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Les nerfs surmenés de Jacquette lui interdisaient de se joindre à •

l'expédition. Ils la rendaient trop émotive donc dangereuse.

— Il n'arrivera rien à la petite, avait promis Barnabé. Mais surtout ne quittez pas l'entrepôt. Si tout va bien, nous y serons vers la seconde heure de none et le bateau part aux cloches de vêpres.

— Soyez tranquille, assura Landry. J'y veillerai.... Elle ne bougera pas !

Le jeune garçon se sentait du vague à l'âme, ce jour-là. Le départ de Catherine pouvait signifier une longue séparation et le cœur lui saignait de quitter sa petite amie qu'il aimait plus qu'il ne voulait se l'avouer à lui-même. Quant à l'avouer à l'intéressée, le garçon eût préféré se couper la langue. Mais c'était vraiment dur et, quand il la regardait, Landry avait de bizarres picotements dans les yeux.

Elle était toute drôle, Catherine, ce jour-là. Barnabé l'avait fait habiller en garçon. Elle portait des chausses collantes, grises, prises dans de fortes chaussures de bon cuir épais, une tunique de futaine verte et, malgré la chaleur, un capuchon qui enserrait étroitement son visage et se continuait par une sorte de petite cape dentelée couvrant ses épaules. Cette coiffure dissimulait totalement sa chevelure. Sara l'avait tressée très serrée pour qu'elle tînt le moins de place possible.

L'ensemble lui allait à merveille et lui donnait l'air d'un farfadet. Elle n'était d'ailleurs pas la seule à avoir modifié son aspect : Barnabé était méconnaissable.

La houppelande aux coquilles était emballée dans les colis et le Coquillart arborait une robe de petit drap de couleur brune que serrait à la taille une ceinture de cuir supportant une large bourse. Une chaîne avec une médaille de Saint-Jacques pendait à son cou et il portait un chaperon de même couleur que sa robe, drapé si artistement et de manière si compliquée qu'il était impossible de deviner que ledit chaperon contenait les économies du Coquillart tandis que la bourse gonflée ne recelait que de la menue monnaie. Tel quel, avec ses poulaines dépassant sa robe d'un demi-pied, il avait assez l'air d'un marchand, aisé sans être riche, et retiré des affaires. Catherine devait passer pour son petit-fils. Seule Sara avait gardé son étrange costume qui allait avoir son utilité. Tous quittèrent ensemble la Cour Saint-Sauveur puis, à la lisière du domaine des gueux, les deux groupes tirèrent chacun de son côté ; Catherine, Sara et Barnabé par la Monnaie royale, tandis que Jacquette et Landry allaient longer l'hôtel d'Alençon et les tours du Louvre. Mâchefer et ses hommes devaient déjà être disséminés dans la Cité et aux abords du Marché Notre-Dame.

Malgré le danger qu'elle courait avec ses compagnons, Catherine se sentait plus heureuse qu'elle ne l'avait été depuis le drame. C'était bon de retrouver le soleil, la rue libre ! Et aussi, il y avait l'excitation de l'aventure, la chasse au gibier humain. On allait arracher Loyse à la bête féroce qu'était Caboche.

La cloche de Saint-Germain l'Auxerrois sonnait none quand Jacquette et Landry passèrent devant l'église. Us descendirent vers le bord de l'eau dans la chaleur de la journée sans trop rencontrer de monde. Tout le contenu de la ville était sans doute rassemblé sur le passage du condamné. Il devait y avoir, en outre, un peu partout, des baladins et des jongleurs, des montreurs d'animaux savants et des conteurs des rues car rien n'attirait la foule autant qu'une belle exécution et c'était une réjouissance à laquelle participaient tous les éléments d'une vraie fête. La mort comptait si peu !

Pendant ce temps, Catherine et Barnabé, suivis à trois pas par Sara, prenaient à leur tour le chemin du bord de l'eau, mais plus en amont.

Le moment pénible fut, pour le faux garçon, quand il fallut franchir le Pont-au-Change. La maison familiale était toujours là mais les murs éventrés perdaient leur plâtre, les fenêtres béaient, montrant le vide intérieur et la belle enseigne de jadis avait été arrachée. Ce n'était plus qu'une carcasse vide dont l'âme s'était envolée. La gorge serrée, Catherine ferma les yeux de toutes ses forces et souhaita être très loin.

Barnabé pressa le pas en serrant plus fort dans la sienne la main de l'adolescente.

— Courage ! souffla-t-il, tu verras qu'il y a bien des moments où il en faut, et du plus rude ! Tu auras bientôt une autre maison...

— Mais pas un autre Papa... murmura-t-elle, prête à pleurer.

— Moi, j'avais sept ans quand les sergents du guet ont pris le mien.

Et quand je pense à la mort qu'il a eue, je me suis souvent dit que j'aurais donné cher pour qu'il fût seulement pendu.

— Que lui a-t-on fait ?

— Ce que l'on fait aux faux monnayeurs : on l'a fait bouillir au Morimont de Dijon...

Une exclamation d'horreur échappa à Catherine mais ses larmes s'arrêtèrent et elle poursuivit son chemin en silence. Courageusement, elle chassa les souvenirs cruels qui chaviraient son cœur à un moment où il lui fallait se comporter vaillamment. Quand on fut au Marché Notre-Dame, elle put voir que Mâchefer et ses hommes, sous divers déguisements, en soldats, en bourgeois ou même en moines, musaient aux alentours, fidèles au rendez-vous. Seul Mâchefer avait conservé son déguisement de mendiant. Barnabé montra alors discrètement la maison de la tripière, toujours aussi bien fermée.

— À toi Sara !...

Sur un signe de tête, la bohémienne, roulant des hanches et chantonnant, s'avança sans se presser jusque dans la rue. Elle tenait un tambourin à la main sur lequel elle se mit à frapper pour accompagner sa chanson.

Elle chantait ou plutôt elle fredonnait sur un rythme nonchalant, frappant de temps en temps son tambourin de son poing fermé. Mais peu à peu, le chant se fit plus fort, plus distinct encore que les paroles barbares fussent incompréhensibles. La mélodie était bizarre, coupée de silences et de notes aiguës pareilles à des cris et la voix un peu rauque de Sara lui donnait une profondeur mystérieuse, une puissance d'incantation. Catherine écoutait de toutes ses oreilles, subjuguée. Un ou deux visages apparurent aux fenêtres tandis que les rares passants s'arrêtaient : en tout, cela ne devait guère faire plus d'une dizaine de personnes. Mâchefer s'approcha de Barnabé sous couleur de demander l'aumône.

— Si la vieille n'ouvre pas sa porte, il faudra l'enfoncer, hé ?

Barnabé fouilla dans sa bourse, en tira un sol qu'il fourra dans la main crasseuse :

— Bien entendu. Mais j'aimerais autant l'éviter. Casser les portes, cela fait toujours du bruit même s'il n'y a personne.

Aucun visage n'apparaissait derrière les carreaux de la tripière. La maison eût paru morte si des bruits ne s'étaient fait entendre à l'intérieur. Soudain, Catherine blêmit et s'agrippa à Barnabé.

— Mon Dieu !... Voilà Marion !... fit-elle en désignant discrètement une forte commère qui venait d'apparaître au bout de la rue.

Le Coquillart leva les sourcils :

— Qui ? Votre ancienne servante ? Celle qui...

— Oui, qui a jeté la foule sur notre maison, causé la mort de Michel et de Papa. Oh, je ne veux pas la voir !