Au moment où Catherine connut la réalité charnelle de l'amour, ses yeux s'ouvrirent démesurément sur la voûte de branches encore feuillues qui s'entrelaçaient au-dessus de sa tête. La lumière argentée de la lune à son lever glissa au travers et montra à Catherine le visage grave et tendu de son amant. Il lui parut, à cet instant, d'une beauté surhumaine, mais elle ne sut pas que son propre visage était illuminé par la passion. Sous un baiser, Philippe étouffa le bref cri de douleur de la jeune femme, vite changé en un long gémissement de plaisir.
Quand, enfin, ils se séparèrent, Philippe enfouit son visage dans la masse des cheveux soyeux qu'il couvrit de baisers fous. Passant ses mains sur ses joues, Catherine sentit qu'elles étaient mouillées de larmes :
— Tu pleures ?
— De bonheur, mon amour... et de reconnaissance. Je ne croyais pas que ce don de toi-même serait aussi splendide, aussi complet... que je serais vraiment le premier...
Elle appuya sa main sur sa bouche pour lui imposer silence.
— Je t'ai dit que mon mari ne m'avait pas touchée. Qui voulais-tu ?
— Tu es si belle... Les tentations ont dû être nombreuses...
— Je sais me défendre, fit Catherine avec une moue si adorable qu'elle lui valut un nouveau baiser.
Puis, comme un rayon de lune éclairait maintenant en plein son corps dévêtu, Philippe alla chercher une couverture roulée au troussequin de sa selle et l'en enveloppa tout en l'enfermant à nouveau dans ses bras. Il se mit à rire.
— Quand je pense que je voulais pour notre première nuit toutes les splendeurs de mon palais, les fleurs les plus rares, le décor le plus fastueux...
et je n'ai su t'offrir, mon pauvre amour, que l'herbe humide et le vent de la nuit où tu risques de prendre froid. Quel triste amoureux je fais !
— Tu n'en penses pas un mot ! fit Catherine en se blottissant plus étroitement contre lui. D'abord je n'ai pas froid et ensuite quel décor vaut la pleine nature ? Enfin, tu ne pouvais pas deviner en venant que je t'assommerais.
Tous deux se mirent à rire comme des enfants et le cheval, tout près, hennit pour ne pas être en reste. Puis le silence retomba sous le bosquet au bord du chemin qui menait à la maison de Mathieu Gautherin.
Mais, malgré l'impatience de Philippe de lui voir regagner Dijon, Catherine dut rester trois ou quatre jours de plus à Marsannay parce qu'elle avait attrapé un bon rhume.
— Quelle idée aussi de rester au jardin si tard et de s'y endormir, avait bougonné l'oncle Mathieu en la regardant avaler une bolée de tisane bouillante. Je ne t'ai même pas entendue rentrer tant il devait être tard !
Quant à Abou-al-Khayr, il avait baissé modestement la tête pour que Catherine ne vît pas le sourire qui montait à ses yeux vifs. Le petit médecin avait vu, tard dans la nuit, un cavalier redescendre le chemin vers la grande route de Dijon à Beaune et une forme blanche debout au bord du sentier, qui n'était rentrée à la maison qu'après l'avoir perdu de vue.
Quelques jours plus tard, Catherine de Brazey, éblouissante de beauté, assistait dans la Sainte-Chapelle du palais ducal au mariage de Marguerite de Guyenne et d'Arthur de Richemont. Vêtue de velours vert étoilé d'or et garni de blanche hermine, elle offrait une éclatante image de jeunesse et de grâce. Son teint semblait pétri de lumière, ses yeux rayonnaient sous leurs longs cils courbes, éteignant presque l'éclat des émeraudes, d'une pureté d'eau profonde, qui brillaient à son cou et à ses oreilles. Cette parure était un cadeau de Philippe dont l'amour pour elle se montrait maintenant au grand jour.
La dame de Presles, la maîtresse de Philippe, était repartie, la rage au cœur, pour les Flandres et Marie de Vaugrigneuse avait été priée de se retirer dans ses terres pour quelque temps.
Il avait suffi pour cela que le duc surprît une phrase malveillante qui se rapportait à Catherine et sa qualité de filleule de la duchesse douairière n'avait pas sauvé la jeune fille. De même, chacun avait pu constater le rang occupé par Catherine de Brazey à la chapelle. Il était notablement plus élevé que celui auquel sa qualité lui donnait droit. Enfin, comment ne pas voir qu'à chaque instant Philippe tournait les yeux vers elle et qu'une flamme semblait alors les traverser ?
Debout parmi les hommes, de l'autre côté de l'allée centrale de la nef, Garin, les bras croisés, ne regardait jamais sa femme. Depuis qu'elle était rentrée de Marsannay, il avait eu envers elle une attitude parfaitement courtoise mais froide. Il ne la voyait qu'aux repas et encore n'échangeaient-
ils que des banalités lorsque le médecin maure ne se joignait pas à eux. Avec Abou-al-Khayr, il discutait de sujets scientifiques auxquels la jeune femme ne comprenait rien, mais c'était seulement à ces moments-là qu'il paraissait s'intéresser à quelque chose. Parfois, Catherine croisait son regard. Il le détournait alors très vite et il était impossible à la jeune femme d'en sonder les profondeurs.
L'avant-veille du mariage, quand le page de Philippe, le jeune Lannoy, était venu à l'hôtel de Brazey apporter à Catherine la fameuse parure d'émeraudes, Garin traversait le vestibule au moment où sa femme descendait l'escalier. Il avait donc assisté à la remise du présent, mais n'avait marqué aucune surprise. Il s'était contenté de répondre au salut respectueux du jeune garçon et avait passé son chemin sans commentaires.
Mais, quand la cérémonie nuptiale tira à sa fin et que les invités se firent face, de part et d'autre de la nef pour former une haie sur le passage du cortège, Catherine croisa enfin le regard de Garin et sursauta. Même le jour où il l'avait battue si sauvagement, elle ne lui avait pas vu cette expression de fureur. Il était blême et un tic nerveux déformait son visage du côté de sa blessure. Si effrayante était sa figure que Catherine, troublée, détourna la tête avec un involontaire frisson. Cette fois, elle eut, très nette, l'impression que Garin la haïssait. Car c'était bien de la haine qui enfiévrait son œil unique. Mais la nouvelle comtesse de Richemont, toute rose d'émoi sous son voile, s'avançait, la main dans celle de son époux, et Catherine plongea dans une révérence qui la délivra de ce bref cauchemar. Quand elle se releva, Garin avait disparu dans la foule et, sur les pas du cortège, les invités se dirigeaient vers la sortie sous les clameurs déchaînées de l'orgue. La cérémonie avait été longue et tout le monde avait faim. On se précipitait vers le festin préparé.
Catherine n'avait pas d'appétit. Elle se dirigea lentement vers la grande salle, flânant un peu le long de la galerie pour regarder, par les fenêtres, les dernières roses dans le jardin et les évolutions du marsouin de la duchesse Marguerite. Elle n'avait aucune envie de se mettre à table car son rang la plaçait tout de même assez loin de Philippe. Ermengarde, demeurée auprès de Marguerite, de plus en plus malade, ne paraîtrait pas non plus et le récent regard de son époux lui ôtait toute envie de le retrouver immédiatement.
La grande galerie se vidait rapidement. En dépassant Catherine, les courtisans la saluaient mais ne s'en hâtaient pas moins. Comme la jeune femme passait en face d'une des portes donnant sur les appartements privés de la famille ducale, portes gardées chacune par deux archers, celle-ci s'ouvrit, livrant passage à un homme jeune et vigoureux, tout vêtu de vert.