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— J'aurais dû m'en douter ! Pour rien au monde il ne nous la rendrait. Le

Te Deumque Bedford a fait chanter à Paris donne la mesure de la peur qu'ils ont eue, tous tant qu'ils sont ! Il faudra trouver autre chose...

Mais Catherine, constatant qu'il lui faisait tourner le dos à l'abbaye Saint-Corneille et se dirigeait plutôt vers le vieux château de Charles V dont la masse triangulaire se découpait dans la nuit, s'arrêta net.

— Où me conduisez-vous ? Je veux retourner auprès d'Arnaud...

— C'est inutile. Il est inconscient. Et vous ne pouvez demeurer dans un couvent de bénédictins. Je vous ai fait préparer une chambre dans la maison d'une riche veuve où votre servante vous attend déjà. Demain matin vous pourrez venir aux nouvelles avant de repartir pour Bourges...

— Repartir pour Bourges ? Est-ce que vous êtes fou ? Pourquoi croyez-vous que je suis venue jusqu'ici ? Pour le plaisir contestable de me brouiller à mort avec Philippe de Bourgogne ? Tant qu'Arnaud y sera, j'y serai et aucune force humaine ne pourra m'en arracher, vous m'entendez ? Ni vous, ni personne...

— C'est bon ! fit-il conciliant avec un demi-sourire, ne criez pas si fort, vous allez ameuter tout le quartier ! Vous resterez, puisque vous y tenez, mais promettez-moi de n'aller au couvent qu'avec moi, sous ma garde. Je n'ai aucune envie que vous y fassiez du scandale. Au surplus, le siège va se durcir et je n'ai pas trop de tous mes hommes. Vous donner une escorte m'eût gêné. Allons, Catherine, cessez donc de me regarder avec cette mine furieuse. Vous n'avez pas encore compris, depuis le temps, que je suis votre allié ? Tenez, voici votre maison. Entrez et allez vous reposer, vous en avez le plus grand besoin.

— Mais... Arnaud ?

— Arnaud ne mourra pas cette nuit ! Le père prieur qui le soigne commence à reprendre espoir. Il dit qu'il devrait être mort depuis longtemps et que cette survie obstinée est bon signe. Il va essayer un nouveau traitement sur la nature duquel il reste muet comme une carpe...

Mal convaincue, Catherine enveloppa Xaintrailles d'un regard soupçonneux mais l'Auvergnat roux semblait curieusement détendu, ce soir. Il n'avait plus entre ses épais sourcils la barre soucieuse qu'il avait traînée tout le long de la route. Docile, déjà un peu rassurée, Catherine entra dans la maison dont il lui ouvrait la porte. Dans l'escalier, elle trouva Sara souriante.

— Viens, fit la tzingara, on t'a préparé un bon lit. Rien de comparable avec ces affreuses couchettes de moine ! Là-dedans, tu dormiras bien...

Il est certain que, le lendemain, Arnaud sans être encore vraiment mieux, avait perdu cet aspect cadavérique si terrifiant. Il était toujours pâle mais sa peau n'avait plus son reflet verdâtre et ses mains avaient enfin cessé leur tragique va-et-vient. Il écouta sans broncher le récit que lui fit Catherine de son entrevue avec Philippe de Bourgogne, indifférent en apparence, si lointain que la jeune femme se crut, une fois de plus, condamnée par lui.

— J'ai fait tout ce que j'ai pu, s'écria-t-elle alarmée. Je vous le jure ; mais il y a en lui certaines choses que nul ne peut vaincre...

— Appelez-les par leur nom, Catherine, intervint Xaintrailles. Le duc a peur de Jehanne, tellement peur que cela domine même son amour pour vous !

— Je m'en doutais un peu, fit enfin Arnaud, mais je n'aurais pas cru que ce fût à ce point. Vous n'avez rien à vous reprocher, Catherine, je suis sûr que vous avez fait de votre mieux. Maintenant... Jean va vous faire reconduire à Bourges.

Xaintrailles fit la grimace et vint se pencher au-dessus du lit de son ami pour être sûr que nul ne ; l'entendrait de l'extérieur.

— C'est ce que je comptais faire, mais elle ne veut pas. Elle veut rester.

— Pourquoi faire ? fit le blessé tout de suite mécontent.

Il était déjà tout prêt à se mettre en colère et Catherine préféra plaider elle-même sa cause.

— Pour vous aider ! Je devine que vous n'allez pas laisser les choses dans l'état où elles sont. Vous allez tout tenter, n'est-ce pas, pour délivrer Jehanne ? Alors, gardez-moi, laissez-moi vous aider... laissez- moi au moins cela...

Les yeux noyés de larmes, elle prit entre les siennes les mains d'Arnaud et s'y accrocha.

— Comprenez que j'ai échoué ! J'ai du mal à l'admettre et je peux beaucoup pour vous : j'ai de l'or, des joyaux qui valent une fortune.

— D'où sortez-vous tout cela ? demanda Xaintrailles moqueur.

— Vous allez voir...

Pressentant vaguement ce qui allait se passer, Catherine s'était munie en venant au couvent de la cassette emportée depuis Bourges et dont, jusque-là, elle avait négligé de parler à Xaintrailles. Elle alla la prendre sur la table où elle l'avait posée en entrant, l'apporta sur le pied du lit, l'ouvrit... La lumière pauvre de la cellule se concentra sur le fabuleux mélange de pierres et d'or, arrachant aux deux hommes une exclamation de surprise admirative.

— Bon sang ! grogna Xaintrailles. Quand je pense que nous avons traîné tout ça depuis Bourges. Il y avait de quoi nous faire étriper par n'importe quel parti rencontré... ennemi ou ami !

Avec un effort pénible, Arnaud était arrivé à se soulever. Sa main amaigrie fouillait les bijoux entassés en vrac, en tirait le grand collier d'améthystes que Garin, jadis, avait offert à Catherine pour leurs fiançailles.

— Je connais ce bijou..., fit-il lentement. Vous le portiez... à Arras, n'est-ce pas ?

Elle fut heureuse qu'il s'en souvînt, fouilla dans un coin du coffret et sortit une pochette de peau serrée par un cordon. L'instant suivant, l'énorme diamant noir étincelait au creux de sa main.

— Et celui-là, je le portais à Amiens quand vous avez défié le duc Philippe, fit-elle doucement.

Un fugitif sourire détendit les traits du blessé.

— Est-ce que vous croyez que je ne m'en souviens pas ? Ou bien que je ne vous avais pas vue ? Morbleu... vous écrasiez toutes les autres sous votre splendeur insolente dans votre robe noire ! Et vous voulez sacrifier tout cela pour une cause qui n'est même pas la vôtre ?

— Pour que vous compreniez que je veux vous aider, rectifia Catherine et pour que vous me rendiez au moins un peu d'estime. J'ai compris, depuis longtemps, que rien n'est possible entre nous, que rien ne peut nous être commun si ce n'est, peut-être, la mort. Laissez-moi au moins cela.

Elle avait parlé avec tant de passion que l'ironie s'effaça des yeux d'Arnaud. Un moment, ils demeurèrent fixés sur elle sans que la jeune femme pût déchiffrer leur expression. Enfin, il soupira :

— Vous êtes vraiment une étrange fille, Catherine ! Je crois bien... que je ne vous comprendrai jamais. Restez, si vous le voulez. A pareil prix, je serais ingrat et injuste de vous l'interdire.

Il avait trop parlé pour sa faiblesse et se laissait aller sur ses oreillers, tandis que les ailes de son nez se pinçaient. Mais Catherine était trop heureuse pour s'en inquiéter. D'un geste vif, elle rassembla les pierreries, les fourra dans le coffret et mit ce dernier dans les bras de Xaintrailles stupéfait.

— Gardez ça, messire Jean !... et cherchez par la ville un usurier qui vous l'achète. Il doit bien s'en trouver encore.

— Il s'en trouve encore mais nous sommes assiégés, vous l'oubliez. Ils ne se montreraient pas assez généreux. L'or liquide peut servir, dès maintenant, mais avec des pierres de cette valeur on rachèterait la vie d'un roi. Il serait fou de les lâcher à vil prix !

Le père prieur rentrait dans la cellule à cet instant, portant sur un plateau des bandes, de la charpie et divers pots et boîtes pour changer le pansement du blessé. Catherine et Xaintrailles, après un dernier regard sur Arnaud, sortirent et regagnèrent la rue. Au seuil, ils se séparèrent. Le capitaine devait aller vers les remparts où l'appelait son devoir de soldat. Catherine allait rentrer chez elle.

— Jusqu'à nouvel ordre, fit Xaintrailles, il vaut mieux que vous gardiez le trésor de guerre. Je ne me vois pas repousser l'assaut des Bourguignons avec une fortune sous le bras. Cachez-le bien !