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– M. Tilney était avec nous, il n’y a qu’un moment. Il était si las de badauder qu’il allait danser un peu. Peut-être vous aurait-il invitée, s’il vous avait vue.

– Où peut-il être? dit Catherine, le cherchant des yeux.

Elle n’eut pas à chercher longtemps. Elle le vit, une jeune femme au bras.

– Ah! il a une danseuse. J’aurais aimé qu’il vous invitât, dit Mme Allen. (Et, après un court silence, elle ajouta:) C’est un très charmant jeune homme.

– Vraiment, oui, madame Allen, dit Mme Thorpe, souriant avec complaisance. Quoique je sois sa mère, je dois avouer qu’il n’y a pas au monde de jeune homme plus charmant.

Une déclaration si intempestive eût embarrassé bien des gens; mais non pas Mme Allen, car, après un moment de méditation, elle dit tout bas à Catherine:

– Je crois qu’elle s’imagine que je parlais de son fils.

Catherine était désappointée et vexée. Il s’en était fallu de si peu que son vœu se réalisât! Cette malechance ne la prédisposait pas à faire une réponse gracieuse à John Thorpe, qui, enfin de retour, lui disait:

– Eh! miss Morland, je suppose que nous allons de nouveau nous trémousser ensemble.

– Oh, non! je vous remercie. D’ailleurs, je suis lasse. Je ne danserai sans doute plus ce soir.

– Vous ne danserez plus! Allons promenons-nous et moquons-nous des gens. Venez. Je vous montrerai les quatre pires farceurs qui soient ici: mes deux sœurs puînées et leurs partenaires. Je me suis moqué d’eux toute cette demi-heure.

Catherine s’excusa encore; et, à la fin, il s’en alla tout seul se moquer de ses sœurs.

Elle trouva le reste de la soirée très fastidieux. À l’heure du thé, M. Tilney demeura avec sa danseuse. Mlle Tilney, qui faisait partie du groupe de Catherine, n’était pas assise près d’elle. Une tendre conversation isolait James et Isabelle. Celle-ci ne put décerner à son amie qu’un sourire, un serrement de main et un seul «Ma très chère Catherine».

IX

Les malencontreux événements de la soirée se répercutèrent en Catherine comme suit:

Elle s’était d’abord sentie mécontente de tout le monde, ce qui avait suscité en elle un ennui morne et un violent désir de rentrer à la maison. Ces sentiments, à son arrivée à Pulteney Street, se résolurent en une faim dévorante et, quand sa faim fut apaisée, en un ardent désir d’être au lit. Ce fut le point extrême de sa détresse, car, une fois couchée, elle tomba dans un profond sommeil, qui dura neuf heures et dont elle se réveilla parfaitement dispose, avec de frais espoirs et de nouveaux projets. Le premier vœu de son cœur fut: faire plus ample connaissance avec Mlle Tilney; et son premier dessein: la chercher, à cet effet, dans la Pump-Room, ce jour même. Où rencontrer, qu’à la Pump-Room, une personne depuis si peu de temps à Bath? La Pump-Room, si admirablement propice aux confidences et où elle avait déjà découvert la perfection féminine sous les traits de Mlle Thorpe, serait, elle pouvait l’espérer, le lieu entre tous favorable à l’éclosion d’une amitié nouvelle.

Son plan arrêté de la sorte pour l’après-midi, dès qu’elle eut déjeuné, elle prit Udolphe et s’assit, décidée à rester toute à sa lecture jusqu’à ce que la pendule marquât une heure. Cependant, et sans que Catherine en fût importunée (l’habitude…), des phrases sans suite fluaient de Mme Allen: elle ne parlait jamais beaucoup, faute de penser, et, pour la même raison, n’était jamais complètement silencieuse. Qu’elle perdît son aiguille, cassât son fil, entendît le roulement d’une voiture, aperçût une petite tache sur sa robe, elle le disait, qu’il y eût là ou non quelqu’un pour la réplique. Vers midi et demi, un violent coup de heurtoir ébranla la maison. Mme Allen courut à la fenêtre. À peine eut-elle le temps de dire à Catherine qu’il y avait à la porte deux voitures découvertes, James Morland et Mlle Thorpe dans l’une, un domestique dans l’autre, – et déjà John Thorpe montait quatre à quatre l’escalier et sa voix retentissait:

– Hé! miss Morland, me voilà! Est-ce que je vous ai fait attendre longtemps? Nous n’avons pu venir plus tôt. Un vieux carrossier du diable a mis une éternité à découvrir quelque chose où l’on pût tenir. Et il y a mille à parier contre un que ça sera cassé avant que nous soyons au bout de la rue! Comment vous portez-vous, madame Allen? Un fameux bal, hier soir, hein? Allons, allons, miss Morland, dépêchez-vous: les autres sont furieusement pressés de partir; ils ont hâte de faire la culbute.

– Que voulez-vous dire? demanda Catherine. Où aller?

– Où aller? Eh! vous n’avez pas oublié notre engagement? N’est-il pas entendu qu’on se promènera ce matin? Quelle tête vous avez! Nous allons sur la côte de Claverton.

– Il avait été question de cela, je me le rappelle, dit Catherine, regardant vers Mme Allen pour prendre avis, mais vraiment je ne vous attendais pas.

– Vous ne m’attendiez pas! En voilà une bonne! Et quel tapage vous auriez fait si je n’étais pas venu!

Le silencieux appel de Catherine à son amie fut vain: Mme Allen, qui ne s’était jamais avisée de rien notifier par un regard, était fort incapable de discerner ce qu’un regard pouvait bien signifier. (Le désir que Catherine avait de revoir Mlle Tilney fut, à ce moment, balancé par son désir d’aller se promener en voiture, et il lui semblait qu’elle pouvait sans inconvenance accepter la compagnie de M. Thorpe, comme Isabelle acceptait celle de James.) Mme Allen gardant le silence, Catherine fut obligée de s’exprimer plus clairement.

– Madame Allen, que dites-vous de cela? Puis-je vous quitter pendant une heure ou deux? Irai-je?

– Comme il vous plaira, ma chère, répondit Mme Allen avec la plus placide indifférence.

Catherine sortit vivement, faire ses préparatifs.

Quelques phrases à sa louange avaient à peine été échangées (après toutefois que Thorpe eût obtenu pour son cabriolet le suffrage de Mme Allen), et déjà Catherine réapparaissait. Mme Allen leur souhaita bonne promenade. Rapidement ils descendirent l’escalier.

– Ma chère âme, s’écria Isabelle, vous avez mis au moins trois heures à vous préparer! Je craignais que vous fussiez malade. Quel charmant bal, hier soir! J’ai mille choses à vous dire. Mais dépêchez-vous de monter en voiture. J’ai hâte d’être en route.

Catherine se dirigea vers le cabriolet, mais pas si rapidement qu’elle n’entendit son amie, qui d’ailleurs avait eu soin de ne pas baisser le ton, dire à James:

– Quelle délicieuse fille! Je raffole absolument d’elle…

– Ne vous effrayez pas, miss Morland, dit Thorpe, comme il l’aidait à monter, si mon cheval danse un peu sur place avant de partir. Plus que probablement, il se cabrera une fois ou deux, puis restera stupide; mais bientôt il sentira son maître. Il est plein de gaîté, folâtre autant qu’on peut l’être, mais vicieux, point.

Catherine ne trouvait pas le portrait bien engageant. Mais il était trop tard pour reculer, et elle était trop jeune pour qu’elle s’avouât effrayée. S’abandonnant à son destin et à l’expérience que l’animal pouvait avoir du maître, elle s’assit, et Thorpe prit place à côté d’elle.