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— Qu'allez-vous lui faire ?

Le petit médecin n'avait visiblement aucune envie de lui répondre mais il était incapable de se taire quand il s'agissait d'expliquer l'un de ses actes.

— Cela tombe sous le sens, ignorante que vous êtes ! Je vais cautériser légèrement cette plaie pour obliger le vaisseau rompu à se fermer. Cela se fait également chez vos ânes de médecins...

D'une main ferme, il avait saisi le manche de bronze et approchait le fer incandescent de la plaie, préalablement nettoyée de la graisse d'armes qui la souillait encore. Catherine ferma les yeux et enfonça ses ongles dans la paume de sa main. Mais elle ne put éviter d'entendre le hurlement poussé par le blessé, ni de respirer la suffocante odeur de chair et de cheveux roussis.

— Sensible, ce jeune homme ! commenta Abou- al-Khayr. J'ai à peine effleuré la blessure pour ne pas faire une grande brûlure.

Si l'on vous mettait un fer rouge sur la tempe, s'écria Catherine dont les yeux, grands ouverts maintenant, regardaient avec horreur le visage convulsé de souffrance du jeune homme, que diriez-vous ?

— Je dirais que c'est très bien si cela doit arrêter le sang et conserver ma vie. Vous pouvez tous voir que le sang ne coule plus.

Maintenant, je vais enduire la blessure d'un baume miraculeux et, dans quelques jours, il n'y aura plus qu'une mince cicatrice, car la blessure est très petite...

Tirant de son coffre un petit pot de faïence verte, décoré de fleurs fantastiques gaiement colorées, il prit du contenu la valeur d'une noisette au bout d'une aiguille d'or et l'appliqua sur la tempe blessée.

À l'aide d'un petit carré de toile fine, il écrasa le baume sur la blessure puis, maintenant la compresse, il se mit à confectionner avec une diabolique habileté un vertigineux pansement qui escamota bientôt les cheveux noirs du jeune homme et enserra étroitement ses mâchoires comme une coiffe de femme. Catherine le regardait faire avec un intérêt passionné. Le blessé ne gémissait plus depuis que le baume avait touché sa chair meurtrie. Une odeur piquante, puissante et cependant agréable, emplissait la pièce.

— Qu'est-ce que ce baume ? demanda-t-elle.

— Nous l'appelons baume de Matarea, répondit négligemment le petit homme sans daigner s'expliquer davantage. Il vient d'Égypte.

Est-ce que ce jeune homme a d'autres blessures ?

— Une jambe cassée, je crains bien, dit Mathieu qui s'était tenu coi tout ce temps.

— Voyons ça !

Sans se soucier aucunement de la présence de la jeune fille, il empoignait drap et couvertures, les rejetait vers le pied du lit, découvrant le corps du jeune homme que Mathieu et Pierre avaient complètement déshabillé avant de le coucher. La subite apparition de cette totale nudité masculine fit rougir le drapier jusqu'aux oreilles.

— Sors d'ici, Catherine, ordonna-t-il brusquement en attrapant sa nièce par le bras pour l'entraîner hors de la pièce.

Le petit médecin l'arrêta d'un regard sévère.

— Voilà bien les ridicules pudibonderies des chrétiens ! Le corps de l'homme est la plus belle création d'Allah, avec celui du cheval.

Cette femme donnera un jour la vie à des hommes semblables à celui-ci. Pourquoi donc la vue de ce corps offenserait-elle ses yeux ? Les anciens Grecs en faisaient des statues qui ornaient les temples de leurs dieux.

— Ma nièce est fille, protesta Mathieu qui n'avait pas lâché le poignet de Catherine.

— Elle ne le sera pas longtemps. Elle est bien trop belle pour cela !

Je n'aime pas les femmes. Elles sont sottes, bruyantes et puériles, mais je sais reconnaître la beauté lorsque je la rencontre. Cette jeune fille est un chef-d'œuvre dans son genre... tout comme le blessé. Avez-vous jamais rien vu de plus parfait que la forme de ce guerrier abattu ?

L'enthousiasme esthétique d'Abou-al-Khayr, que Mathieu ne semblait guère disposé à partager, ne l'empêchait pas de travailler tout en parlant et il palpait la jambe brisée avec une extrême délicatesse.

Mathieu, malgré lui, avait lâché Catherine, fasciné qu'il était par le corps brun dont la peau luisante brillait doucement sous la lumière des chandelles. Catherine avait repris sa place à la tête du lit et regardait elle aussi. Le petit médecin, tout en faisant son travail, continuait à chanter les louanges de la beauté humaine sur le mode, à la fois fleuri et lyrique qui lui était cher. Mais il avait dit vrai : le chevalier blessé était magnifiquement bâti. Sous sa peau bronzée, les muscles longs, étirés, se dessinaient avec une précision anatomique et, sur le drap blanc, les larges épaules, les flancs étroits et durs, le ventre plat, fermement attaché aux cuisses gonflées de muscles, prenaient un relief saisissant. Troublée au fond d'elle- même, Catherine sentait ses mains se glacer tandis qu'une légère rougeur s'étendait sur ses joues.

Abou-al-Khayr, aidé de ses esclaves, étirait maintenant la jambe pour réduire la fracture. Le blessé gémit. Puis, soudain, Catherine entendit :

— Si cette brute ne me faisait aussi mal, je me croirais en Paradis, car vous êtes sûrement un ange !... À moins que vous ne soyez la Rose sortie du roman du vieux Lorris.

Elle vit alors que deux yeux noirs, d'un noir d'enfer que la fièvre faisait briller d'inquiétante façon, la regardaient. Maintenant qu'il avait repris connaissance et que ses yeux étaient ouverts, la ressemblance avec Michel était criante, hallucinante. Tellement que la jeune fille, la voix soudain tremblante, ne put s'empêcher de prier :

— Par grâce, messire... dites-moi votre nom !

Le visage contracté où perlait une sueur de souffrance ébaucha quelque chose qui voulait être un sourire. Ce fut une affreuse grimace, mais qui fit étinceler brièvement une éclatante dentition.

— J'aimerais mieux savoir d'abord le vôtre, mais j'aurais mauvaise grâce à laisser si belle demoiselle poser deux fois la même question.

Je me nomme Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Châtaigneraie en pays Auvergnat, et je suis capitaine de Monseigneur le dauphin Charles.

Pour mieux voir la jeune fille, le blessé avait tenté de se relever sur un coude et s'attirait une protestation furieuse du petit médecin.

— Si vous ne vous tenez en repos, mon jeune seigneur, vous resterez boiteux toute votre vie.

Les yeux noirs d'Arnaud, attachés à Catherine, se portèrent avec stupéfaction sur le turban du médecin et sur ses étranges acolytes. Il se signa précipitamment, tenta d'arracher sa jambe aux mains qui la retenaient.

— Qu'est celui-là ? s'écria-t-il furieux. Un chien d'infidèle, un Maure ? Comment ose-t-il seulement toucher un chevalier chrétien sans craindre de se faire arracher la peau ?

Abou-al-Khayr poussa un soupir de lassitude. Il glissa ses mains au fond de ses manches, s'inclina poliment :

— Le noble chevalier préfère sans doute perdre sa jambe à brève échéance ? Je ne crois pas qu'il y ait d'autres médecins dans cet endroit. Au surplus, je regrette profondément d'avoir osé arrêter tout à l'heure son précieux sang qui coulait si vite. Indigne que je suis !

J'aurais dû le laisser s'écouler jusqu'à la dernière goutte !

Le ton mi-rageur, mi-ironique du petit médecin calma tout net la colère du jeune homme. Brusquement, il se mit à rire :

— Tes pareils sont habiles, à ce que l'on assure. Et puis, tu as raison, je n'ai pas le choix. Poursuis ton ouvrage, je te récompenserai royalement.

— Avec quoi ? marmonna Abou en retroussant à nouveau ses manches. Vous aviez tout juste votre armure quand l'honorable drapier vous a trouvé.

Mathieu, quant à lui, commençait à penser que le blessé regardait trop sa nièce. Il se glissa entre eux deux et se mit en devoir de raconter au chevalier comment on l'avait récupéré sur le bord de l'Escaut, délivré de son armure et amené jusqu'au Grand Charlemagne. De son côté, le jeune homme, devenu soudain très grave et soucieux, raconta son histoire. Envoyé par le Dauphin au duc de Bourgogne, en tant qu'ambassadeur et parcourant le pays accompagné d'un seul écuyer, il avait été sauvagement attaqué, sur l'autre rive du fleuve, par un parti de routiers, mi-bourguignons, mi-anglais qui l'avaient démonté, dévalisé et assommé avant de le jeter à l'eau où il avait bien pensé se noyer. Par miracle et malgré le poids de son armure il avait réussi à nager et à gagner la rive opposée, grâce surtout à un banc de sable opportun.