Выбрать главу

— Que lui faut-il encore à ce godon rapace ? confia-t-elle à Catherine quand les murs d'Amiens furent en vue. Il étrangle à plaisir le pays de France qu'il occupe contre toute justice, il prend pour femme la plus douce, la plus belle, la meilleure de nos filles et encore il réclame de l'or, lui qui devrait passer sa vie à genoux et baiser la poussière pour rendre grâce au ciel d'une telle faveur ! En vérité, je crève de rage, dame Catherine !... de rage, entendez-vous bien, quand je vois notre Duc tendre la main à l'ennemi séculaire du Royaume et lui donner sa propre sœur...

— Je crois qu'il désire surtout se venger du roi Charles. Il le hait si fort.

— Il veut se venger, mais il souhaite encore plus prendre sa place, grogna la comtesse. C'est déloyauté de la part d'un vassal, même s'il est prince et même s'il veut oublier sa vassalité. Les lois de l'honneur ne se discutent pas !

Un sourire étira brièvement les lèvres de Catherine, séchées par le vent glacial qui s'était levé et chassait les nuages sur les tours d'Amiens.

— Des paroles dangereuses à prononcer, Comtesse, dangereuses à entendre peut-être si le duc en avait vent, fit-elle malicieusement.

Mais la grosse dame posa soudain sur elle un regard si fier et si direct qu'elle se sentit rougir.

— Il n'ignore point ma façon de penser, dame Catherine. Une femme de mon rang ne s'abaisse pas à dissimuler, même en face d'un duc de Bourgogne ! Ce que je vous dis à vous, je le dirais aussi bien à lui !

Catherine ne pouvait se défendre d'une certaine admiration.

Ermengarde tonitruante, obèse, un peu comique même n'en était pas moins d'une grande et bonne race que rien, ni la graisse envahissante, ni les atours excentriques, ne pourraient jamais cacher. Sa grandeur, sa dignité étaient instinctives et surpassaient tous les petits travers humains. Amie sûre, elle était une ennemie redoutable. Il valait mieux être de son côté.

À Amiens, les princesses allèrent rejoindre leur frère. Il les attendait au palais de l'évêque, tandis que leur suite s'en allait prendre logement dans les maisons réservées à cet effet. Ermengarde, bien entendu, suivit celles dont elle avait la garde, tandis que Catherine et son mari s'installaient dans une maison, proche de la grande cathédrale blanche, et dont les fenêtres arrière donnaient sur un canal tranquille.

Cette maison, petite mais confortable, appartenait à l'un des plus gros drapiers de la ville avec qui le grand argentier avait d'étroites relations d'affaires. Garin, par avance, y avait envoyé son majordome Tiercelin avec son valet, son secrétaire et les femmes de Catherine sous les ordres de Sara. Ils avaient apporté avec eux, sous bonne escorte, le plus gros des bagages et, en entrant dans la maison du drapier, Catherine trouva que tout avait été disposé au mieux pour l'accueillir.

Le feu flambait dans les cheminées, sa chambre était douillette et tendue de toiles brodées, le lit fait et, sur une table, des violettes trempaient dans un pot de faïence peinte. Le repas était servi dans la pièce principale.

Cette installation, relativement modeste pourtant, était un rare privilège dans une ville surpeuplée, où le moindre lit se payait à prix d'or. Les nombreuses suites du duc de Bretagne, de Bedford, des comtes de Richemont, de Salisbury et de Suffolk avaient tout envahi.

Plus d'un bourgeois d'Amiens était réduit à s'entasser dans une seule chambre avec sa famille et ses servantes pour laisser place aux gens, brutaux et arrogants pour la plupart, de tous ces seigneurs venus rencontrer le duc Philippe. Ce n'était, à toutes les maisons, qu'écussons accrochés aux fenêtres, pennons et bannières flottant au vent du soir. Les queues d'hermines noires sur champ d'argent de Bretagne couvraient toutes les maisons à l'est du palais épiscopal, tandis que les pals sanglants du comte de Foix occupaient le quartier ouest. Le sud appartenait aux roses

écarlates de Lancastre, duc de Bedford. Le régent anglais à lui seul, avec le renfort des comtes de Salisbury et de Suffolk, occupait la moitié de la ville. Les Bourguignons, en général, s'entassaient au nord et les serviteurs de l'évêque d'Amiens, là où ils pouvaient.

Malgré sa fatigue, ce soir-là, Catherine ne put trouver le sommeil.

Toute la nuit, la ville retentit de chants, de cris, d'appels de trompettes si vigoureux que les maisons en tremblaient, préludant ainsi aux fêtes magnifiques annoncées par le duc Philippe. Et puis l'énervement s'ajoutait au vacarme du dehors. Dans la soirée, Garin s'était rendu au palais épiscopal, appelé par son maître. En rentrant, il était entré chez sa femme qui venait de se coucher. Elle bavardait avec Sara, tandis que la fidèle servante brossait et pliait les vêtements portés par sa maîtresse dans la journée.

— Demain soir, dit-il seulement, vous serez présentée à Monseigneur au cour du bal des accordailles. Je vous souhaite une bonne nuit...

Le lendemain, le palais de l'évêque rougeoyait dans la nuit comme un incendie. Les pots de feu couronnant ses créneaux, les flots de lumière pourpre et dorée que déversait chacune de ses fenêtres lancéolées s'allaient refléter sur l'immense ciselure blanche de la haute cathédrale, enveloppant pierres et statues d'une factice aurore. Chaque embrasure vomissait des cascades de soieries armoriées dégringolant jusqu'au sol, chaque colonnette supportait une bannière de soie et, sur la place où les gardes contenaient à grand-peine la foule des badauds de la ville, une étonnante fresque en couleurs violentes déroulait son faste. Seigneurs aux pourpoints rayonnants de pierreries, posant avec précautions

leurs

pieds

chaussés

d'absurdes

chaussures

à

l'interminable poulaine dont certains relevaient le bout avec des chaînettes d'or retenues à la ceinture, portant avec une assurance inouïe d'énormes chaperons brodés et de longues manches déchiquetées qui tombaient jusqu'à terre, dames en robes de rêve sous l'échafaudage fantastique des hennins pointus, cornus, à bourrelets simples ou doubles, toutes, ennuagées de dentelles et de mousselines, toutes, scintillantes de joyaux, traînant après elles les aunes de brocart, de satin, de velours ou de lamé de leurs robes de fête. Tous, gardés de la foule par la double haie de fer des gardes, s'en allaient d'un pas nonchalant vers la fête comme autant d'étoiles étranges qui scintillaient un instant sous le feu des torches et qu'engloutissait l'ombre du porche. Toutes les fenêtres de la place étaient bondées de curieux et l'on y voyait comme en plein soleil tant le duc avait prodigué torches et chandelles.

D'une fenêtre du palais, Catherine regardait couler le fleuve étincelant des invités. Elle était arrivée dans l'après-midi avec ses femmes et les coffres contenant ses atours, car la Grande Maîtresse n'avait voulu laisser à personne le soin d'inspecter minutieusement sa toilette de présentation. Pour plus de sûreté et afin d'être certaine que la jeune femme, entraînée par la curiosité ne se montrerait pas aux invités avant l'heure convenue, Ermengarde l'avait enfermée dans sa propre chambre, tandis qu'elle-même allait surveiller les toilettes des princesses. Prête et désœuvrée, Catherine regardait...