Hélas, cela ne durerait guère car il n'y avait pas de grosses bûches dans le tas de branchages qu'avait enflammé le gardien. N'importe ! La revigorante ardeur du feu s'insinuait dans les membres glacés et douloureux de la jeune femme. La cheminée était un havre de salut, un coin de paradis... Pour achever.de se trouver moins mal, Catherine déchira le bas de sa chemise, enroula autour du collier de fer la bande de grosse toile. Le tissu râpait mais, du moins, ne blessait-il pas comme le cercle tout juste martelé. Elle se recoucha avec un soupir de soulagement, replia son bras sous sa tête et s'apprêta à dormir. Elle aurait bien aimé profiter encore un peu de ce beau feu qui serait éteint quand elle s'éveillerait, mais elle se sentait lasse. Le sommeil fermait ses paupières irrésistiblement...
Elle les rouvrit presque aussitôt. Une toux violente se faisait entendre au-dessus de sa tête. Quelque chose de lourd tomba dans les flammes, faisant jaillir une gerbe d'étincelles. Catherine se rejeta en arrière pour ne pas être atteinte, écrasant sa bouche prête à crier sous sa main. C'était un homme qui venait de tomber dans le feu et se hâtait d'en sortir en jurant abominablement.
Dans l'ombre de la tour qu'envahissait le crépuscule, Catherine vit une silhouette vigoureuse qui s'administrait des claques un peu partout pour éteindre les brindilles enflammées accrochées à ses vêtements.
— C'était le seul moyen, grogna le nouveau venu. Mais, tête-Dieu ! Quel sale chemin !
Croyant à un nouveau rêve, né de sa fièvre, Catherine n'osait rien dire, mais la forme sombre revenait vers le feu, se penchait sur la jeune femme tapie contre l'un des piliers de l'âtre. Elle reconnut aussitôt, malgré la couche de suie, la figure goguenarde couronnée de cheveux noirs bien raides.
— Landry ! fit-elle faiblement. C'est bien toi ? Ou bien est-ce que je rêve encore ?
— C'est bien moi, fit gaiement le jeune homme.
Mais j'en ai eu du mal à te retrouver ! L'espèce de piqué que tu as pour mari avait bien calculé son coup !
Malgré ces affirmations, Catherine ne pouvait croire à la réalité de ce qu'elle voyait et entendait :
— Je ne peux pas croire que ce soit vraiment toi, balbutia-t-elle. Landry ne veut pas me reconnaître. Landry a oublié Catherine.
Il s'assit près d'elle et entoura de son bras les épaules frissonnantes.
— Landry n'avait rien à faire avec la femme de Garin de Brazey... avec la maîtresse du tout-puissant Duc. Mais tu es une victime, tu es malheureuse, tu as besoin de moi. Tu es redevenue Catherine...
La jeune femme sourit et laissa sa tête reposer sur l'épaule de son ami. Ce secours, cette amitié tombés littéralement du ciel, étaient tellement inattendus.
— Comment m'as-tu retrouvée ? Et où suis-je ?
Au château de Mâlain que Garin a dû se faire prêter par l'abbé de Saint-Seine. Comment je t'ai retrouvée, c'est une autre histoire. Un matin où je rentrais au logis après une nuit de ripaille au cabaret, j'ai vu une charrette sortir de l'hôtel de Brazey. J'ai entendu une femme crier dans cette charrette... un seul cri. Mais j'étais ivre encore et j'étais à pied... J'ai laissé courir. Une fois dégrisé, cette histoire m'a trotté dans la tête. Je suis allé chez toi, j'ai demandé à te parler. J'ai vu seulement une petite servante, une nommée Perrine, qui pleurait comme une fontaine. Elle m'a dit que tu étais partie, au petit matin, sans même la réveiller. Que tu devais suivre le duc à Paris... mais elle n'avait pas l'air d'y croire beaucoup à cause de tes robes qui étaient toutes là. Je n'ai pas pu l'interroger plus longuement, parce que le Garin revenait. Mais tout ça ne me paraissait pas clair. J'ai surveillé ton mari, un jour, deux jours et la suite. Finalement, ce matin, je l'ai vu partir à cheval et je l'ai suivi de loin. Nous sommes arrivés jusqu'ici et quelque chose m'a dit que j'avais trouvé ce que je cherchais. Dans le village, au bas de cette butte, on n'a pas très bonne opinion du château. On m'a dit, à l'auberge, qu'on y avait entendu des cris, des plaintes... une voix de femme.
Les bonnes gens croient aux fantômes. Ils n'ont pas cherché beaucoup plus loin. La nuit, ils s'enfermaient chez eux en faisant le signe de croix, voilà tout... J'ai cherché comment entrer ici. La bâtisse est en ruine, facile à escalader. J'ai vu, dans la cour intérieure, le cheval de Garin à l'attache, j'ai vu aussi sortir une espèce d'ours qui est allé dans une cabane chercher une écuelle de soupe. Personne ne s'occupait de moi. J'ai pu escalader le donjon en toute tranquillité... J'ai vu la cheminée et me voilà. Il faut dire que j'ai toujours une corde à la selle de mon cheval. Tu sais tout. Maintenant, viens, je t'emmène...
Il se levait d'un bond, tendait la main pour l'aider à se relever. Mais elle secoua tristement la tête.
— Je ne peux pas, Landry... je suis trop faible. L'écuelle de soupe était pour moi. Mon gardien ne m'avait rien donné à manger depuis quatre jours pour m'obliger à lui céder. Et puis... regarde : Garin a pris toutes ses précautions.
Elle montrait la chaîne que les plis de sa robe brune avaient dissimulée jusque-là à la vue de Landry. Le jeune homme resta court, changea de couleur. S'agenouillant, il toucha avec une sorte d'horreur craintive la chaîne et le collier.
— Le misérable ! T'avoir livrée à ce sanglier, pauvrette ! Il a osé t'enchaîner, t'affamer, t'exposer aux assauts d'un cochon !
— Tu vois bien que je ne peux pas te suivre.
— Voire !
Attentivement, le jeune homme examinait le collier, la chaîne. Celle-ci était épaisse. La limer représenterait un gros travail. Mais le collier portait une serrure.
— Où est la clef ? demanda Landry.
— Je ne sais pas. C'est peut-être Fagot qui l'a.
— Fagot ? Le gros bonhomme que j'ai vu ?
— Sans doute... mais je ne suis pas sûre qu'il la possède. Son intelligence ne va pas loin et je crains bien que cette maudite clef ne soit quelque part dans une poche de Garin.
Le visage de Landry se rembrunit. Il avait songé que la meilleure manière de délivrer Catherine était de tuer le geôlier, de lui prendre la clef et de sortir tranquillement par la porte. Mais, tout compte fait, il était peu probable qu'il l'eût. Quant à emmener Catherine, comme il l'avait tout d'abord projeté dans l'ignorance de son état, c'est-à-dire par la cheminée, il n'y fallait pas compter.
Affaiblie comme elle l'était, la jeune femme ne pourrait jamais fournir l'effort nécessaire pour qu'il pût l'aider à se hisser dans le conduit de fumée...
sans parler de la descente le long du mur du donjon, ni du franchissement de l'enceinte écroulée. Tout ce qui, pour ses muscles entraînés de chevaucheur professionnel, n'était qu'un jeu un peu difficile devenait pour la prisonnière autant d'obstacles infranchissables... Quelques minutes de réflexion persuadèrent Landry qu'il fallait remettre au lendemain son projet.
— Ecoute, fit-il... je vais être obligé de repartir par où je suis venu te laissant là. Je pourrais tuer ton geôlier, mais cela ne servirait à rien, car je n'ai aucun outil me permettant de te délivrer de cette chaîne. Tu dois rester encore ici jusqu'à demain soir. Je reviendrai avec des limes pour, au moins, couper le collier, et je pourrai te préparer une retraite dans la campagne...
— J'aurai tous les courages, promit Catherine,
puisque je sais que tu es là, que tu veilles sur moi. Tu as raison, Garin pourrait revenir, il n'est peut- être pas loin et nous ignorons si d'autres hommes ne veillent pas en bas. Dans la charrette, ils étaient deux hommes.
L'un était Fagot, l'autre lui ressemblait... Je peux rester une journée de plus.
Le plus dur, c'est le froid...
Elle claquait des dents. Le feu était éteint et la nuit de février était loin d'être clémente. Le reflet pâle qui venait de la fenêtre disait assez qu'il devait y avoir de la neige au-dehors.