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Elle s'arrêta, butant sur l'aveu difficile qu'elle ne put cependant retenir :

— Et puis, il me fait peur !

Marie de Champdivers ne répondit pas tout de suite. Sa main s'attardait sur le front de la jeune fille et son regard, absent, allait se perdre dans le rougeoiement du vitrail comme pour y chercher l'impossible réponse d'une question informulée.

— Et... le duc ? demanda-t-elle après une toute légère hésitation.

Comment le trouvez-vous ?

Catherine releva avec vivacité son front pensif. Un éclair de gaminerie moqueuse passa dans ses yeux.

— Un fort séduisant jeune homme, fit-elle en souriant, mais qui ne l'ignore pas assez ! Un seigneur de haute mine, bien disant, galant avec les dames, habile aux jeux de l'amour... du moins il en laisse courir le bruit : en résumé un prince accompli. Mais...

— Mais ?

— Mais, acheva Catherine en riant, si, comme on le dit, il ne me veut marier que pour me mettre plus sûrement dans son lit, il se trompe.

La stupeur ramena Marie de Champdivers des hauteurs mélancoliques où elle planait. Elle considéra la jeune fille avec un ahurissement comique. Ainsi, Catherine savait ce qui l'attendait ? Bien plus, elle songeait, très sérieusement, à envoyer promener le seigneur duc comme un vulgaire soupirant alors qu'il mettait tout en œuvre pour l'avoir.

— Y songez-vous ? fit-elle enfin. Repousser le duc ?

— Et pourquoi non ? Si je me marie, j'entends demeurer fidèle à mon époux ainsi qu'au serment de l'autel. Donc, je ne serai pas la maîtresse de Monseigneur. Il faudra bien qu'il en fasse son deuil.

Cette fois, Marie de Champdivers sourit, encore qu'un peu mélancoliquement. Si son Odette avait pu avoir, jadis, un peu de ce courage paisible et gai, cette solide détermination quand on l'avait livrée à Charles, tant de choses eussent pu changer ! Mais elle était si jeune alors ! Quinze ans, tandis que Catherine, elle, en avait plus de vingt.

— Messire Garin a de la chance, se contenta de soupirer la vieille dame. La beauté, la sagesse, la fidélité... Il aura tout ce que peut souhaiter l'homme le plus difficile.

Catherine hocha la tête et redevint grave :

— Ne l'enviez pas trop ! Nul ne sait jamais ce que l'avenir lui réserve.

Elle garda pour elle le fond de sa pensée, contenu tout entier dans un petit papier que Sara lui avait apporté le matin même avec son petit déjeuner et qui venait de Barnabé. Le Coquillart lui apprenait à la fois le retour de Garin et, aussi, que tout était prêt pour le soir même.

— Arrange-toi seulement pour retenir la personne auprès de toi jusqu'après le crève-feu, disait Barnabé. Cela ne devrait pas t'être difficile.

Le jour commençait à baisser quand Garin de Brazey franchit les portes de l'hôtel des Champdivers. Derrière les petits carreaux sertis de plomb qui garnissaient la fenêtre de sa chambre, Catherine le regarda avec un bizarre serrement de cœur, sauter à bas de son cheval.

Il était, comme à son habitude, tout vêtu de noir, impassible et glacial mais somptueux grâce à une lourde chaîne de rubis passée autour de son cou et à l'énorme escarboucle sanglante qui rutilait à son chaperon. Un valet le suivait, porteur d'un coffret couvert d'une housse pourpre frangée d'or.

Lorsqu'elle eut vu la haute silhouette noire disparaître à l'intérieur de la maison, Catherine s'écarta de la fenêtre et alla s'asseoir sur son lit, attendant qu'on l'appelât. Il faisait chaud, malgré l'épaisseur des murs qui gardaient bien la fraîcheur. Et pourtant, la jeune fille frissonna dans sa robe argentée. Une angoisse insurmontable s'emparait d'elle à cette minute où il allait lui falloir affronter le regard de l'homme condamné à mort. Les mains glacées, elle se mit à trembler de tous ses membres, prise d'une folle panique. Dents claquantes mais la tête en feu, elle regarda autour d'elle, cherchant éperdument un trou, une issue par où s'enfuir car la seule idée de rencontrer Garin, de toucher sa main peut-être, la laissait sans forces et faible jusqu'à la nausée.

Les bruits de la maison lui parvenaient, étouffés mais menaçants. Au prix d'un effort, elle s'arracha de son lit, se traîna vers la porte en se retenant aux murs. Elle n'était plus capable de raisonner sainement.

Elle n'était plus qu'animale terreur. Sa main se crispa sur la serrure ciselée dont les volutes de fer blessèrent son index où perla une goutte de sang. Mais elle ne parvint pas à ouvrir tant elle tremblait. Pourtant, la porte s'ouvrit. Sara parut. Elle poussa un petit cri en découvrant Catherine, blême jusqu'aux lèvres, derrière le battant.

— Que fais-tu là ? Viens ! On te demande.

— Je... je ne peux pas ! balbutia la jeune fille. Je ne peux pas y aller !

Sara l'empoigna aux deux épaules et se mit à la secouer sans ménagements. Les traits de son visage brun s'étaient durcis jusqu'à lui faire une sorte de masque barbare, ciselé dans quelque bois exotique.

— Quand on a le courage de souhaiter certaines choses, on a aussi celui de les regarder en face, déclara-t-elle sans ambages. Messire Garin t'attend !

Elle se radoucit en voyant des larmes jaillir des prunelles violettes.

Lâchant Catherine, elle s'en alla, en haussant les épaules, mouiller un linge à l'aiguière d'argent de la toilette. Après quoi elle en aspergea vigoureusement le visage de la jeune fille. Les couleurs y reparurent aussitôt. Catherine respira profondément. Sara aussi.

— Voilà qui est mieux ! Viens à présent et tâche de faire bonne contenance, fit-elle en glissant son bras sous celui de Catherine pour l'entraîner vers l'escalier.

Incapable désormais de la moindre réaction, celle- ci se laissa emmener docilement.

Les tables du dîner avaient été dressées dans la grande salle du premier étage et adossées à la cheminée sans feu. En entrant, Catherine vit Marie de Champdivers assise dans son fauteuil habituel et, dans l'encoignure de la fenêtre, son époux qui s'entretenait à mi-voix avec Garin de Brazey.

C'était la seconde fois que, sous le toit des Champdivers, elle rencontrait le grand argentier mais le choc qu'elle ressentit en recevant sur elle le regard appréciateur de son œil unique, c'était bien la première fois qu'elle l'éprouvait. Quand il était venu à l'hôtel de la rue Tâtepoire, au soir de l'installation de Catherine, il ne s'était guère occupé d'elle. Quelques paroles indifférentes, si banales que la jeune fille n'en avait pas gardé le souvenir. Il avait passé presque toute la soirée à discuter avec Guillaume de Champdivers, abandonnant sa future épouse à elle-même et à la bonté de Marie. Attitude dont Catherine lui avait d'ailleurs été très reconnaissante, car elle lui enlevait des scrupules.

Pensant que les choses se passeraient encore de la même façon, elle se dirigea vers les deux hommes pour leur souhaiter le bonsoir. Mais, la voyant venir, ils avaient interrompu leur conversation et s'étaient levés. Les yeux baissés de Catherine ne lui permirent pas de voir l'expression de surprise émerveillée qui s'étendit sur leurs deux visages et que Garin traduisit poétiquement.

— L'aurore d'un jour d'été n'est pas plus belle. Vous êtes une merveilleuse apparition, ma chère !

Tout en parlant, il courbait sa haute taille en un salut profond, la main sur le cœur, en réponse à la révérence de la jeune fille.

Champdivers aussi s'inclina, un sourire satisfait sur son visage de furet. Une telle beauté avait des chances de retenir longtemps le cœur volage de Philippe le Bon et Champ- divers entrevoyait une longue suite de profits et d'honneurs en récompense du service rendu. Pour un peu il se fût frotté les mains...

Cependant, Garin avait appelé auprès de lui, d'un geste sec, le valet qui l'avait accompagné et qui attendait dans un coin, portant toujours la cassette de velours pourpre. L'argentier ouvrit le coffret. Son contenu concentra aussitôt toute la lumière des hautes torchères de fer. Ses longues mains habiles en tirèrent un lourd et magnifique collier d'or, aussi large et long qu'un ordre de chevalerie. Les entrelacs, formant des feuilles et des fleurs, étaient sertis d'énormes améthystes pourpres, d'un éclat et d'une pureté rares, ainsi que de belles perles à l'orient sans défaut. Un cri d'admiration générale salua l'apparition de cette merveille que Garin fit suivre aussitôt d'une paire de pendants d'oreilles assortis.