Sans même s'en rendre compte, elle se tendit sous les mains qui la parcouraient, cherchant à deviner la vérité de son corps de jeune fille.
Pour un blessé de la veille, Arnaud de Montsalvy faisait preuve d'une singulière vigueur. Il ne s'encombrait pas de délicatesses et ses gestes, autoritaires, rapides, étaient ceux d'un soldat pour qui chaque minute compte. Et pourtant, dans cette violence qui lui ôtait jusqu'à la moindre envie de résister, Catherine trouvait une extraordinaire douceur. Elle s'abandonnait, offerte, déjà heureuse. Le baiser s'éternisait, se faisait plus profond, éveillant la folie dans le sang de la jeune fille. Elle ne se rendit pas compte de ce que faisait Arnaud. Il ouvrait sa gorgerette, délaçait sa robe. Ce fut seulement quand il quitta ses lèvres pour enfouir la tête entre ses seins qu'elle se vit à demi nue dans ses bras. Mais la vue même de sa propre chair, si rose dans la lumière naissante, plus rose encore au contraste des courts cheveux noirs d'Arnaud dépassant le turban, ne lui causa aucune gêne.
C'était comme si, de tout temps, elle avait été créée pour se donner à cet homme, comme si elle n'avait été faite que pour lui, pour son plaisir et son bonheur.
Plus doucement maintenant, il continuait à la dévêtir d'une main, à la caresser de l'autre. Ses doigts semblaient hésiter devant chaque nouvelle découverte. Puis s'émerveillaient et s'emparaient de leur conquête avec une joie violente. Il murmurait des mots sans suite que Catherine ne comprenait pas. Un instant, il revint vers son visage. Elle vit ses traits, durcis par le désir, le flamboiement des noires prunelles qui cherchaient son regard.
— Comme tu es belle ! haleta-t-il, la voix rauque. Comme tu es douce... et rose, et tendre !
Avec passion, il reprit sa bouche, renversa sous lui le corps souple, ployant en arrière la taille ronde. A nouveau Catherine gémit. Un tout petit gémissement qui était presque un appel.
Soudain, dans la cour de l'auberge, un cri éclata :
— Catherine ! Catherine ! Où es-tu ?
— Mon Dieu, mon oncle !
Brusquement dégrisée, Catherine se dressa, repoussant le jeune homme. Elle prit alors pleine conscience de sa nudité, de cette porte qui pouvait s'ouvrir, de ce Noir qui remuait et allait s'éveiller. Rouge de honte elle chercha à rajuster ses vêtements, à se dégager de l'étreinte d'Arnaud qui, un instant surpris, la reprenait contre lui avec une plainte douloureuse.
— Reste encore... Je te veux ! Je tuerai quiconque osera entrer !
— C'est impossible !... Oh, mon Dieu, laissez- moi !
Souple comme une anguille, elle avait réussi à glisser du lit. Tout en se rhabillant hâtivement, avec des mains tremblantes et maladroites, elle le regarda, le vit si pâle ! Son visage crispé était celui d'un loup affamé et ses mains, presque inconsciemment, se tendaient vers elle dans un geste d'imploration pathétique. Toute sa force, toute sa violence l'avaient abandonné. Il n'était plus qu'un homme frustré d'un bonheur que ses mains, trop faibles, n'avaient pas su
retenir. Puis, brusquement, de la plus imprévisible façon, il se mit à rire joyeusement.
— Je ne serai pas toujours invalide, ma belle ! Je saurai bien te rattraper ! Par saint Michel, je crois bien que tu m'as rendu fou...
— Oubliez tout ceci, messire, je vous en conjure, supplia Catherine en achevant de lacer sa robe. C'est vous qui, bien plutôt, m'avez fait perdre la tête...
A nouveau, il se mit à rire. Un beau rire jeune et clair qui le fit se recoucher de tout son long et le détendit. Mais qui cessa aussi soudainement qu'il avait commencé. Une fois encore il regarda Catherine avec un sérieux où entraient du défi, et de la passion.
— Oublier que j'ai vu pâlir tes yeux, que je t'ai senti frémir dans mes mains ? Oublier la beauté de ton corps, le goût de tes lèvres ?
Dussè-je vivre cent ans que ce serait me demander l'impossible.
Catherine... ton nom est doux et toi tu es la femme la plus merveilleuse jamais née d'une autre femme. La seule que je veuille...
Partagée entre l'envie qu'elle avait de l'entendre encore et la crainte de mécontenter Mathieu, Catherine hésitait à quitter la chambre.
Pourtant, elle fit un pas vers la porte. Alors, lui, suppliant :
— Pars si tu veux... mais, avant, donne-moi encore un baiser, un seul !
Elle faillit revenir mais l'esclave du petit médecin, bien éveillé maintenant, s'était levé et fourrageait dans les cendres pour tenter de rallumer le feu. Il ne leur prêtait aucune attention, ne les regardait même pas. Catherine allait s'élancer vers le blessé quand le claquement de nombreux sabots de chevaux résonna au-dehors. On entendait aussi le cliquetis des armes. Instantanément sur le qui-vive, Arnaud se détourna de Catherine.
— Qu'est-ce que c'est ? Il y a en bas des hommes d'armes...
Elle courut à la fenêtre, l'ouvrit. Dans la cour, en effet, un détachement de soldats venait d'entrer. Ils étaient une dizaine et, sur les armures, Catherine put reconnaître les tabards moitié noirs, moitié gris, brodés d'argent, des hommes de la garde personnelle de Philippe de Bourgogne. Sur leurs poitrines s'étalaient le briquet et la devise du duc...
— Ce sont des soldats de la garde du duc de Bourgogne, dit-elle.
Un officier les mène...
En effet, un grand chevalier empanaché de blanc descendait tout juste de cheval et s'avançait vers Mathieu Gautherin qui arpentait nerveusement la cour en compagnie d'Abou-al-Khayr. La jeune fille reconnut l'allure un peu gauche et la voix sonore du nouvel arrivant.
— Je crois que c'est messire de Roussay, continua Catherine.
Arnaud fit la grimace.
— Peste, ma chère ! Vous êtes bien renseignée sur ces maudits Bourguignons. Ma parole, vous les connaissez tous.
— Vous oubliez que j'habite Dijon et suis sujette de Monseigneur Philippe.
Pendant ce temps, dans la cour, Jacques de Roussay abordait le drapier et sa voix forte montait aisément jusqu'à l'étage.
— Je suis aise de vous rencontrer, maître Gautherin. En fait, je vous cherchais.
Mathieu se confondait en révérences, oubliant momentanément sa nièce dont il ne s'expliquait pas l'absence.
— Moi ? Mais que d'honneur...
Vous et votre ravissante nièce ! Monseigneur Philippe a craint, par la suite, les mauvaises rencontres que vous pouviez faire en chemin, surtout en traversant certaines régions où court l'Anglais et qui ne sont point domaine de Bourgogne. Il m'envoie afin de vous escorter jusqu'à Dijon, ainsi que la demoiselle Legoix.
Catherine n'en entendit pas davantage. Derrière son dos, une voix tonnante venait d'éclater :
— Legoix... Qui s'appelle Legoix ici ?
Se retournant vivement, elle vit Arnaud dressé sur son lit, plus blanc que ses draps. Ses yeux flambaient de rage et il rejetait déjà d'une main nerveuse, ses couvertures, prêt à bondir. Ce que voyant, l'esclave noir avait couru à lui et l'avait entouré de ses bras pour l'obliger à rester tranquille. Mais dans l'étau des bras noirs, Arnaud se débattait comme un démon.
— Qui, hurla-t-il, qui porte ce nom maudit ? Qui s'appelle Legoix ?
Stupéfaite par cette soudaine poussée de fureur, Catherine était restée pétrifiée, sans plus songer à fermer la fenêtre.
— Mais... moi, messire. C'est mon nom ! Je me nomme Catherine Legoix.
— Toi !...
De seconde en seconde l'expression du visage du chevalier se transformait. La stupeur d'abord, puis la colère, maintenant une haine aveugle l'envahissait, durcissant les mâchoires, retroussant les lèvres sur les dents blanches, comme un animal prêt à mordre. Il la regardait comme s'il la voyait pour la première fois et il n'y avait plus trace, dans ses yeux noirs, de la passion de tout à l'heure.
— Tu t'appelles Legoix, fit-il d'une voix sourde, où vibrait une colère retenue à peine. Et, dis-moi... es-tu parente de ces bouchers parisiens qui firent... tant de bruit voici quelques années ?