Выбрать главу

– Dépêchez-vous! dépêchez-vous, miss Morland! cria-t-il en ouvrant la porte. Mettez vite votre chapeau. Pas de temps à perdre! Nous allons à Bristol. Comment ça va, madame Allen?

– À Bristol? n’est-ce pas très loin? Quoi qu’il en soit, je ne puis vous accompagner: je suis engagée. J’attends des amis d’un moment à l’autre.

Thorpe se récriait: «ce n’était pas une raison.» Mme Allen fut appelée à l’aide. Alors Isabelle et James entrèrent prêter secours à John Thorpe.

– Ma chère Catherine, ce sera délicieux, une promenade divine. Vous nous devez, à votre frère et à moi, des remercîments. L’idée de cette excursion nous est venue à tous deux, pendant le déjeuner. Et nous serions en route depuis deux heures, n’eût été cette détestable pluie. N’importe. Les nuits sont claires. Nous ferons une exquise promenade. Je suis en extase à la pensée d’un peu de campagne et de tranquillité. C’est bien mieux que d’aller aux Lower Rooms. Nous irons directement à Clifton, où nous dînerons. Aussitôt après le dîner, si nous en avons le temps, nous partirons pour Kingsweston.

– Je doute que nous puissions faire tout cela, dit Morland.

– Espèce de trouble-fête! s’écria Thorpe. Nous en ferons dix fois plus. Kingsweston, eh! Et Blaize Castle aussi! Et tout ce dont nous entendrons parler! Mais voilà votre sœur qui ne veut pas venir!…

– Blaize Castle, dit Catherine, qu’est cela?

– Le plus joli coin de l’Angleterre. Cela vaut qu’on fasse cinquante milles, n’importe quand, pour le voir.

– Est-ce vraiment un château? Un vieux château?

– Le plus vieux du royaume.

– Comme ceux dont on parle dans les livres?

– Exactement. Tout à fait le même.

– Mais a-t-il réellement des tours, de longs couloirs?

– Par douzaines.

– J’aimerais bien le voir. Mais je ne peux pas, je ne peux pas vous accompagner.

– Ne pas nous accompagner, ma chère âme! Que voulez-vous dire?

– Je ne puis pas, parce que… (elle baissait les yeux, craignant le sourire d’Isabelle) j’attends Mlle Tilney et son frère qui doivent me venir prendre pour une promenade à la campagne. Ils avaient promis d’être là à midi, à moins qu’il plût. Maintenant qu’il fait si beau, je crois qu’ils seront bientôt ici.

– Non, s’écria Thorpe. Comme nous tournions Broad Street, je les ai vus. N’a-t-il pas un phaéton avec de beaux alezans?

– Je ne sais pas.

– Je sais qu’oui. C’est bien l’individu avec qui vous avez dansé hier soir, n’est-ce pas?

– Oui.

– Eh bien! je l’ai vu, qui montait Lansdown Road. Il promenait une pimpante fille.

– Vous l’avez vu, vraiment?

– Vu, sur mon âme! Reconnu tout de suite! Et il m’a même semblé qu’il avait de beaux chevaux.

– C’est bien singulier! Sans doute pensait-il qu’il ferait trop de boue pour se promener.

– Et avec raison. De ma vie, je n’ai vu tant de boue. Marcher! Vous voleriez plutôt! Il n’a pas fait si sale de tout l’hiver. De la boue jusqu’à la cheville.

Isabelle corrobora ces informations.

– Ma chère Catherine, vous ne sauriez vous faire une idée de cette boue. Venez, il faut que vous veniez, vous ne pouvez plus refuser de venir.

– J’aimerais voir ce château… Mais… peut-on le visiter entièrement? Peut-on monter chaque escalier, errer dans l’enfilade des salles?

– Oui, oui! Visiter les moindres trous, les moindres recoins.

– Mais s’ils ne sont sortis que pour une heure, jusqu’à ce qu’il fasse plus sec, et s’ils viennent me chercher ensuite…

– Soyez tranquille. Pas de danger. Car j’ai entendu Tilney crier à un cavalier qui passait près de lui qu’ils allaient à Wick Rocks.

– Alors, je veux bien. Irai-je, madame Allen?

– Comme il vous plaira, ma chère.

– Madame Allen, persuadez lui de venir! fut le cri unanime.

Mme Allen ne fut pas sourde à cet appel.

– Bien, ma chère, dit-elle. Je suppose que vous irez.

Deux minutes après, ils étaient partis.

Catherine, tandis qu’elle montait en voiture, était partagée entre le regret de délaisser un grand plaisir et l’espoir de goûter bientôt un plaisir différent, mais non moins grand peut-être. Elle ne pensait pas que les Tilney eussent agi tout à fait bien de rompre si vite leur engagement, sans lui envoyer un mot d’excuse: il ne s’était guère écoulé qu’une heure depuis le moment d’abord fixé pour la promenade, et, en dépit de la désolante description qui lui avait été faite de l’état des chemins, elle ne tarda pas à s’apercevoir qu’on pouvait circuler sans tant de difficultés. Ce manque d’égards lui était très pénible. D’autre part, la joie de visiter un château pareil à celui d’Udolphe (son imagination se représentait ainsi Blaize Castle) devait la faire passer sur bien des contre-temps.

Rapidement, ils descendirent Pulteney Street et traversèrent Laura Place. Thorpe parlait à ses chevaux. Elle pensait tour à tour à des promesses rompues et à des voûtes croulantes, à des phaétons et à de mystérieux huis, aux Tilney et à des oubliettes. Comme ils traversaient Argyle Buildings, elle fut tirée de ses réflexions par Thorpe:

– Qui est cette jeune fille qui vous dévisageait en passant près de nous?

– Qui? où?

– Là-bas. Elle doit être presque hors de vue maintenant.

Catherine regarda, et elle vit Mlle Tilney au bras de son frère: ils descendaient lentement la rue. Elle les vit se retourner et la regarder.

– Arrêtez, arrêtez, monsieur Thorpe! criait-elle avec impatience. C’est M. Tilney, c’est lui! Comment avez-vous pu me dire qu’ils étaient partis. Arrêtez, arrêtez! je veux descendre tout de suite et les rejoindre.

Paroles vaines. Thorpe, tout simplement, lâcha les rênes, et le trot s’accéléra. Les Tilney ne se retournaient plus. À l’angle de Laura Place, ils disparurent. Cependant le cabriolet traversait au grand trot Market Place, s’engageait dans une rue, et toujours Catherine suppliait Thorpe:

– Je vous en prie, je vous en prie, arrêtez, monsieur Thorpe! Je ne peux pas aller plus loin, je ne veux pas aller plus loin! Il faut que je rejoigne Mlle Tilney!

Thorpe se contentait de rire, faisait claquer son fouet, encourageait son cheval, poussait des grognements saugrenus, et allait toujours. Catherine, furieuse et désolée tout ensemble, emprisonnée là, fut obligée de se soumettre. Mais elle n’épargna pas Thorpe.

– Comment avez-vous pu me tromper ainsi, monsieur Thorpe? Comment avez-vous pu dire que vous les aviez vus monter Landsdown Road? Combien je voudrais que rien de tout cela ne fût arrivé! Ils doivent trouver bien étrange, bien grossier que je passe si près d’eux sans un mot! Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis contrariée. Rien, à Clifton, rien, dans cette promenade, ne me fera plaisir. J’aimerais même dix mille fois mieux descendre maintenant et les rejoindre. Comment avez-vous pu me dire que vous les aviez vus en phaéton?

Thorpe se défendit très vivement, déclara qu’il n’y avait jamais eu telle ressemblance, et renonça très difficilement à croire que ce ne fût pas Tilney lui-même qu’il avait vu.