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Au souvenir de l’opinion de M. Allen, touchant les promenades des jeunes gens en voiture découverte, elle rougit, et sa première pensée fut de refuser: la seconde fut plus déférente envers le général Tilney: il ne pouvait proposer rien que de convenable. Quelques instants après, elle était installée à côté de Henry Tilney, heureuse autant qu’on peut l’être. Il ne fallut pas une longue expérience pour la convaincre qu’un curricle est l’équipage par excellence: la chaise de poste s’avançait avec majesté, certes; mais c’était une pesante et fastidieuse machine et qui avait motivé – elle ne pouvait aisément l’oublier – leur arrêt de deux heures à Petty France: la moitié de ce temps eût suffi au curricle, et si agiles étaient ses trotteurs que, si le général Tilney n’avait décidé que la chaise ouvrirait la marche, ils auraient pu la dépasser facilement; mais le mérite du curricle, n’appartenait pas seulement aux chevaux: Henry conduisait si bien, avec tant de calme et si peu d’ostentation. (Quelle disparate avec cet autre conducteur de coches qui fouettait et sacrait sur les routes de Bath!) Son chapeau était si bien d’aplomb; les collets innumérables de son manteau s’étoffaient si galamment! Après le bonheur de danser avec Henry Tilney, il n’était évidemment bonheur que d’être ainsi conduite par lui. Il la remerciait au nom de sa sœur, qui, disait-il, n’était pas dans une situation à envier: elle n’avait pas de compagnes et, en l’absence, fréquente, de son père, était souvent bien seule.

– Mais, objectait Catherine, ne restez-vous pas auprès d’elle?

– Northanger n’est qu’à demi ma demeure. Je suis installé à Woodston, qui est à vingt milles de la maison de mon père. J’y passe forcément une partie de l’année.

– Comme cela doit vous être pénible!

– Il m’est toujours pénible d’être loin d’Éléonore.

– Oui; mais, outre votre affection pour elle, vous devez tant aimer l’abbaye. Habitué à une telle demeure, vous trouvez sans doute bien déplaisant un presbytère pareil à tous les autres.

Il sourit.

– Vous vous êtes fait une image très séduisante de l’abbaye.

– Certes. N’est-ce pas là un de ces vieux monuments si beaux que décrivent les livres?

– Êtes-vous prête à affronter les horreurs qu’enclôt un monument pareil à ceux «que décrivent les livres»? Avez-vous le cœur ferme? les nerfs assez bien trempés pour voir sans épouvante glisser un panneau ou onduler une tapisserie?

– Oh, oui! Je ne m’effrayerai pas facilement, me semble-t-il; il y aura tant de monde! Puis l’abbaye n’est jamais restée inhabitée. Ce n’est pas une de ces demeures longtemps laissées à l’abandon et où s’installent, un beau jour, les descendants des hôtes de jadis.

– Bien entendu, et nous n’aurons pas à nous avancer, à pas hasardeux, sous de ténébreuses voûtes éclairées par les rayons avares d’un feu qui expire; nous n’étendrons pas nos couches dans une salle sans fenêtres, sans portes, sans meubles. Mais vous devez savoir que, quand une jeune personne est introduite dans une demeure de ce genre, elle est toujours logée à part. Pendant que ses hôtes se replient en silence vers l’aile qu’ils habitent, Dorothée, l’antique femme de charge, la conduit cérémonieusement, par un autre escalier et de sombres couloirs, à un appartement déshabité depuis qu’y mourut, vingt ans passés, un vague parent. Ne craindrez-vous pas pour votre raison, quand vous vous trouverez dans cette chambre trop spacieuse, qu’éclaire un lumignon dont les lueurs misérables meurent sur une haute lisse à personnages, et où un lit drapé de lourd velours pourpre ou vert sombre s’allonge funèbre? Votre cœur ne faillira-t-il pas?

– Oh! mais rien de tout cela ne m’arrivera, j’en suis sûre.

– Combien craintivement vous inventorierez le mobilier de votre chambre! Et que distinguerez-vous? Tables, toilettes, armoires ni commodes; mais, peut-être, là les débris d’un luth, là un lourd coffre que nul effort ne peut ouvrir, au-dessus de la cheminée le portrait de quelque inquiétant guerrier sur lequel vos yeux s’hallucineront. Dorothée, cependant, que trouble votre survenue, vous regarde anxieuse et risque quelques spécieux avis. Sous couleur de relever votre courage, elle vous confirme dans l’idée que cette partie de l’abbaye est hantée et vous avertit qu’aucun domestique ne saurait entendre votre appel. Sur ce réconfortant adieu, elle fait la révérence et se retire. Vous écoutez jusqu’à leur résonnance dernière ses pas s’éloigner et quand, le cœur défaillant, vous voulez fermer la porte, vous constatez qu’elle n’a pas de serrure.

– Oh! monsieur Tilney, comme c’est effrayant! C’est absolument comme dans les livres. Mais certainement rien de tout cela ne m’arrivera. Je suis sûre que votre femme de charge n’est pas cette Dorothée… Et ensuite?…

– Peut-être, la première nuit, ne se passera-t-il rien d’insolite. Après avoir surmonté l’appréhension que ce lit vous inspire, vous vous y glisserez enfin et, quelques heures, vous dormirez d’un sommeil trouble. La seconde nuit, la troisième au plus tard, se déchaînera sans doute un orage. Des coups de tonnerre à ébranler l’édifice jusqu’à sa base se répercuteront dans les monts d’alentour, et, tandis que siffleront plus fort les rafales accompagnatrices, vous croirez discerner (car votre lampe n’est pas éteinte) qu’un pan des tentures remue. Incapable de réprimer votre curiosité en une si propice occurrence, vous vous lèverez et, vous drapant d’un peignoir, vous irez vers le mystère. Après un court examen, vous découvrirez dans la tapisserie une fente si habilement dissimulée qu’elle devait défier l’inspection la plus minutieuse. Écartant les pans, vous apercevrez une porte défendue uniquement par de fortes barres et un verrou. Vous réussissez à l’ouvrir, et, la lampe à la main, la franchissez: vous êtes maintenant dans une petite pièce à voûte surbaissée.

– Non, vraiment, j’aurais trop peur.

– Comment! Quand Dorothée vous a laissé entendre qu’il y a, entre votre appartement et la chapelle de Saint-Antoine, distante de deux milles à peine, un secret et souterrain chemin! Reculeriez-vous devant une aventure si simple? Non, non, vous passerez donc de l’étroite salle voûtée dans d’autres salles et dans d’autres encore, sans remarquer dans aucune d’elles rien d’anormal. Dans l’une, peut-être, verrez-vous un poignard, dans une autre des gouttes de sang, dans une troisième les vestiges de quelque instrument de torture. Mais comme il n’y a rien, en tout cela, que de très naturel et comme votre lampe est sur le point de s’éteindre, vous vous décidez à rentrer dans votre appartement. Dans une des salles que vous traversez en revenant sur vos pas, vous apercevrez soudain un antique cabinet ébène et or, que vous n’aviez pas vu malgré votre minutieux examen. Sous l’empire d’un irrésistible pressentiment, vous vous approchez. Vous ouvrez les battants, visitez les tiroirs, sans rien découvrir qui vaille l’attention, un amas de diamants tout au plus. Mais vous avez touché un ressort secret, un panneau intérieur s’est ouvert: vous apercevez un rouleau de papier. Vous le saisissez: c’est un manuscrit volumineux. Riche de ce trésor, vous courez à votre chambre. À peine avez-vous pu déchiffrer: «Oh! qui que tu sois, toi entre les mains de qui est tombé ce mémorial de la déplorable Mathilde…» la mèche s’éteint au bec de la lampe: vous êtes dans les ténèbres.

– Oh, non! non! ne dites pas cela!… Je vous en prie, continuez.

Mais Henry était trop amusé par le spectacle de l’émoi de sa compagne pour être capable de continuer le jeu et de maintenir plus longtemps sa voix dans le ton solennel du sujet. Il déclara remettre à l’imagination de Catherine le soin d’achever la lecture des malheurs de Mathilde. Catherine, reprenant possession d’elle-même, fut honteuse d’avoir montré une si avide curiosité: elle affirma que son attention avait été séduite, mais non pas sa foi. Elle était certaine que Mlle Tilney ne la logerait pas dans une telle chambre. Elle n’avait nulle crainte à ce sujet.