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— Si je n'étais sûr que notre jeune présomptueux est bien là, fit derrière Catherine une voix élégamment nasillarde, je supposerais que ce tref est vide !

Ermengarde de Châteauvillain, qui faisait toute une affaire du choix d'un coussin pour y établir son vaste séant, leva les yeux en même temps que son amie, découvrit un homme de vingt-sept ou vingt-huit ans, blond, mince et élégant, mais dont toute la personne dégageait un léger parfum de fatuité. Ce jeune homme était beau, très certainement, mais, selon le sentiment immédiat de Catherine, il le savait un peu trop. Ermengarde, cependant, haussait les épaules et ronchonnait, tout de suite bourrue :

— N'essayez donc pas d'être mauvaise langue, Saint-Rémy. Le jeune Montsalvy n'appartient certainement pas à la catégorie de ceux qui se dérobent au dernier moment...

Jean de Saint-Rémy lui adressa un sourire narquois, enjamba sans cérémonie le gradin sur lequel les deux dames s'apprêtaient à prendre place et se retrouva à leur hauteur.

— Je le sais mieux que vous, dame Ermengarde. N'oubliez pas que j'étais à Azincourt. J'ai pu y voir les prodiges de valeur accomplis par un gamin qui ne devait pas avoir beaucoup plus de quinze ou seize ans ! Tudieu, quel lion ! Il vous maniait le fléau d'armes dans la mêlée avec l'aisance d'un paysan dans un champ de blé. En fait, si j'ai dit cela, c'était uniquement pour avoir une entrée en matière... afin d'être présenté à cette éblouissante dame que j'admire de loin depuis trois jours : la belle au diamant noir !

Il adressait à Catherine un si rayonnant sourire qu'elle acheva de lui pardonner sa fatuité. Acheva, car elle avait largement commencé lorsqu'il avait fait d'Arnaud un éloge si chaleureux. Le jeune homme lui parut infiniment plus sympathique, moins enluminure de missel sous son magnifique pourpoint vert, si cousu de minces rubans d'or qu'il avait l'air d'une chevelure blonde sous le vent. Une plume arrogante surmontait, sur sa tête, une sorte de toquet en forme de pot de fleurs, comme aucun homme n'en portait sur la lice. Ermengarde se mit à rire.

— Que ne le disiez-vous plus tôt sans chercher midi à quatorze heures ! Ma chère Catherine, vous voyez devant vous messire Jean Lefebvre de Saint- Rémy, natif d'Abbeville, conseiller privé de Monseigneur le Duc, grand spécialiste ès blasons, lambels, armoiries de tout poil, et arbitre incontesté des élégances de la Cour. Quant à vous, mon cher ami, vous pouvez saluer dame Catherine de Brazey, épouse de notre Grand Argentier et dame de parage de la duchesse-douairière.

Saint-Rémy salua Catherine avec toutes les marques d'une vive admiration détaillant d'un œil connaisseur sa toilette et sa parure.

— On ne peut voir Madame et ne pas tressaillir d'aise, fit-il avec enthousiasme. Rien de plus élégant que cette toilette dont la simplicité voulue met si heureusement en valeur ces magnifiques améthystes.

Dès mon arrivée dans ce hourd, je n'ai vu qu'elle et, si vous le permettez, je m'en délecte. Oui, c'est le mot, je m'en délecte !

Catherine, en effet, portait ce jour-là les améthystes que Garin lui avait offertes pour leurs fiançailles et, afin que rien ne vint détourner l'attention de la splendeur des pierreries, sa robe était de simple satin blanc à reflets mauves, mais un merveilleux satin souple qui épousait les courbes de son corps jusqu'aux hanches, comme un drap mouillé.

Le hennin était fait du même satin, recouvert d'une fine dentelle blanche qui retombait en nuage sur les épaules découvertes de la jeune femme. Elle s'était parée avec un soin tout particulier et quasi désespéré. Pour regarder Arnaud risquer sa vie, elle s'était voulue plus belle que jamais. Il fallait qu'il la vît, qu'il pût la distinguer parmi tous les autres spectateurs.

Elle et Ermengarde étaient arrivées de bonne heure afin d'être bien placées dans la tribune réservée à la maison des princesses mais, depuis quelques instants, le fragile et brillant édifice s'emplissait d'une foule de nobles spectateurs : dames et damoiselles en atours brillants, jeunes seigneurs bavards et excités, graves conseillers et aussi quelques vieux chevaliers qui venaient réchauffer leurs souvenirs à la vue des exploits d'autrui. Catherine vit arriver Marie de Vaugrigneuse et remarqua le pincement des lèvres de la jeune fille en constatant que la dame de Brazey avait place au premier rang.

Pendant ce temps, Jean de Saint-Rémy s'était installé auprès d'elle et bavardait sans arrêt, commentant telle ou telle toilette, nommant les arrivants avec une verve et un esprit, souvent acérés, mais amusants, Par-dessus Catherine placée entre eux deux, Ermengarde lui donnait la réplique et leurs propos distrayaient la jeune femme de son angoisse. Pourtant, elle ne put se retenir de demander :

— Vous avez déjà vu combattre le comte de Montsalvy, messire de Saint-Rémy ? Est-ce que vous pensez, comme chacun ici, qu'il n'a aucune chance devant le bâtard de Vendôme ?

Ermengarde laissa échapper un énorme soupir, à la fois compréhensif et ennuyé, mais Saint-Rémy étendit ses longues jambes et se mit à rire. Il se pencha confidentiellement vers sa voisine : Ne le répétez pas, car je me ferais honnir. Je crois, moi, que le bâtard aura bien du mal à venir à bout de messire Arnaud. Lionel a pour lui une force de taureau, mais Montsalvy tient debout... et il a le plus affreux caractère que je connaisse dans tout le royaume de France. Il se gardera bien de mourir, sauf s'il y est absolument forcé. Et cela dans le seul but de contrarier son adversaire...

Il se mit à rire, d'un air nonchalant, un peu niais, mais qui donnait bien le change sur son exact degré d'intelligence. Catherine, extraordinairement remontée, d'un seul coup, lui fit écho. Elle se sentait soulagée d'un grand poids et la confiance lui revenait. Mais, à son grand regret, il ne lui fut pas possible de continuer la conversation car, dans la grande loge centrale toute tendue de velours pourpre à crépines d'or, le duc Philippe et les princes faisaient leur entrée. Une immense ovation les salua. Philippe était vêtu de noir à son habitude, un vaste chaperon sur la tête et un collier de diamants, gros comme des noisettes, autour du cou. Il était pâle mais impassible. Catherine remarqua qu'il laissait, un instant, son regard peser sur le champ clos où éclataient les vivats du petit peuple contenu par les barrières, mais qu'il ne souriait pas. Avec lui apparurent les deux couples de fiancés : Bedford, impassible et terriblement anglais, conduisant Anne d'une main solennelle, puis Richemont et Marguerite qui se souriaient, tout occupés d'eux-mêmes. Le duc de Bretagne venait entre les deux couples et les nobles spectateurs prirent place dans les fauteuils armoriés préparés pour eux. Derrière celui de Philippe, dans l'ombre, Catherine aperçut son mari et Nicolas Rolin. Les deux hommes discutaient et ne regardaient pas la lice.

A peine assis, le duc Philippe fit un geste de la main. Vingt trompettes s'alignèrent devant les tribunes, embouchèrent leurs instruments et lancèrent, vers le ciel qui se couvrait de nuages, un strident appel.

Catherine sentit ses mains se glacer, ses joues se creuser tandis qu'un frisson glissait le long de son échine : le moment du combat était venu

! Entre les cordes, tendues en travers de la lice et qui coupaient le champ clos de part et d'autre d'un étroit couloir, s'avança Beaumont, héraut d'armes de Bourgogne, un bâton blanc à la main. Derrière lui se rangèrent six poursuivants d'armes en tabard armorié. Jean de Saint-Rémy les nomma tout bas à Catherine. C'étaient Fusil, Germoles, Montréal, Pèlerin, Talant et Noyers. Le jeune conseiller semblait extrêmement surexcité.