– Une bien bonne chose que ce projet de mariage, sur mon âme! Une heureuse idée que celle de Morland et de Belle! Qu’en pensez-vous, miss Morland? À mon sens, l’idée n’est pas mauvaise.
– C’est même une très heureuse idée.
– Oui! Par le ciel! voilà qui est franc. Je suis ravi que vous ne soyez pas ennemie du mariage. Connaissez-vous la vieille chanson: «Aller à la noce, c’est s’acheminer à une autre noce.» Viendrez-vous à celle d’Isabelle?
– Oui, j’ai promis à votre sœur d’assister à son mariage, si ce m’est possible.
– Et alors, vous savez – et il se tortillait hilare – je dis, alors, Vous savez, nous pourrons contrôler la vieille chanson.
– La vieille chanson? Mais je ne chante pas… Eh bien, je vous souhaite un bon voyage. Je dîne avec Mlle Tilney aujourd’hui, et je dois rentrer à la maison.
– Eh! rien ne presse! Qui sait quand nous nous retrouverons! Non que je ne doive être de retour vers la fin de la quinzaine, une quinzaine qui me paraîtra diablement longue!
– Alors pourquoi vous absenter si longtemps? dit Catherine, voyant qu’il attendait une réponse.
– C’est gentil à vous, vraiment, gentil et d’un bon cœur. Je ne suis pas près de l’oublier. Mais vous avez plus de bonté et de tout, que n’importe qui, une part de bonté… colossale. Et ce n’est pas seulement de la bonté, mais vous avez tant, tant de tout! Vous avez une telle… Sur mon âme! je ne connais personne comme vous!
– Oh! il y a beaucoup de gens comme moi, et, j’en suis sûre, un grand nombre qui valent mieux. Au revoir.
– Mais, miss Morland, j’irai à Fullerton vous présenter mes respects avant peu, si je ne vous suis pas désagréable.
– Je vous en prie: mon père et ma mère seront très contents de vous voir.
– Et j’espère, j’espère, miss Morland, que vous ne serez pas ennuyée de me voir.
– Oh! pas du tout. Il est peu de gens que je sois ennuyée de voir. Il est toujours agréable d’avoir de la compagnie.
– C’est juste ma façon de penser. Que j’aie seulement de gais compagnons, que je sois avec des gens que j’aime, que je sois où il me plaît d’être et avec qui me plaît, au diable le reste, dis-je! Et je suis extrêmement heureux de vous entendre dire la même chose. Mais j’ai dans l’idée, miss Morland, que vous et moi sommes presque toujours du même avis.
– Peut-être. Je n’ai jamais réfléchi à cela. D’ailleurs, il n’y a pas beaucoup de choses sur lesquelles je connaisse mon propre avis.
– Par Jupiter, c’est comme moi! Ce n’est pas mon habitude de me casser la tête de choses qui ne me concernent pas. Ma façon de voir est assez simple. Que j’aie la fille que j’aime, dis-je, une maison confortable sur ma tête, et qu’ai-je à m’inquiéter de tout le reste! La fortune n’est rien. De mon côté, je suis certain d’un bon revenu. Et n’eût-elle pas un penny, eh bien! tant mieux!
– Sur ce point, je pense comme vous. Si, d’une part, il y a quelque fortune, de l’autre, il n’est pas nécessaire qu’il y en ait. Que ce soit lui ou elle qui soit riche, il n’importe. Je ne comprends pas qu’une grande fortune en cherche une autre; se marier pour de l’argent me paraît la chose la plus immorale qui soit. Adieu. Nous serons contents de vous voir à Fullerton, quand il vous plaira.
Les galantises de son interlocuteur échouèrent à la retenir plus longtemps. Elle avait hâte d’annoncer les fiançailles de James à Mme Allen et de faire ses préparatifs pour se rendre auprès de Mlle Tilney. Elle partit, et Thorpe resta là, enchanté de sa démarche et de l’encouragement, pour lui ostensible, que lui avait accordé la jeune fille.
L’émoi qu’elle avait eu à apprendre l’engagement de son frère lui faisait augurer que M. et Mme Allen seraient eux aussi fort troublés à l’étonnante nouvelle. Grand fut son désappointement. Cette étonnante nouvelle, dont elle prépara l’énoncé par maintes circonlocutions, avait été prévue par eux dès l’arrivée de James. Ils se bornèrent à exprimer un vœu de bonheur pour les jeunes gens. M. Allen y ajouta une remarque sur la beauté d’Isabelle, et Mme Allen sur sa chance. Une telle impassibilité parut surprenante à Catherine. Pourtant Mme Allen abjura son calme en apprenant le départ, la veille, de James pour Fullerton. À plusieurs reprises, elle regretta que le secret eût été nécessaire pour ce départ, déplora de n’avoir pas été informée du voyage, de n’avoir pas vu James au dernier moment: elle l’eût certainement chargé de ses meilleurs souvenirs pour M. et Mme Morland et de ses compliments pour les Skinner.
XVI
Catherine s’était promis un tel plaisir de sa visite à Milsom Street qu’une déception était inévitable. Oui, sans doute, le général Tilney l’avait reçue avec beaucoup de courtoisie, et sa fille de façon très gracieuse; oui, Henry était là; oui, il n’y avait pas eu d’autre invitée qu’elle: et pourtant elle dut convenir, à son retour et sans avoir à délibérer longtemps, qu’elle était allée à ce rendez-vous prête à un bonheur qu’elle n’y avait pas trouvé. Loin que leur intimité eût fait des progrès, il semblait que les deux jeunes filles fussent moins amies qu’auparavant. Henry Tilney, dans le cadre familial, eût pu mettre en valeur son natureclass="underline" or il n’avait jamais si peu parlé, jamais été si peu affable. Bref, en dépit des amabilités presque excessives du père, partir lui avait été un soulagement. Que le général eût toutes les qualités, en pouvait-on douter? il était grand et beau, et le père de Henry. En la circonstance, il n’était donc responsable de rien. «Au surplus, pensa Catherine, le manque d’entrain de ses enfants pouvait être imputable au hasard, et mon ennui à ma sottise.»
L’interprétation d’Isabelle fut différente:
Orgueil, orgueil, insupportable hauteur, et orgueil, voilà ce que décelaient les façons des Tilney. Elle soupçonnait depuis longtemps en eux ce vice; ses soupçons étaient maintenant confirmés. De sa vie elle n’avait rien vu d’aussi inconvenant que la conduite de Mlle Tilney. Ne pas daigner faire les honneurs de sa maison! Traiter une visiteuse avec une telle arrogance! Lui parler à peine!
– Mais vous exagérez, Isabelle: elle n’était pas hautaine, elle était très courtoise.
– Oh! ne la défendez pas! Et le frère, lui qui semblait avoir pour vous tant d’affection! Ciel! que les sentiments de certaines gens sont incompréhensibles! Ainsi, de tout le jour, il vous a à peine regardée?
– Je n’ai pas dit cela. Il ne semblait pas avoir beaucoup d’entrain.
– Comme c’est petit! De toutes les choses du monde, c’est l’inconstance qui m’inspire le plus d’aversion. Je vous en supplie, ma chère Catherine, ne pensez plus jamais à lui. Vraiment, il est indigne de vous.
– Indigne! Je ne suppose pas qu’il ait jamais pensé à moi.
– C’est justement ce que je dis: il ne pense jamais à vous. Quelle inconstance! Oh, combien différents de lui, votre frère et le mien! Je crois vraiment que John a le cœur le plus constant qui soit.
– Quant au général Tilney, je vous assure qu’il est impossible d’être plus poli et plus attentif. Il semblait que sa seule préoccupation fût de m’être agréable.
– Oh! de lui je ne dis rien, je ne pense pas qu’il soit orgueilleux. Je le crois très gentleman. John en a une haute opinion. Et le jugement de John…