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Ses gestes lents, comme endormis, ajoutaient encore à son aspect fantomal.

— Qui est celle-là ? fit-il en désignant Catherine d'un long doigt blanc.

Dimanche-l'Assommeur ne gagnait rien à la lueur des quinquets, car elle révélait sa figure grêlée et sa joue droite, couturée par le fer rouge du bourreau.

Ce fut lui qui répondit :

— Une petite chèvre, sauvage en diable, qu'on a trouvée dans la rue. Elle a dit qu'elle venait te voir, Jacquot.

Les longues lèvres sinueuses et décolorées du roi de la Coquille s'étirèrent encore en une grimace qui pouvait passer pour ce qu'elle était, un sourire. Sa main effleura le menton de Catherine qu'il releva.

— Jolie ! apprécia-t-il. C'est la réputation de mon charme qui t'attire vers moi, ma belle ?

— Non, répondit nettement la jeune fille. (Peu à peu, elle retrouvait tout son aplomb.) Je suis venue parce que je voudrais voir Barnabé. Il m'a dit de m'adresser à vous si j'avais besoin de lui. Et j'ai besoin de lui !

La lueur trouble, un instant allumée dans les yeux de Jacquot, s'éteignit sous le rideau des paupières tandis que l'affreux et contrefait Jehan des Ecus, rejetant ses oripeaux rouges et le feutre déchiqueté qui le coiffait, dardait sur Catherine un regard flamboyant.

— Je sais maintenant qui tu es, la belle... Tu es la nièce de cet âne de Mathieu Gautherin, la belle Catherine... la plus belle pucelle de toute la Bourgogne ! Je ne regrette pas de t'avoir respectée, fille, car tu es destinée à plus haut que moi. Si je t'avais touchée, je risquais la corde...

Un geste expressif complétait les paroles du petit homme. Avec étonnement Catherine vit qu'il était jeune et que, malgré les tics nerveux qui le déformaient, son visage avait des traits fins et que ses yeux étaient beaux.

— La corde ? fit-elle sincèrement surprise, pourquoi ?

Parce que le duc te veut pour lui... qu'il t'aura. Mais tout compte fait, j'aurais dû contenter mon envie. T'avoir, puis la corde, ça doit être une merveilleuse façon de vivre en raccourci. Tu en vaux la peine !

Jacquot de la Mer trouvait sans doute que la conversation durait trop. Lentement sa main agrippa l'épaule de Catherine.

— Si tu veux voir Barnabé, monte là-haut ! Le galetas tout en haut de la maison. Il est couché parce qu'il a pris un mauvais coup il y a trois jours du côté de Chenôve, mais tu auras peut-être du mal à te faire entendre parce qu'il doit être ivre mort à cette heure. Le vin, c'est tout ce qu'il accepte comme médicament.

Propulsée par la main du tenancier, Catherine monta les premières marches. Elle passa auprès de Sara. Sa robe effleura même celle de la gitane mais Sara avait fermé les yeux. Elle chantait toujours, perdue dans son monde intérieur, à mille lieues de ce bouge.

Une mauvaise porte aux planches disjointes fermait le galetas. La lueur d'une chandelle passait au travers et Catherine n'eut aucune peine à l'ouvrir. Une simple poussée suffit mais elle était si basse que la jeune fille dut se plier en deux pour passer. Elle se trouva alors dans un réduit obscur, sans fenêtre et tout encombré par la charpente enchevêtrée de la maison. Sous une grosse solive, auprès d'une chandelle de suif qui puait et coulait dans un plat d'étain, il y avait un grabat sur lequel Barnabé était couché, une cruche de vin à portée de la main. Il était très rouge mais il n'était pas ivre car son regard était clair quand il se posa, avec stupeur, sur la jeune fille.

— Toi ? Mais qu'est-ce que tu viens f... ici, mauviette... et à cette heure ?

Il se soulevait sur un coude et ramenait pudiquement sa chemise en loque sur la toison grise de sa poitrine.

— J'ai besoin de toi, Barnabé. Alors je viens te trouver comme tu m'avais dit de le faire, fit Catherine avec simplicité en se laissant tomber sur le pied du matelas qui perdait ses entrailles de paille par plus d'un trou. Est-ce que tu es blessé ? ajouta-t-elle en désignant le pansement crasseux autour du front du Coquillart, tout maculé de traces graisseuses de baume et de sang séché.

Il haussa les épaules avec insouciance.

— Rien ! Un coup de bêche que m'a assené un vilain que je priais poliment de me laisser compter ses économies avec lui. C'est déjà presque guéri.

— Tu ne changeras donc jamais ? soupira Catherine.

Elle n'était pas choquée par cette confession. C'était peut-être à cause de la flamme joyeuse qui brillait toujours dans les yeux de son vieil ami que les pires énormités sorties de sa bouche prenaient, comme par enchantement, un aspect inoffensif et presque amusant.

Que Barnabé fût un voleur, pire peut-être, ne changeait rien pour la jeune fille. Il était son ami, c'était tout ce qui comptait et, en dehors de cela, il pouvait bien être tout ce qu'il voulait. Mais, par acquit de conscience, elle se crut obligée d'ajouter :

— Si tu n'y prends garde, tu te retrouveras un matin sur le Morimont entre maître Blaigny et une bonne corde de chanvre. Et moi j'en aurai bien de la peine.

D'un geste vague, Barnabé rejeta au loin la déplaisante image, but un bon coup de vin, reposa sa cruche et s'essuya les lèvres avec sa manche en loque.

Puis il se cala confortablement dans ses chiffons crasseux.

— Allez, maintenant, raconte ce qui t'amène... Quoique je m'en doute.

— Tu sais ? fit Catherine sincèrement surprise...

— Je sais en tout cas ceci : le duc Philippe t'ordonne d'épouser Garin de Brazey et pour obliger ce grand bourgeois à convoler avec la nièce d'un Mathieu Gautherin, il te donne une dot considérable. Le duc Philippe sait toujours ce qu'il fait...

La stupeur arrondit, en cercles presque parfaits, les yeux changeants de la jeune fille. Barnabé avait une manière à lui de dire les choses comme si elles étaient toutes normales et comme s'il était très naturel qu'un truand fût si bien au courant de ce qui se passait dans le palais des princes.

— Comment sais-tu tout cela, balbutia-t-elle.

— Je le sais, cela doit te suffire ! Et je vais même t'en dire plus, petite. Si le duc veut te marier, c'est parce qu'il est plus commode, dans une ville comme celle-ci où la bourgeoisie est puissante, de faire sa maîtresse d'une femme mariée que d'une jouvencelle. Il est prudent, le duc, et entend mettre toutes les chances de son côté.

— Alors, fit Catherine, je ne comprends plus. Le sire de Brazey ne semble guère du bois dont on fait les maris complaisants.

C'était l'évidence même et la justesse de ce raisonnement frappa Barnabé. Il se gratta la tête, esquissa une affreuse grimace.

— Je reconnais que tu as raison et je comprends mal pourquoi il a choisi son grand argentier plutôt qu'un autre en dehors du fait qu'il n'est pas marié. Garin de Brazey est tout ce qu'on veut, sauf facile à manier. Peut-être le duc n'avait-il personne d'autre sous la main parmi ses fidèles ! Car il est évident qu'il désire surtout, par ce mariage, t'introduire à sa Cour. Je suppose que tu as accepté. Une union pareille ne se refuse pas.

— C'est ce qui te trompe. J'ai refusé jusqu'ici...

Patiemment, Catherine refit alors pour son vieil ami le récit de son aventure de Flandres. Parce qu'elle sentait que les secrets n'étaient plus de mise, elle raconta tout ; comment elle avait rencontré Arnaud de Montsalvy, comment, retrouvant vivant le souvenir qu'elle croyait bien mort, elle s'était éprise de lui au premier regard, comment l'appel de Mathieu l'avait arrachée de ses bras au moment où elle allait se donner à lui. Elle parlait, parlait sans effort, tout naturellement, ayant aboli toute pudeur. Assise sur le coin du matelas, les mains nouées autour des genoux, les yeux perdus dans l'ombre noire des solives, elle semblait réciter pour elle-même une belle histoire d'amour. Barnabé retenait sa respiration pour ne pas rompre le charme, car il comprenait qu'à cet instant, Catherine l'avait oublié.