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— Que l'on nous amène donc, en ce cas, le chevalier mystérieux...

Gageons que c'est là quelque galanterie de l'un de nos féaux sujets qui réserve aux dames et à nous-mêmes, une joyeuse surprise...

Un murmure satisfait salua cet ordre. L'arrivant qui se cachait ainsi soulevait une vive curiosité. Sans doute allait-on voir apparaître un magnifique cavalier portant un costume somptueux qui viendrait sous le masque d'un paladin d'autrefois dire des vers d'amour ou offrir au duc un galant compliment... Mais quand le chevalier mystérieux parut, le brouhaha s'arrêta net.

Dans le cadre des portes ouvertes, en armure d'acier noir, il s'érigeait comme une statue funèbre. Noir, l'épervier battant de l'aile au timbre de son heaume, noires les armes qu'il portait et qui n'étaient certes pas des armes courtoises, mais bien des armes de guerre. Ventaille baissée, silencieux, sinistre, il regardait l'étincelante compagnie. Il tendit à un garde la lourde épée qu'il tenait puis, lentement il s'avança vers le trône, au milieu de la stupeur générale. Dans le grand silence, le claquement des solerets de fer sur les dalles résonnait comme un glas. Le sourire s'était effacé des lèvres de Philippe et chacun retenait son souffle.

Le chevalier noir avançait toujours, d'un pas lourd qui avait l'implacable mécanisme du destin. Au pied du trône, il s'arrêta. Le geste qu'il fit alors fut aussi violent qu'imprévisible.

Arrachant son gantelet droit, il le jeta brutalement aux pieds de Philippe qui bondit, blême soudain de colère. L'assistance gronda.

— Comment osez-vous ? Et qui êtes-vous ? Gardes... Démasquez cet homme ! aboya Philippe blanc de rage.

— Inutile !...

Sans se presser le chevalier portait les mains à son casque. Sans savoir pourquoi, le cœur de Catherine s'était mis à battre à tout rompre. Le sang, lentement, désertait son visage, ses mains. Une angoisse montait... Elle atteignit sa gorge, éclata dans un cri, vite étouffé sous les deux mains de la jeune femme. Le chevalier venait d'ôter son heaume. C'était Arnaud de Montsalvy.

Hautain et méprisant, il se tenait droit au pied du trône, le casque à l'épervier logé sous son bras gauche. Son regard sombre monta audacieusement jusqu'à celui de Philippe, s'y accrocha.

— Moi, Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Châtaigneraie et capitaine du roi Charles, septième du nom, que Dieu veuille garder, je suis venu vers toi, Duc de Bourgogne, pour te porter mon gage de bataille. Comme traître et félon je te défie en champ clos, au jour et à l'heure qui te plairont et avec les armes de ton choix. Je réclame le combat à outrance...

Un véritable rugissement accueillit ce discours que la voix sonore d'Arnaud avait envoyé aux quatre coins de la salle. Un cercle menaçant se formait déjà derrière le jeune homme. Des seigneurs tiraient de leurs fourreaux les dagues légères qu'ils portaient et qui eussent été bien inefficaces contre une armure de bataille. Mais le cœur de Catherine défaillit de peur. Pourtant, d'un geste de sa main levée, Philippe de Bourgogne avait fait taire ses courtisans. La colère, peu à peu, s'effaçait de son visage, laissant place à la curiosité. Il se rassit, se pencha en avant.

— Tu ne manques pas d'audace, seigneur de Montsalvy. Pourquoi dis-tu que je suis traître et félon ? Pourquoi ce défi ?

Arrogant comme un coq de combat, Arnaud haussa les épaules.

— La réponse à ces questions est inscrite sur les armes de ton principal invité, seigneur Philippe de Valois. C'est la rose rouge des Lancastre que je vois ici, c'est l'Anglais que tu traites en frère, à qui tu donnes ta sœur. Et tu me demandes en quoi tu trahis ton pays, prince français qui reçoit l'ennemi sous son toit ?...

— Je n'ai pas à discuter ma politique avec le premier venu.

— Il ne s'agit pas de politique, mais d'honneur. Tu es vassal du roi de France et tu le sais bien ! Je t'ai lancé un défi, le relèves-tu ou bien dois-je de surcroît te traiter de lâche ?

Le jeune homme se baissait déjà pour reprendre son gantelet. Un geste du Duc l'arrêta.

— Laisse !... le gant est jeté, tu n'as plus loisir de le reprendre.

Un mauvais sourire fit étinceler un instant les dents blanches d'Arnaud. Mais le Duc poursuivait :

— Pourtant, un prince régnant ne peut se mesurer en champ clos avec un simple chevalier. Notre champion relèvera donc le gage lancé.

Un éclat de rire insolent lui coupa la parole. Catherine vit se crisper les doigts de Philippe sur les bras de son siège. Il se leva.

— Sais-tu que je pourrais te faire saisir par mes gens,-jeter en quelque basse-fosse...

Arnaud renonça soudain à tutoyer le duc :

— Vous pourriez aussi, seigneur duc, m'opposer dans le champ tous vos escadrons. Mais ce ne serait pas non plus vous conduire en chevalier. Sur le champ de mort d'Azincourt, où toute la noblesse de France tint à honneur de rompre les lances, sauf vous et votre noble père, plus d'un prince croisa l'épée avec plus simple gentilhomme que moi.

La voix de Philippe atteignit alors, sous l'effet de la colère, un diapason aigu qu'on ne lui avait que rarement entendu et qui trahissait sa fureur mieux que ses paroles.

— Nul n'ignore combien grands furent nos regrets de n'avoir pu participer à cette glorieuse et désastreuse journée.

— N'importe qui peut en dire autant, huit ans après ! fit Arnaud goguenard. Moi j'y étais, seigneur duc, c'est peut-être ce qui me donne le droit de parler si haut. N'importe ! Vous préférez boire, danser et fraterniser avec l'ennemi, libre à vous. Je reprends donc mon gage et...

— Moi je le relève...

Un chevalier gigantesque, portant un extravagant costume mi-partie rouge et bleu qui moulait strictement un torse épais comme celui d'un ours s'était avancé. Courbé rapidement avec une agilité dont pareille masse semblait incapable, il ramassa le gantelet. Puis se tourna vers le chevalier noir.

Tu souhaitais t'affronter à un prince, seigneur de la Châtaigneraie, tu peux te contenter du sang de Saint Louis, même frappé de bâtardise...

Je suis Lionel de Bourbon, bâtard de Vendôme et je te dis, moi, que tu en as menti par la gorge...

Catherine se soutenait à peine. Sur le point de défaillir, elle chercha instinctivement un appui. Elle rencontra le bras solide de dame Ermengarde qui se tenait près d'elle. Prunelles dilatées, narines battantes, la Grande Maîtresse piaffait comme un cheval de bataille qui entend la trompette. La scène jouée sous ses yeux, accaparait toute son attention et la ravissait visiblement. Elle couvait d'un regard brillant la silhouette vigoureuse et noire du capitaine de Montsalvy et une véritable houle soulevait sa poitrine généreuse... Le chevalier cependant contemplait avec un sang-froid absolu la gigantesque silhouette de son adversaire. L'examen dut le satisfaire car il haussa ses larges épaules vêtues d'acier.

— Va pour le sang du bon roi Louis, bien que je m'étonne de le voir aventuré dans une mauvaise cause ! J'aurai donc l'honneur, seigneur bâtard, de te couper les oreilles, à défaut de celles de ton maître. Mais retiens bien ceci : c'est au jugement de Dieu que je t'appelle. Tu as choisi de défendre la cause de Philippe de Bourgogne comme je l'attaque moi, au nom de mon maître. Il ne s'agit pas ici de rompre des lances courtoises en l'honneur des dames. Nous combattrons à outrance, jusqu'à la mort de l'un de nous, ou jusqu'à ce qu'il crie merci.

Catherine poussa un sourd gémissement que Garin entendit. Il tourna vers sa femme un regard oblique, mais ne fit aucun commentaire. Dame Ermengarde aussi avait entendu. Elle haussa les épaules.

— Ne soyez pas si sensible, ma chère ! Le jugement de Dieu est une chose passionnante. Et j'espère bien que Dieu rendra justice à ce jeune chevalier. Il est magnifique, sur ma parole !... Comment s'appelle- t-il ? Montsalvy ? Un vieux nom je crois, fort bien porté !