Выбрать главу

Atterrée, Catherine crut avoir mal entendu.

— Que j'aille chez le duc ? Moi ? Arnaud... vous ne pouvez pas vouloir cela ?

— Si... il le faut ! Vous seule pouvez... gagner cette bataille. Il vous aime!

— Non !... C'était presque un cri qui avait franchi les lèvres de Catherine.

— Honteuse, elle baissa le ton, reprit plus doucement : — Non, Arnaud... ne croyez pas cela ! Il ne m'aime plus. Son orgueil est immense et il ne m'a pas pardonné ma fuite. Mes terres ont été saisies par son ordre... je suis proscrite.

De plus, il est marié, je crois... et ne se soucie plus de moi.

Une brusque colère crispa la figure d'Arnaud, tendit son corps dans un effort pour se redresser. Mais, avec une plainte, il retomba sur son lit. Ce fut Xaintrailles qui répondit, d'une voix neutre.

— Vous vous trompez, Catherine. Votre pouvoir est entier, bien certainement, sur le duc Philippe. Au mois de janvier de cette année, il a, en effet, épousé l'infante Isabelle et de grandes fêtes ont eu lieu à Bruges pour cet événement. Mais la plus grande de ces fêtes, Philippe l'a consacrée à la création d'un ordre de chevalerie, fastueusement doté, vrai monument d'orgueil. Savez-vous, Catherine, comment s'appelle cet ordre ?

Elle hocha la tête, très vite et sans lever les yeux sur lui, pressentant qu'à nouveau elle allait se trou ver prisonnière du passé. La voix de Xaintrailles lui parvint comme du sommet d'une montagne.

— C'est l'ordre de la Toison d'Or. Et nul ne s'est trompé-sur l'origine de ce nom. Les gens de Bruges n'ont qu'une voix pour déclarer que Philippe ne l'aurait pas choisi s'il n'avait porté au cœur le regret d'une maîtresse à l'incomparable chevelure. C'est un hommage, Catherine, ne vous y trompez pas, et, pour être tellement public, tellement inouï, la plus criante des déclarations d'amour. Certes, votre pouvoir est intact et la confiscation de vos biens ne signifie rien d'autre que le dépit d'un homme frustré, le désir secret de vous voir revenir.

Toujours agenouillée auprès de la couchette, Catherine n'avait pas l'air d'entendre. Ses yeux brûlés de fièvre étaient rivés au visage d'Arnaud, cherchant désespérément à y saisir une dénégation, un refus des paroles de son ami. Mais non, il écoutait avec attention, suivant du regard le mouvement des lèvres du capitaine... Il n'avait même pas un regard pour elle, pas même quand Xaintrailles se tut et que Catherine, timidement, toucha sa main.

— Il faut... y aller ! dit-il seulement, c'est notre seule chance !...

Écrasée de chagrin et de déception, Catherine posa sa joue inondée de larmes sur la grande main brûlante.

— Arnaud..., supplia-t-elle, ne me demandez pas cela... Pas vous !

Les prunelles noires du jeune homme glissèrent vers elle, l'enveloppèrent de leur feu fiévreux. Il haletait et chaque parole semblait lui coûter une souffrance terrible.

— Je vous le demande pourtant... parce que vous êtes la seule... que Philippe écoutera... et parce que Jehanne... a plus d'importance pour le royaume... que vous... ou moi !

Une révolte souleva Catherine. Elle oublia d'un seul coup le lieu où elle se trouvait et jusqu'à la plus élémentaire prudence.

— Mais je vous aime ! s'écria-t-elle douloureusement, je vous aime à en mourir et vous voulez que je retourne auprès de Philippe ? Je sais que vous me méprisez, oh oui je le sais ! Mais je croyais que vous m'aimiez tout de même un peu... un tout petit peu !

Arnaud ferma les yeux. Son visage parut s'amenuiser encore sous le poids d'une infinie lassitude et sa voix ne fut plus qu'un souffle.

— Cela non plus... n'a pas d'importance... Jehanne... Jehanne seule !

La souffrance le tordit brusquement et de l'écume rose monta au coin de ses lèvres. La main de Xaintrailles pesa sur l'épaule de Catherine.

— Venez ! souffla-t-il, il n'en peut plus ! Il faut le laisser se reposer. Et vous aussi en avez besoin...

Il l'aidait à se relever, la dirigeait vers la porte. Elle voulut se retourner vers Arnaud, tendit une main qui implorait mais il ne la voyait pas. Il était inerte, à nouveau, comme insensible à tout. Catherine étouffa un sanglot mais laissa Xaintrailles l'emmener. Dans le couloir balayé d'un vent glacial et humide, ils retrouvèrent Sara, assise par terre. Elle se releva en les voyant et Xaintrailles, doucement, poussa Catherine dans ses bras.

— Elle a besoin de vous ! Je vais vous conduire à une cellule où vous pourrez reposer...

Brusquement, Catherine redressa la tête, enveloppant le capitaine d'un regard chargé de rancune.

— Vous saviez, n'est-ce pas, pour quelle raison il me faisait demander ?

Vous le saviez et pourtant vous ne m'en avez rien dit. Vous m'avez trompée indignement...

Non, je ne vous ai pas trompée ! Je vous ai dit seulement qu'il vous demandait et vous ne m'avez pas posé de questions. Il faut que vous compreniez, Catherine, que, pour nous tous, ses compagnons d'armes, Jehanne a plus d'importance que tout, comme vous l'a dit Arnaud. Elle est le salut du pays et sa capture par les Bourguignons est une immense catastrophe dont les conséquences ne se peuvent calculer. Il faut, vous entendez, il faut que quelqu'un aille rappeler à Philippe de Bourgogne qu'il est, d'abord et avant tout, un prince français... vous m'avez compris : FRANÇAIS ! 11 est temps qu'il s'en souvienne ! On dit que les Anglais, déjà, ont réclamé Jehanne comme leur dû. Et ça, il ne faut pas que ça se produise, à aucun prix...

— Et vous me disiez naguère qu'il m'aimait ! gémit Catherine amèrement. Seul son problème, à elle, l'occupait.

— Et je le dis toujours ! Mais il aime encore plus son devoir et son pays !

Pour sauver Jehanne, il vendrait à Philippe sa propre sœur ! Je comprends, croyez-le bien, l'ampleur du sacrifice que nous vous demandons... mais, Catherine, si vous aimez Arnaud, autant que vous le dites, il faut essayer de sauver Jehanne.

— Qui vous dit que j'y parviendrai, que Philippe m'écoutera ?

— S'il ne vous écoute pas, il n'écoutera personne ! Mais nous n'avons pas le droit de négliger une chance de cette importance !

Catherine poussa un profond soupir. Elle comprenait le point de vue des capitaines et, certes, ne pouvait pas leur donner tort. A leur place, sans doute, elle en eut fait autant. Pourtant, elle tenta de lutter encore.

— Le duc est bon chevalier. Il ne livrera pas la Pucelle...

Je voudrais en être certain. Et, s'il est bon chevalier, vous êtes vous l'incarnation même de cette chevalerie. Vous... la Toison d'Or !

Le mot frappa Catherine et la fit frissonner. Il lui sembla entendre, au fond de sa mémoire, la voix lointaine de Philippe, au temps de leurs amours.

C'était vrai qu'il l'appelait ainsi « Ma Toison d'Or ». C'était vrai aussi qu'il l'avait passionnément aimée... Comment, dans ces conditions, empêcher ces hommes, les compagnons fidèles de Jehanne d'Arc, de mettre en elle leur foi suprême ? Qui n'en eût fait autant ? Vaincue, elle baissa la tête.

— Je ferai ce que vous voudrez ! souffla-t-elle. Où se trouve le duc ?

— Je vais vous montrer. Venez, si vous n'êtes pas trop lasse.

Lasse ? Elle l'était à en mourir. Elle eût aimé se coucher là, au milieu du cloître, sur la terre déjà chargée des senteurs de l'été, pour y attendre que son cœur cessât de battre et que la prît un sommeil sans réveil. Mais elle suivit Xaintrailles jusqu'au clocher de la chapelle du couvent. Par une étroite fenêtre, le bras du capitaine s'étendit, montrant le ruban brillant de l'Oise au-delà des murailles, rose dans le soleil à son aurore. Au-delà s'élevaient des bastilles de bois, comme Catherine en avait vu à Orléans, et des lignes de tentes. Dans l'axe même du pont qui enjambait la rivière, dominant tous les autres comme un grand chêne au milieu d'une forêt, un immense tref de pourpre et d'or brillait dans la lumière naissante ; Catherine reconnut, flottant au sommet, la bannière de Philippe le Bon.

— Le camp de Margny, fit seulement Xaintrailles. C'est là que vous devez aller. Mais, auparavant, il vous faut prendre un peu de repos et vous restaurer. Vous aurez besoin de toutes vos forces...