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Catherine n’avait à faire nul effort pour croire Henry Tilney impeccable. L’expression, elle en convenait, pouvait parfois surprendre, mais l’idée était toujours noble, et, du reste, ce qu’elle ne comprenait pas, elle était aussi encline à l’admirer que ce qu’elle comprenait. La promenade, qui toute fut charmante, se conclut à souhait pour Catherine: ses amis la reconduisirent chez elle, et Mlle Tilney obtint de Mme Allen la permission d’avoir Catherine à dîner le surlendemain.

Le temps avait passé d’une façon si agréable, qu’au cours de la promenade Catherine n’avait pas pensé une fois à Isabelle et à James. Les Tilney partis, sa sollicitude pour Isabelle revint; mais Mme Allen ne détenait aucun renseignement qui pût rassurer Catherine. Celle-ci s’aperçut alors qu’elle avait besoin de quelques yards de ruban: il fallait de toute nécessité les acheter et sans un instant de délai. Elle sortit et, dans Bond Street, rejoignit la seconde des demoiselles Thorpe, qui flânait du côté d’Edgar’s Buildings avec deux délicieuses jeunes filles qui avaient été ses amies chéries toute la matinée. Elle apprit ainsi que l’excursion à Clifton avait eu lieu.

– Ils sont partis ce matin à huit heures, dit Anne, et je ne les envie pas. Ce doit être la promenade la plus assommante. Il n’y a pas une âme à Clifton en ce moment. Belle était avec votre frère et John avec Maria.

Catherine exprima son plaisir de savoir que Maria était de la partie.

– Oui. Maria est avec eux. Elle était folle de joie. Elle s’attendait à quelque chose d’exquis. Drôle de goût! Pour ma part, dès le premier moment, j’étais décidée à ne pas les accompagner, même s’ils m’en priaient instamment.

Catherine, un peu incrédule, ne put s’empêcher de dire:

– Quel dommage que vous n’ayez pu partir tous!

– Je vous remercie. Mais cela m’était bien égal. À aucun prix je n’aurais voulu être des leurs. Je le disais justement à Émilie et à Sophie quand vous nous avez rejointes.

Catherine resta sceptique; mais, heureuse de savoir qu’Anne eût pour consolation l’amitié d’une Émilie et d’une Sophie, elle leur dit adieu sans tristesse, et rentra à la maison, se félicitant de ce que la partie n’eût pas été manquée du fait de son refus.

– Puisse-t-elle avoir été assez agréable pour que James et Isabelle ne soient pas restés sous la mauvaise impression de ma résistance! souhaitait Catherine.

XV

Le lendemain, de bonne heure, une lettre d’Isabelle sollicitait, sur le mode le plus affectueux et pour une communication de haute importance, la présence immédiate de Catherine. Celle-ci se hâta vers Edgar’s Buildings, toute curiosité et prête, elle aussi, aux confidences. Les deux Thorpe cadettes étaient dans le petit salon et, pendant que l’une allait appeler sa sœur, Catherine demanda à l’autre quelques détails sur l’excursion de la veille. Maria ne se fit pas prier: la partie avait été la plus exquise du monde, inimaginablement charmante, plus délicieuse que rien qui se pût concevoir, – et ainsi pendant les cinq premières minutes de la conversation. Les cinq suivantes furent du même ton quant aux détails. On avait poussé directement jusqu’à l’hôtel d’York, avalé un potage, commandé le dîner; ensuite on était descendu vers la Pump-Room, on avait goûté l’eau, dépensé quelque argent à de menus achats, pris des glaces chez un pâtissier; puis on était retourné à l’hôtel, où on avait dîné rapidement afin d’être rentrés avant la nuit. Et ce retour avait été charmant. Toutefois la lune était absente, – et il pleuvait un peu, – et le cheval de M. Morland était si las qu’on avait eu beaucoup de peine à le faire marcher. Catherine écoutait avec satisfaction: il n’avait pas été question de Blaize Castle, et le reste ne valait guère un regret.

– Quel dommage, dit Maria, en terminant, que ma sœur Anne n’ait pu venir. Elle était furieuse d’avoir été exclue de la partie. Elle ne me pardonnera jamais cela, j’en suis bien sûre. Mais quoi… John avait voulu m’emmener, et non pas elle: il ne lui trouvait pas la jambe assez bien faite. Elle en a pour longtemps à être de mauvaise humeur. Quant à moi, ce n’est pas si peu de chose qui me mettrait en colère.

Isabelle entra d’un pas allègre et s’épanouissant toute pour monopoliser l’attention. Maria fut renvoyée sans cérémonie, et Isabelle embrassant Catherine, commença ainsi:

– Oui, ma chère Catherine, c’est vrai. Votre perspicacité n’a pas été en défaut. Quel œil de lynx que le vôtre! Il voit à travers tout.

Catherine répondit par un regard d’ignorance étonnée.

– Non, ma chérie, ma douce chérie, calmez-vous. Je suis extrêmement agitée, comme vous voyez. Asseyons-nous et causons. Ainsi, vous l’avez deviné en recevant ma lettre, fille rusée? Oh, ma chère Catherine, vous qui seule connaissez mon cœur, vous pouvez juger de ma joie. Votre frère est l’homme le plus charmant. Je souhaiterais seulement être plus digne de lui. Mais que diront votre excellent père, votre excellente mère? Cieux! Quand je pense à eux, je suis si agitée!

Catherine commençait à comprendre et, avec la rougeur naturelle à une émotion si inattendue, elle s’écria:

– Ciel! ma chère Isabelle, que voulez-vous dire? Est-il possible, est-il possible vraiment que vous soyez éprise de James?

Et, en effet, ces doux sentiments d’Isabelle envers James, au sujet desquels on célébrait si gratuitement la perspicacité de Catherine, s’étaient avérés réciproques, la veille, à la promenade. Jamais Catherine n’avait été la confidente d’une nouvelle si pathétique: son frère et son amie étaient fiancés! Neuve à ces choses, leur importance lui semblait tenir du prodige et elle voyait là un de ces événements sans retour dans le cours ordinaire de la vie. Son joyeux émoi, qu’elle ne pouvait traduire, plut à Isabelle. En se donnant le nom de sœurs, elles mêlèrent leurs baisers et leurs larmes heureuses.

Mais, pour ravie que fût Catherine à la perspective de cette union, comment eût-elle lutté de lyrisme avec Isabelle? celle-ci disant:

– Vous me serez infiniment plus chère, ma Catherine, qu’Anne même ou Maria. Je sais que je serai bien plus attachée à ma chère famille Morland qu’à ma propre famille.

Catherine renonçait à s’élever à ces hauteurs de l’amitié.

– Vous êtes si semblable à votre cher frère, continuait Isabelle, que j’ai raffolé de vous dès le moment que je vous vis. Il en est toujours ainsi pour moi: le premier moment décide de tout. Le jour que Morland vint à la maison, à Noël dernier, de la minute que je le vis, mon cœur était sien, irrévocablement. J’avais, il m’en souvient, ma robe jaune, les cheveux nattés, et quand, à mon entrée au salon, John me le présenta, je pensai que jamais je n’avais vu personne d’aussi beau.

Catherine découvrait la puissance de l’amour. Elle aimait son frère et avec quelle partialité: cependant elle ne s’était jamais avisée qu’il fût beau.

– Il m’en souvient encore. Mlle Andrews prenait le thé avec nous ce soir-là; elle avait sa robe de florence puce; elle était divine, tant, que je pensai voir votre frère tomber amoureux d’elle. Oh, Catherine, combien de nuits d’insomnie n’ai-je pas dues à votre frère! Je ne voudrais pas que vous souffrissiez la moitié de ce que j’ai souffert! Je suis devenue désolément maigre, je le sais. Mais je ne veux pas vous faire de peine à vous décrire mes angoisses. Ce que vous en avez vu suffit. Je sens que je me suis trahie continuellement. Si étourdiment je disais ma prédilection pour l’Église. Mais je savais bien qu’avec vous mon secret était en sûreté.