Выбрать главу

— Mesurez vos paroles ! fit-il rudement et ne prenez pas pour excuse le fait que je vous ai, un jour, montré de l'indulgence...

— Et même un peu plus ! Mais je m'en vais puisque je déplais à Monseigneur.

Elle amorçait déjà un demi-tour quand la voix de Philippe la cloua sur place.

— Restez ! Et expliquez-vous ! Quelle est cette histoire d'honneur dont on me rebat les oreilles ? Mon honneur se porte, sachez-le, le mieux du monde. Le fait que mon champion ait été battu n'a rien d'avilissant car son vainqueur est vaillant...

— Vraiment ? fit Catherine avec une insolence calculée. Le fait, en effet, n'aurait rien de déshonorant si vous ne l'aviez rendu tel en faisant jeter ce vaillant vainqueur dans une basse-fosse...

Une sincère surprise se peignit sur le visage de Philippe et Catherine sentit son courage s'accroître. Saint- Rémy avait raison. Le duc ne paraissait pas au courant.

— Que voulez-vous dire ? Qu'est-ce que ce conte de bonne femme

? Allons, parlez... De quelle basse- fosse est-il question ?

— De celle où messire de Luxembourg a dû jeter à cette heure les chevaliers de Montsalvy et de Xaintrailles après avoir éloigné le connétable de Buchant sous un faux prétexte. Comment appelez-vous cela, Monseigneur, en matière de chevalerie ? Moi, qui suis de sang roturier, j'appelle cela forfaiture. Mais je vous l'ai dit, je ne suis pas princesse... Encore, s'il se fût agi d'un simple chevalier insolent. Mais l'homme qui a vaincu le bâtard de Vendôme portait ceci... à quoi le simple respect de votre sang vous commandait de ne pas toucher !

De pâle, Philippe était devenu blême. Ses yeux gris, rivés au casque fleurdelisé que Catherine venait de dévoiler, ne cillaient pas. Il paraissait changé en statue de sel. La jeune femme, alors, se permit un petit rire qui le fouetta.

Donnez-moi ce casque, Madame, et m'attendez ici. Je jure par le sang de mon père que, si vous en avez menti, vous irez vous-même finir la nuit dans une de ces basses-fosses qui vous tiennent si fort à cœur.

Catherine plongea dans une impeccable révérence.

— Allez, Monseigneur. J'attendrai ici... sans crainte.

Saisissant le casque, Philippe sortit à grands pas de la chambre. La visiteuse l'entendit ordonner à l'archer de garde de ne laisser sortir sous aucun prétexte la dame de Brazey.

Très calmement, celle-ci s'installa dans un fauteuil près de la cheminée où l'on avait allumé un grand feu parce que la soirée était fraîche. Elle savait qu'elle n'avait rien à redouter et attendait Philippe sans inquiétude. Il ne tarda d'ailleurs pas à reparaître. Il avait toujours à la main le casque qu'il posa sur une table. Catherine se leva précipitamment et attendit. Le duc resta immobile et silencieux, bras croisés sur la poitrine, tête baissée. Soudain, comme quelqu'un qui prend son parti, il se redressa, vint à la jeune femme. Elle vit que son regard était toujours aussi sévère.

— Vous aviez raison, Madame. Un de mes amis a cru servir ma cause en faisant du zèle intempestif. Les deux chevaliers seront relâchés... demain matin.

— Pourquoi demain ? s'insurgea aussitôt Catherine. Pourquoi leur infliger une nuit pénible, dans un cachot, après un si rude combat ?

— Parce qu'il me plaît ainsi, dit le duc avec hauteur. Et aussi pour vous punir. J'ai appris, en effet, Madame que vous portiez un très vif intérêt à ces messieurs. Saint-Pol1 vous a trouvée dans leur tente, vous, l'une de mes sujettes ? Voulez-vous me dire ce que vous y faisiez ?

Si bonne envie qu'eût Catherine de jeter la vérité au visage de Philippe, car, à cette minute, elle le haïssait de tout son cœur, elle sentit la jalousie latente sous

1. Jean de Luxembourg était comte de Saint-Pol.

les paroles. Elle comprit qu'en avouant son amour pour Arnaud, elle mettrait en danger la vie du jeune homme. Armant son visage d'une expression insouciante, elle haussa les épaules.

— Autrefois, quand j'étais petite fille, à Paris, j'ai connu messire de Montsalvy. Mon père qui était orfèvre travaillait pour sa famille.

Quand je l'ai vu tomber, j'ai eu peur qu'il n'eût été mis à mal et suis allée m'enquérir de sa santé. Voilà tout. Dois-je, pour vous plaire, oublier mes amis d'enfance ?

Au regard de Philippe, elle vit qu'il hésitait à la croire. L'instinctive méfiance envers tous et toutes qu'il tenait de son père le retenait sur la pente menant à cette femme si belle. La tenant sous son regard, il demanda durement :

— Tu es bien sûre qu'il ne s'agit pas d'une histoire d'amour ? Je ne le tolérerais pas, sais-tu bien ?...

D'un geste brusque, il avait passé un bras autour de la taille de Catherine, l'amenait tout contre lui sans que son regard s'adoucit.

— C'est à moi que tu dois appartenir, tu le sais, à moi seul. Songe à la peine que je me suis donnée pour t'élever jusqu'à moi. Tu as épousé l'un de mes dignitaires, tu appartiens à ma Cour, tu es dame de parage de ma mère... Je n'ai pas coutume de me donner tant de mal pour une femme... Il y en a si peu qui en valent la peine ! Mais toi, tu n'es pas comme les autres. Il était injuste de te laisser croupir dans les basses classes, avec cette beauté qui aurait dû te valoir un trône. J'espère que tu apprécies ton sort.

Catherine se penchait en arrière sur le bras de Philippe pour éviter le contact de sa bouche qui, subitement, lui faisait horreur. Mais elle n'osait pas le repousser catégoriquement à cause de ce regard immobile qu'il avait et qui lui faisait peur, moins pour elle que pour Arnaud. Il se penchait, plus bas, encore plus bas sur sa bouche. Elle ferma les yeux pour ne plus

le voir. Pourtant, il ne l'embrassa pas. Ce fut contre son oreille qu'elle sentit les lèvres de Philippe qui chuchotaient :

— Dans le petit cabinet voisin, tu trouveras tout ce qu'il te faut. Va ôter cette robe et reviens... Je ne veux plus attendre.

Un affolement la prit. Elle ne s'attendait pas à cette brutale exigence. Voyons, il était tard, il y avait fête au palais... il y avait aussi Garin qui devait la chercher ! Philippe ne pouvait la garder, pas ce soir !...

— Monseigneur, fit-elle d'une voix dont elle s'efforçait de masquer le tremblement, songez qu'il est tard... que mon époux m'attend...

— Garin travaillera toute la nuit avec Nicolas Rolin. Il ne s'inquiétera pas de toi. Et puisque tu es venue à moi, je te garde...

Il la lâchait, la conduisait vers la petite porte auprès de la cheminée.

Plus morte que vive, Catherine cherchait désespérément un biais pour s'échapper.

— L'on m'avait dit que vous aviez peu de temps...

— Pour toi, j'ai tout le temps !... Va vite !... Sinon je pourrais croire qu'en venant ici tu avais en vue tout autre chose que le souci de mon honneur... et que le chevalier t'est plus cher que tu ne veux bien l'avouer.

La jeune femme se sentit frissonner. Elle était prise au piège. Le moment qu'elle avait redouté depuis ses fiançailles était venu et dans les pires circonstances. Alors qu'elle eût tant aimé demeurer seule, enfermée chez elle, pour retrouver un peu de calme et pleurer tout à son aise la terrible scène du pavillon bleu, il lui fallait se donner à un homme qu'elle n'aimait pas, qu'elle détestait même. La vie aventurée d'Arnaud lui en faisait un devoir. 11 fallait payer sa liberté au prix le plus élevé et elle comprenait maintenant pourquoi Philippe refusait de délivrer ses prisonniers avant le matin. Il voulait cette nuit en gage.

Le duc referma la petite porte et elle se trouva dans un réduit sans fenêtre qu'éclairaient deux bouquets de bougies dans des candélabres d'or. Sur une sorte de dressoir bas étaient disposés des flacons de parfum, des boîtes d'onguents, le tout en or émaillé de vives couleurs-Un grand miroir carré trônait au milieu, reflétant la douce lumière des chandelles et la petite pièce, toute tendue de velours pourpre, avait l'air d'un écrin. Sur un tabouret couvert de même tissu, attendait une robe faite de voiles azurés assortie à de petites pantoufles de satin de même couleur posées devant.