme, une transformation en forme de révolte. Elle en avait plus qu'assez d'être le jouet que ballottent les événements. Il semblait que chacun prît à tâche de se servir d'elle, d'en user à son bon plaisir sans même lui demander si cela lui convenait. Philippe d'abord, qui s'arrogeait le droit de la marier contre sa volonté afin de pouvoir plus aisément se l'approprier. Garin, ensuite, qui l'épousait sans en faire sa femme et sans même se donner la peine d'expliquer les raisons de son attitude. Auprès de lui, Catherine en arrivait à ne plus bien savoir si elle était un objet d'art que l'on pare et que l'on expose ou une sorte d'esclave sur qui l'on a plein droit de vie et de mort.

Et, depuis la terrible correction qu'il lui avait infligée, elle penchait sérieusement pour cette dernière hypothèse car, sans l'arrivée opportune d'Ermengarde, il la tuait ou l'estropiait à jamais sans la moindre hésitation.

Que dire d'Arnaud qui l'attirait et la repoussait suivant son humeur changeante ? Celui-là abusait de l'amour immense de Catherine pour l'accabler de son mépris, se permettre de juger sa vie, sa conduite et même ses relations, tout en affectant de la traiter en créature inférieure. Et maintenant Sara, Sara qui avait toute sa confiance, qui était son amie et qui, sans un mot, sans un adieu, la quittait pour suivre une troupe errante qu'elle n'avait jamais vue, mais qui était de son sang !

La fuite de Sara était la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Catherine décida que le temps des concessions et des têtes courbées était terminé et que, désormais, elle conduirait elle-même son destin, comme bon lui semblerait, sans s'inquiéter de plaire ou de déplaire à qui que ce soit.

Puisque tous les autres considéraient qu'ils avaient droit, vis-à-vis d'elle, à une pleine liberté d'action, il n'y avait aucune raison pour qu'elle n'agît pas de la même façon...

Abou-al-Khayr avait suivi sur le visage mobile de Catherine le cheminement de sa pensée depuis le moment où il avait prononcé le nom de Sara. Tout en refaisant le pansement de sa main droite, il lui sourit et dit :

— Ton grand malheur est de trop croire aux choses et aux gens. La vie est une bataille où toutes les armes sont bonnes, une profonde forêt où le plus fort égorge le plus faible afin de se nourrir de sa chair.

— Je gage, fit Catherine avec un sourire en coin, qu'il y a dans votre pays un poète ou un philosophe qui a dit quelque chose là-dessus ?

— Il y en a beaucoup, c'est le fond de la philosophie la plus amère. Mais nous avons, en effet, un poète qui a dit :

Dans cette parade de foire, un ami ne le cherche pas, Ecoute ma parole, un refuge ne le cherche pas, Accepte la douleur, un remède ne le cherche pas, Vis joyeux dans les malheurs sans attendre qui te plaigne...

— C'est beau ! fit Catherine songeuse. De qui est- ce ? Hafiz encore ?

— Non. Omar Khayyâm... un ivrogne qui savait de quoi il parlait... la défection de ta servante te fait mal, mais puisque tu n'y peux rien, pourquoi te tourmenter ? La vie continue...

En effet, la vie continuait. Catherine reprit la sienne, partagée entre son service auprès de la duchesse-douairière, dont la santé déclinait de plus en plus, la tenue de sa maison et de nombreuses visites à sa mère et à son oncle Mathieu.

En juin, Catherine était complètement remise et ne portait plus trace de ses blessures, hormis une étroite et mince cicatrice rose sur le côté gauche du dos, assez bas, heureusement, pour ne pas déparer la splendeur de ses épaules. Mais elle n'avait aucune envie de se retrouver entre Philippe et Garin. Us assistaient, à Troyes, au mariage de la princesse Anne et du duc de Bedford, et, cette fois, sans le secours d'Ermengarde qui, pour rien au monde, n'aurait voulu quitter la duchesse-douairière gravement malade.

Après le mariage d'Anne, Marguerite de Guyenne revint auprès de sa mère tandis que Philippe accompagnait la nouvelle duchesse de Bedford à Paris où elle allait habiter le magnifique hôtel des Tournelles. Le mariage de Marguerite et de Richemont devait avoir lieu en octobre, à Dijon même.

Ainsi l'avait désiré la jeune femme pour être sûre de voir sa mère y assister, même de son lit. Catherine s'en réjouissait personnellement, car elle était à peu près certaine de ne pas revoir Garin avant cette date. Philippe avait à faire à Paris et en Flandres. Il ne reviendrait que pour le mariage. Garin resterait avec lui, comme d'habitude, vraisemblablement.

Au fond, Garin et ses agissements ne tourmentaient pas tellement Catherine parce qu'elle avait autre chose à faire. Il lui laissait une paix totale et c'était tout ce qu'elle lui demandait. Par contre, Philippe, lui ne se laissait pas oublier. Deux fois par semaine, environ, un messager couvert de poussière descendait, ou plutôt tombait de cheval, dans la cour de l'hôtel de Brazey. Il arrivait parfois que le cheval, exténué, s'abattît en même temps que son cavalier... Et, invariablement, la même cérémonie recommençait : l'envoyé mettait genou en terre, offrait d'une main une lettre, de l'autre un paquet.

Les lettres, en général, étaient courtes. Philippe le Bon n'était pas un grand épistolier. Quelques lignes tendres ou, le plus souvent, quelques vers empruntés à un poète. Mais les cadeaux étaient toujours d'une rare beauté...

Les chevaucheurs du duc n'apportèrent pourtant jamais de bijoux, Philippe considérant que c'eût été offenser Catherine. Seul un mari ou un amant pouvait offrir des joyaux. Ce qu'il envoyait, c'étaient de ravissants objets d'art, statuettes d'ambre, de jade, de cristal ou d'ivoire, reliquaires d'or aux émaux merveilleux, œuvres patientes des artisans limousins dont les couleurs concurrençaient les pierreries, ou encore des dentelles, des fourrures, des parfums, et même un automate : un jongleur vêtu de satin rouge qui lançait et rattrapait des balles dorées. En résumé, tout ce qui pouvait flatter la coquetterie d'une jolie femme ou attirer sa curiosité.

Catherine acceptait tout, remerciait d'un mot gracieux... et pensait à autre chose.