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Sous la voûte seulement, devant le corps de garde, il se décida à parler :

— J'ai ordre de vous reconduire à la Ronce Couronnée, fit-il d'un ton neutre. Et ensuite de veiller à ce que vous quittiez Bruges sans encombre.

Sous son capuchon, Catherine lui adressa un éclatant sourire qui fit aussitôt rougir le jeune homme jusqu'aux oreilles.

— Quel honneur ! Vous n'êtes pas chargé aussi de nous accompagner jusqu'à Dijon ?

— Hélas non... commença-t-il puis, changeant de ton soudain, il s'écria plein de joie : Vous allez à Dijon ? C'est là que vous habitez ?

— Mais oui.

— Oh !... Alors je vous reverrai ! Je suis de Bourgogne moi aussi, de la vraie, ajouta-t-il avec un orgueil naïf qui fit sourire la jeune fille.

Apparemment celui-là aussi souhaitait poursuivre les relations et, dans son for intérieur, Catherine se demanda si, en quittant les Flandres, elle n'aurait pas rendez-vous avec toute l'armée ducale...

Cette idée la mit en si belle humeur qu'elle chantonnait en regagnant l'auberge. Mathieu Gautherin, effondré au coin de la cheminée sans feu, y sanglotait sous l'œil méfiant de l'hôte en buvant force pots de bière. L'entrée resplendissante de Catherine le stupéfia. Il attendait les archers, les juges en robe noire, voire le bourreau en personne et c'était sa nièce qui arrivait, gaie et riante, vêtue comme une princesse d'un manteau dont l'œil averti du marchand eut tôt fait de supputer la valeur. Un officier du duc, empanaché comme un héraut d'armes suivait la pseudo-prisonnière comme un toutou bien dressé...

Nul n'ignorait dans tout le pays de Bourgogne, combien le duc Philippe était sensible à la beauté des femmes. Ce retour triomphal donna beaucoup à penser à Mathieu Gautherin. Apparemment, le duc et sa nièce avaient fait la paix. Restait à savoir jusqu'où cette paix était allée et, tout en bousculant ses valets endormis pour leur faire terminer le chargement, Mathieu se promit d'ouvrir l'œil. Il était de ces gens de bien pour qui un bâtard, même royal, ne constitue nullement un cadeau du ciel.

Malgré les conseils de son oncle, Catherine avait refusé de ranger son magnifique manteau dans l'un des coffres de voyage. Elle avait remplacé la robe de soie déchirée par une simple robe de blanchet, ce drap léger et fin que tissaient les femmes de Valenciennes. Ses cheveux, soigneusement tressés et tirés, avaient été relevés dans une coiffe de fine toile des Flandres dont un pan, passant sous le menton, emprisonnait étroitement son visage. Mais sur le tout, elle avait remis le fameux manteau de velours.

— Si jamais nous rencontrons des routiers, avait grommelé Mathieu, mal remis de ses émotions, ils te prendront pour une noble dame et nous serons impitoyablement mis à rançon...

Mais Catherine était si heureuse de posséder ce vêtement fastueux qu'elle n'avait rien voulu entendre.

— Il risquerait de s'abîmer, tassé dans un coffre. Et puis ce n'est pas à Dijon que je pourrai le porter ! Maman ne le permettrait pas, rien que pour ne pas contrarier la dame de Chancey ou la douairière de Châteauvillain qui n'en ont pas de pareil. Alors, autant en profiter maintenant...

Et fière comme une reine, Catherine, drapée dans ses zibelines malgré la douceur de la nuit, avait pris place sur sa mule. La petite caravane du marchand s'était mise en marche derrière le destrier de Roussay jusqu'aux murailles de la ville. À la porte Sainte- Catherine, dont le capitaine avait ordonné l'ouverture au nom du duc, on s'était séparé avec un bref salut mais, en s'inclinant légèrement devant la Jeune fille, Jacques de Roussay avait murmuré un « A bientôt », qui avait fait sourire Catherine. Elle n'avait pas répondu. C'était bien inutile. Depuis qu'il la savait Dijonnaise, Roussay rêvait tout éveillé...

Ce n'était pas pour le regarder encore que la jeune fille s’était retournée avant de franchir la haute porte fortifiée. C'était seulement pour évoquer un instant la haute silhouette mince et noire, le visage pâle de Philippe, ses yeux ardents quand il s'était penché sur son cou.

Pour la première fois de sa vie, Catherine sentait que cet homme-là pouvait avoir sur elle une emprise. Il l'intriguait et l'inquiétait à la fois. L'amour d'un homme tel que lui devait donner à la vie un certain prix. Peut-être la peine d'être vécue...

Une fois franchie la porte Sainte-Catherine, elle ne se retourna plus.

Réglant le pas de sa mule sur celle de Mathieu, elle se laissa bercer par le trottinement de la bête. De grandes étendues plates de champs, traversées de canaux, s'étendaient à perte de vue, coupées parfois de boqueteaux ou de la forme fantomale d'un moulin à vent. Des oiseaux de mer rayaient le ciel étoilé de leur vol bas, attirés par la clarté de la lune, si intense qu'elle concurrençait le jour. Catherine respirait avec délices l'air chargé d'iode et de sel qu'apportait à ses narines le vent venu de la mer. Elle rejeta le capuchon de velours sur ses épaules, dégrafa le manteau. Cette route défoncée par les charrois, creusée d'ornières profondes où glissait parfois le pas des mules, menait vers un horizon qu'elle connaissait bien et qui, cependant, venait de prendre des couleurs nouvelles.

Aux premières heures du jour, le beffroi de Courtrai surgit de la plaine.

— Nous nous arrêterons à l'auberge du Panier d'Or, fit Mathieu qui n'avait pas ouvert la bouche pour l'excellente raison qu'il était entraîné depuis longtemps à dormir sur le dos de sa mule. Je suis rompu !

Et nous resterons jusqu'à demain. J'ai à faire avec les liniers de la cité.

Catherine avait sommeil. Elle n'y voyait aucun inconvénient.

En quittant Courtrai, Mathieu Gautherin décida d'aller bon train. Il estimait avoir suffisamment perdu de temps et souhaitait revoir bientôt les murs de Dijon, les tours de Saint Bénigne et les coteaux de Marsannay où il avait sa vigne. Bien sûr, il n'avait aucune inquiétude pour sa maison demeurée à la garde de sa sœur Jacquette, de sa nièce Loyse et de cette Sara qu'elles avaient amenée avec elles depuis Paris et à laquelle, malgré les années écoulées, Mathieu n'était pas encore parvenu à s'habituer. Catherine, que cela amusait beaucoup, prétendait que l'oncle Mathieu avait peur de Sara, ce qui ne l'empêchait pas d'en être amoureux, et que c'était justement cela qu'il ne lui pardonnait pas.

Talonnant sa mule, le chaperon sur le nez, Mathieu marchait comme si le diable eût été à ses trousses. Catherine trottait auprès de lui, les trois valets derrière, deux sur une seule ligne et le troisième en arrière-garde à l'extrémité de la caravane. On avait quitté les terres du duc de Bourgogne. Bientôt on quitterait celles de l'évêque de Cambrai pour entrer sur les domaines du comte de Vermandois, un chaud partisan du dauphin Charles. Il serait plus prudent de ne pas s'y attarder. C'était la hâte de franchir ce mauvais pas qui donnait des ailes au brave drapier.

On suivait pour le moment le cours supérieur de l'Escaut, en se dirigeant vers Saint Quentin. Le chemin, serpentant, le long de l'eau, coulait facilement entre des collines vertes, des courbes douces mouchetées de moutons blancs qui éloignaient jusqu'à l'idée même de la guerre. Pourtant de loin en loin, un village détruit, brûlé jusqu'aux fondations, qui ne tendait plus vers le ciel que quelques poutres informes sur un terrain charbonné, disait que ce pays ne connaissait pas la paix. Parfois aussi un cadavre, pendu à la branche basse d'un arbre, dessinait parmi les jeunes feuilles un gros fruit lugubre devant lequel Catherine détournait les yeux.

Le jour déclinait et le crépuscule apportait avec lui d'épais nuages gris de fer moutonnant d'inquiétante façon au-dessus des croupes herbeuses. Catherine, saisie par la fraîcheur de l'air, frissonna.