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— Je ne partirai pas avant que vous n'ayez fait de moi votre femme, comme tout vous en donne le droit. Je me moque des ordres de Philippe. Ils sont impies, hors nature et je les refuse. Je suis votre femme et s'il me veut, il devra se contenter de ce que vous m'aurez faite. Regardez-moi, Garin.

Elle l'entendit gémir sourdement et il tenta faiblement de l'écarter, mais ne put se retenir d'ouvrir les yeux. Il vit alors, tout près du sien, le ravissant visage tentateur, les lèvres offertes, les beaux yeux humides et prometteurs. Contre lui, il sentait chaque forme du corps jeune et souple. La déesse d'or de tout à l'heure, qu'il avait crue un moment sortie de son imagination, était venue à lui, s'offrait à lui, intolérablement désirable. Il perdit la tête...

Enlevant Catherine dans ses bras, il l'emporta en courant jusqu'au lit, la lança sur la courtepointe de velours plus qu'il ne l'y étendit et se jeta sur elle. L'attaque avait été si brutale que Catherine retint un cri.

La peur se glissait en elle tout à coup car elle se trouvait prise dans un ouragan de caresses violentes, brutales qui la meurtrissaient. Les mains de Garin la brisaient plus qu'elles ne la caressaient, ses lèvres la couvraient de baisers dévorants qui couraient de ses genoux à sa gorge. Il grondait comme un fauve affamé en pétrissant la douce chair féminine. Mais le plaisir, peu à peu s'éveillait dans le corps de la jeune femme qui maintenant s'abandonnait à cette folie d'amour qui n'était pas sans agrément. Elle gémissait doucement sous les mains brutales de Garin mais se rassurait, se tendait d'elle-même dans l'attente d'une joie plus complète qu'elle pressentait. Ses mains tâtonnantes avaient ouvert le pourpoint de Garin, trouvé une poitrine maigre et velue, dure comme du bois sec et s'y attardaient... Au-dessus de sa tête renversée le ciel de lit tournoyait. Soudain, elle poussa un cri aigu : les dents de Garin, hors de lui, s'étaient plantées à la naissance de son sein droit...

Ce cri fit sur son mari l'effet d'une douche. Lâchant brusquement Catherine, il se redressa, sauta à bas du lit et la regarda d'un air égaré.

Il haletait, le visage très rouge, le regard flamboyant.

— Vous m'avez fait perdre... la tête. Allez-vous-en maintenant. Il le faut.

Elle tendit un bras vers lui pour tenter de le ramener, déçue, et furieuse de le sentir échapper encore.

— Non ! Revenez Garin !... Pour l'amour du ciel, oubliez le duc...

Revenez à moi ! Nous pouvons être heureux ensemble, je l'ai senti !

Mais il repoussait doucement la main tendue, refermait son pourpoint avec des doigts qui tremblaient. Il hocha la tête. Son visage retrouvait sa pâleur. Une brusque envie de pleurer secoua Catherine.

Des larmes de colère jaillirent de ses yeux.

— Enfin... pourquoi ? Dites-moi pourquoi ? Je vous plais, je le sens... Vous me désirez aussi, je viens d'en avoir la preuve. Alors pourquoi ?

Lentement, Garin s'assit au bord du lit. Sa main caressa le joli visage en pleurs avec une infinie douceur, se posa sur la tête dorée.

Catherine l'entendit soupirer. Elle s'écria douloureusement :

— Osez dire que vous ne souffrez pas de cette contrainte inhumaine que vous vous imposez, osez le dire ? Je sens que vous êtes malheureux. Et pourtant, vous vous obstinez, stupidement, à nous faire mener, à tous deux, une vie ridicule, anormale...

Le regard de Garin, subitement, s'échappa. Abandonnant la forme rose étendue sur le lit, il s'en alla vers les ombres de la pièce. A nouveau, il soupira. Sa voix se chargea d'une étrange douceur où passait une souffrance cachée et d'autant plus poignante.

« J'en ai telle peine au cœur » murmura-t-il. « La vie était si belle jadis ! Telle peine que mon rire dut se changer en pleurs ! Jusqu'aux oiseaux des bois qu'afflige notre plainte ! Belle merveille que j'en perde courage ! Mais que dis-je, pauvre sot, dans le feu de ma rancœur ? Qui cherche la joie ici-bas, il l'a perdue ailleurs hélas, à jamais hélas !... »

Catherine, interdite, l'écoutait, surprise par l'étrangeté des paroles.

— Qu'est-ce là ? demanda-t-elle.

Garin eut pour elle un pâle sourire.

— Rien... pardonnez-moi ! Quelques vers d'un poète allemand qui s'en alla aux Croisades et que protégeait l'Empereur Frédéric II. On l'appelait Walther von der Vogelweide... Voyez-vous, je suis comme notre ami Abou-al Khayr ! j'aime beaucoup les poètes. Maintenant, je vous laisse, Catherine. Dormez ici, si tel est votre désir...

Avant que Catherine ait pu le retenir, il avait traversé la chambre, disparu dans la galerie. Elle entendit son pas décroître... Alors, la colère l'emporta. Glissant à bas du lit, elle récupéra son manteau, ses mules, puis s'enveloppant hâtivement, regagna sa chambre en courant.

Au bruit de la porte qui claquait derrière elle, Sara qui sommeillait sur un tabouret auprès du feu, sursauta et, la reconnaissant, bondit sur ses pieds.

— Alors ?

Rageusement, Catherine arracha le collier barbare et le lança de toute sa force à travers la pièce. Puis elle piétina le manteau de soie.

Des larmes de fureur jaillissaient de ses yeux.

— Alors... rien ! sanglota-t-elle, absolument rien !

— Ce n'est pas vrai ?...

— Mais si, puisque je te le dis...

Les nerfs de Catherine la lâchaient maintenant. Elle sanglotait nerveusement sur l'épaule de Sara sans même songer à enfiler un vêtement. La tzingara, sourcils froncés, la laissa se calmer un peu.

Quand les sanglots s'espacèrent, elle passa un doigt léger sur la gorge de Catherine où la trace des dents de Garin se voyait, avec une gouttelette de sang.

— Et ceci ? Qu'est-ce que c'est ?...

Catherine, vaincue, se laissa coucher comme un bébé puis, tandis que Sara soignait la petite blessure, elle raconta tout ce qui s'était passé entre elle et son mari. Elle conclut avec un haussement d'épaules :

— Il est plus fort que nous ne croyions, Sara... et terriblement maître de lui. Pour rien au monde il ne manquerait à la parole donnée à son duc.

Mais Sara secoua la tête.

— Ce n'est pas cela. Il a bien failli manquer à cette parole et tu as été tout près de gagner. Je sens qu'il y a autre chose, mais quoi ?...

— Comment le savoir ? Que faire ?

— Rien ! Attendre. L'avenir, peut-être, nous renseignera.

— En tout cas, fit Catherine en se calant confortablement dans ses oreillers, ne compte pas sur moi pour recommencer une telle expérience.

Sara se pencha pour embrasser la jeune femme, tira les rideaux du lit, puis sourit :

— Est-ce que je dois aller chercher le fouet à chiens pour la correction que tu m'avais promise ?

Cette fois Catherine se mit à rire et cela lui fit un bien immense. Sa défaite de la soirée perdait de son importance à mesure que son corps retrouvait le calme et le bien-être. L'expérience avait été intéressante, après tout, mais au fond, il n'était pas mauvais qu'elle se fût ainsi terminée... puisqu'elle n'aimait pas Garin.

Ces consolantes réflexions ne l'empêchèrent aucunement de faire toute la nuit des rêves extravagants dans lesquels Garin et son irritant secret jouaient le principal rôle.

Catherine ne portait pas le collier de turquoises, que d'ailleurs elle avait pris en grippe, quand, la main posée sur le poing de son époux, elle pénétra dans la salle du Palais Ducal où se tenait la duchesse-douairière de Bourgogne. Garin connaissait trop Marguerite de Bavière, mère de Philippe le Bon, pour avoir conseillé à son épouse autre chose qu'une assez simple toilette de velours gris portée sur une robe de dessous en toile d'argent assortie au hennin pointu, si haut que la jeune femme dut baisser la tête pour franchir le cintre de pierre de la porte. Un unique bijou, mais très beau, pendait à son cou, au bout d'une mince chaîne d'or : une très belle améthyste reliant entre elles trois perles en poire d'un merveilleux orient.