Puis il sortit en suçant sa main blessée où coulait un filet de sang.
Catherine entendit grincer de pesants verrous. Un pas descendit lourdement l'escalier et la captive se laissa retomber sur sa litière de paille, brusquement vidée de toute la force nerveuse qui l'avait soutenue pendant l'affreuse lutte.
Elle enfouit sa tête dans ses mains et se mit à sangloter spasmodiquement.
Garin l'avait bel et bien condamnée à la plus affreuse des morts en la remettant à cette brute bestiale. Si elle ne lui cédait pas, il la laisserait mourir de faim... Déjà son estomac vide la torturait. Le maigre feu allumé tout à l'heure par Fagot n'avait plus que quelques tisons auprès desquels la malheureuse alla s'accroupir, tendant ses mains gelées. Il faisait nuit maintenant et la fenêtre n'était plus qu'une vague découpure plus claire dans l'obscurité profonde de la tour. Quand les dernières braises s'éteindraient, Catherine serait livrée aux ténèbres, au froid, à la peur aussi de voir revenir l'abominable geôlier choisi par Garin...
Toute la nuit, elle la passa recroquevillée sur elle- même, les yeux écarquillés dans le noir, l'oreille au guet, n'osant dormir. Elle avait ramené la paille de sa litière autour d'elle pour essayer d'avoir moins froid. Mais quand le jour se leva, Catherine n'en était pas moins transie.
Les trois jours qui suivirent furent, pour la prisonnière, un épouvantable calvaire. Affaiblie par le manque de nourriture, glacée jusqu'aux os car les quelques brindilles allumées chaque jour par Fagot ne donnaient guère de chaleur, elle devait encore lutter contre les assauts de son gardien. Son estomac rétréci, brûlé par les crampes, lui faisait endurer une intolérable torture que n'apaisait guère l'eau saumâtre et glacée que lui servait Fagot pour tout réconfort... Elle se risqua, cependant, à dormir, quand elle eut constaté que les verrous de sa porte faisaient un épouvantable vacarme quand on les tirait ou qu'on les repoussait. Elle n'avait pas à craindre, de la sorte, une attaque sournoise... mais, quand la brute se jetait sur elle, la défense lui était de plus en plus cruelle, de plus en plus douloureuse... Ses bras, ses mains n'avaient plus de forces. Elle devait à sa solide constitution, à sa magnifique santé, de tenir encore et de trouver au fond de son être les forces désespérées qu'il lui fallait pour se défendre. Mais la faim creusait en elle son sinistre sillon, abolissant sa volonté, abattant son courage... Le temps n'était plus loin où, pour subsister, pour apaiser ses souffrances, elle accepterait n'importe quoi... même Fagot !
Au matin du quatrième jour, Catherine n'avait plus même la force de lever le bras. Quand Fagot entra dans sa prison, elle resta couchée dans la paille, inerte, incapable d'un geste. Un vague sentiment de fatalité l'avait envahie.
Toutes ses réserves d'énergie étaient usées. Des éclairs rouges passaient devant ses yeux quand elle fermait les paupières et, quand elle les ouvrait, des papillons noirs dansaient sur sa vision des choses... Elle se rendit vaguement compte que Fagot s'agenouillait auprès d'elle... Quand il posa la main sur son ventre pour voir si elle réagirait, une sorte de désespoir glissa en elle, mais sans provoquer l'impossible réaction. Au contraire, peu à peu, le détachement venait. Plus rien n'avait d'intérêt... Bientôt, elle serait morte.
Ce serait pour demain... ou pour le jour suivant, à moins que ce ne soit pour la nuit à venir... Qu'importait, après tout, ce que le misérable ferait de son corps. Peu à peu, à force de souffrir, il s'engourdissait. Un seul point, douloureux avec acuité, demeurait sensible : son cou que le cercle de fer écorchait et brûlait... Mais, pour essayer d'oublier, de retomber dans la bienheureuse torpeur qui, de plus en plus souvent, s'emparait d'elle, Catherine ferma les yeux. Elle sentit vaguement que Fagot ouvrait sa robe, arrachant les lacets du corsage dans son impatience, qu'il déchirait sa chemise. Le froid glissa sur sa peau nue que parcouraient les mains brutales du gardien. Il grognait comme un porc, tout contre elle...
Catherine eut un vague geste de défense pour se protéger contre l'ultime profanation, mais elle avait l'impression de se mouvoir dans des masses de coton. Un poids intolérable l'écrasa... mais, soudainement, il se passa quelque chose. Fagot se releva brusquement, abandonnant Catherine grelottante sur son grabat. Comme à travers une brume, elle vit Garin debout devant son tas de paille, un fouet à la main... C'était le fouet qu'il avait fait claquer sur les épaules de Fagot pour l'arracher à la jeune femme.
Maintenant, il s'accroupissait auprès d'elle, posait la main sur son sein gauche. Les oreilles de Catherine bourdonnaient mais elle comprit parfaitement ce qu'il disait :
— Elle est aux trois quarts morte ? Que lui as-tu fait?
La réponse de l'idiot lui parvint aussi :
— Pas mangé... Voulait pas être gentille avec Fagot...
— Tu ne lui as pas donné à manger depuis quatre jours ? Triple imbécile
! Je t'ai dit de la dresser, d'en faire ce que tu voulais. Mais pas de la tuer !
Dans deux ou trois jours elle sera morte... Va me chercher de la soupe, et tout de suite...
Garin se penchait vers elle, recouvrait son corps amaigri en étendant dessus la chemise, puis la robe. Ses mains étaient douces et Catherine sentit un vague espoir lui revenir. Avait-il un peu de regret de ce qu'il avait fait ?
Elle se sentait encore capable de pardonner s'il l'arrachait à son enfer.
Quelques minutes plus tard, Fagot revenait, portant une écuelle de bois où fumait quelque chose. Garin souleva Catherine pour la faire boire.
— Doucement... Buvez d'abord un peu de bouillon.
Avec avidité, la malheureuse trempa ses lèvres sèches dans le bouillon chaud. Une gorgée, deux gorgées... La vie, peu à peu, coulait en elle, réveillant les sensations de son corps douloureux. Quand il n'y eut plus une goutte de bouillon dans l'écuelle, Catherine se sentit mieux et poussa un profond soupir. Elle ouvrait la bouche pour remercier Garin d'avoir eu pitié d'elle, mais, la voyant mieux, il ricana.
— Si vous pouviez vous voir ! Certes, aucun prince, que dis-je ? aucun homme ne ferait ses délices de vous. Vos cheveux sont ternes, sales, votre peau est grise... et vous êtes prête à n'importe quoi pour manger... comme une bête affamée ! Ma parole, je regrette d'avoir empêché Fagot de vous prendre. Vous êtes juste à point pour lui...
Avec la vie, la colère revint dans l'âme de Catherine. Elle n'ouvrit même pas les yeux, se contenta de murmurer :
— Allez-vous-en ! Vous êtes un misérable... Je vous hais !
— J'espère bien, s'écria Garin avec cette bizarre voix de fausset qui lui venait si naturellement depuis quelque temps. Mon seul regret c'est que votre amant ne puisse vous voir dans l'état où vous êtes ! Certes, il aurait du mal à vous reconnaître. Où est l'éblouissante dame de Brazey ? La fée au diamant noir ? Il n'y a ici qu'une génisse maigre à la panse pleine... Un bien doux spectacle pour moi ! Je pourrai dormir, maintenant, sans être hanté par votre éclat...
Il continua pendant un moment à l'insulter, mais Catherine ne l'écoutait pas.
Qu'il s'en aille, qu'il la laisse mourir, c'était tout ce qu'elle demandait. Elle gardait les yeux fermés, regrettant de ne pouvoir fermer aussi les oreilles.
Garin finit par se lasser... Au bout d'un moment, le silence se fit. La porte claqua, puis les verrous... Il n'y eut plus rien qu'un vague crépitement.
Catherine ouvrit les yeux. Elle était seule... Garin et Fagot avaient disparu.
Dans la cheminée une brassée de bois brûlait et auprès de la paillasse de la jeune femme une assiette avait été posée contenant quelques légumes et un morceau de viande sur lesquels elle se jeta, oubliant tout orgueil, mue par l'unique instinct de conservation... Affamée, elle trouva encore le courage de s'obliger à ne pas manger trop vite, mâchant de son mieux chaque bouchée.
L'eau glaciale de son bol de terre habituel lui parut délicieuse sur ce mince repas. Sa faim n'était pas encore apaisée, et de loin, mais elle se sentait moins faible, put se redresser, remettre sa chemise et sa robe et même se traîner jusqu'à la cheminée où elle s'étendit sur la pierre de l'âtre. Les flammes pénétraient chaque fibre de son corps d'une bienfaisante chaleur.