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Comme approchait la fin du voyage, son impatience de connaître Northanger, qu’avait atténuée une conversation relative aux sujets les plus divers, reprit le dessus, et, à chaque détour de la route, elle espérait, avec une crainte religieuse, voir surgir d’un massif de chênes ses murailles de pierre grise et étinceler au soleil du soir ses hautes fenêtres gothiques. Mais le bâtiment était si peu élevé qu’elle avait franchi les portes d’enceinte et se trouvait en plein sur le territoire de Northanger sans avoir vu même une antique cheminée.

Elle ne savait pas bien si elle devait s’étonner, et pourtant il y avait dans cette façon d’aborder l’abbaye quelque chose qui la déconcertait. Longer des bâtiments tout modernes, se trouver et si naturellement dans l’enceinte de l’abbaye, rouler si vite sur un fin gravier, tout cela sans obstacles, sans alertes, sans cérémonial d’aucune sorte, voilà qui la frappait comme un fait étrange et contradictoire. Quoi qu’il en soit, elle n’eut pas le loisir d’une ratiocination plus longue. Un paquet de pluie venait de la frapper au visage, et tout son effort de pensée se consacra à la sauvegarde de son chapeau de paille neuf. Elle était alors sous les murs mêmes de l’abbaye. Elle sauta de la voiture avec l’aide de Henry et se trouva sous l’antique porche, à l’abri. Aussitôt elle pénétrait dans le vestibule où l’attendaient pour lui souhaiter la bienvenue, son amie et le général, – et nul présage de malheur, pas le moindre rappel de quelque scène d’horreur dont eût été témoin l’imposant édifice. Le vent n’avait point porté vers Catherine les soupirs de la victime; il se contentait de porter une brume épaisse et de faire claquer les jupes de la jeune fille. Celle-ci était prête à faire son entrée au salon et capable de se rendre compte de ce qui se passait autour d’elle.

Une abbaye! Quelle joie, être vraiment dans une abbaye! Mais à l’examen des aîtres, elle douta que ce qu’elle avait sous les yeux correspondît à cette notion. Dans sa profusion et son élégance, le mobilier était selon le goût moderne. La cheminée, dont elle s’attendait à voir se développer sculpturalement le vétuste manteau, se restreignait à un Rumford avec plaques de marbre et porcelaines ornementales. Les fenêtres, qu’elle regarda avec un intérêt tout particulier, le général ayant dit qu’il en avait respecté religieusement la forme gothique, ne répondaient pas aux promesses de son imagination. Certes, leur arc avait été conservé, leur forme était gothique, mais leurs vitres étaient si grandes et si limpides! À une imagination qui s’était représenté des fenêtres à étroits croisillons, à épais meneaux, à vitraux, poussiéreuses et décorées de toiles d’araignée, la réalité était déconcertante.

Le général, voyant Catherine regarder autour d’elle, se mit à parler de l’exiguïté de la pièce, de la simplicité du mobilier qui, destiné à un usage journalier, ne visait qu’au confort, etc. Du moins, dans l’abbaye, y avait-il, il s’en flattait, quelques pièces point indignes de l’attention de Catherine, et il célébrait la riche dorure de l’une d’elles, quand, tirant sa montre, il s’arrêta net pour proférer avec stupéfaction:

– Cinq heures moins vingt!

Ce fut le signal de la dispersion. Catherine fut entraînée par Mlle Tilney avec une hâte qui lui apprit quelle stricte ponctualité était exigée à Northanger.

Elles retraversèrent l’immense vestibule, et gravirent un monumental escalier de chêne ciré qui, de volées en paliers, les conduisit à une longue et spacieuse galerie. D’un côté, une rangée de portes; de l’autre, des baies qui donnaient sur une cour rectangulaire. Déjà, Mlle Tilney menait Catherine vers une chambre, où elle ne resta qu’un moment, le temps d’exprimer l’espoir que le logis fût trouvé confortable. Elle quitta Catherine, en lui recommandant de faire à sa toilette le moins de changements possible.

XXI

D’un coup d’œil, Catherine vit que sa chambre était très différente de celle qu’avait décrite si pathétiquement M. Tilney. Elle n’était pas vaste outre mesure; les murs étaient tendus de papier; un tapis recouvrait le plancher; les fenêtres n’étaient pas en moins bon état ni moins claires que celles du salon: sans être du dernier genre, le mobilier était élégant et confortable: l’ensemble était loin d’être triste. Instantanément rassurée, Catherine résolut de ne pas s’attarder à un examen de détaiclass="underline" elle ne voulait pas mécontenter le général par un retard. Elle enleva sa robe prestement et se disposait à tirer de leur enveloppe ses objets de toilette, quand soudain son regard tomba sur un coffre relégué dans une profonde encoignure, près de la cheminée. Elle soubresauta et, oubliant toute autre chose, dans un étonnement immobile elle contempla le coffre, cependant que la traversaient ces pensées:

– Voilà qui est étrange! Je ne m’attendais pas à cette découverte! Ce coffre énorme! Que peut-il contenir? Pourquoi l’avoir placé là? On l’a mis à l’écart, comme pour le cacher… Si je regardais… Coûte que coûte, je saurai ce qu’il contient… et même tout de suite… en plein jour. Le soir, ma lumière pourrait s’éteindre.

Elle s’approcha du coffre, l’examina de tout près: ses parois de cèdre étaient curieusement incrustées d’un bois plus sombre; il avait un support bas de cèdre sculpté; la serrure était d’un argent terni par le temps, et les poignées d’argent étaient rompues, décelant peut-être quelque étrange violence; le centre du couvercle se marquait d’un monogramme du même métal. Catherine se pencha, mais sans parvenir à le déchiffrer. De quelque côté qu’elle se mît, la seconde lettre persistait à ne pas être un T. Et que ce fût une autre lettre, il y avait là de quoi susciter un étonnement peu ordinaire, cette maison appartenant aux Tilney. S’il n’était pas originairement leur, par quel concours de circonstances ce coffre leur était-il échu?

Sa curiosité allait croissant. De ses mains tremblantes, Catherine dégagea le moraillon. Avec difficulté, car quelque chose semblait contrarier ses efforts, elle parvint à soulever de deux ou trois pouces le couvercle. À ce moment, un coup à la porte la fit tressaillir; elle retira la main et le couvercle retomba lourdement. L’intruse était une femme de chambre qui, sur l’ordre de Mlle Tilney, venait offrir ses services. Catherine la congédia, mais, rappelée à la réalité, et en dépit de son anxieux désir de pénétrer un mystère, elle procéda à sa toilette sans autre délai. Elle n’allait pas vite, car ses pensées et ses regards étaient encore fixés sur l’inquiétant objet; et, quoiqu’elle n’osât consacrer une minute à une nouvelle tentative, elle ne pouvait se désintéresser du coffre. Cependant, quand elle eût passé une des manches de sa robe, sa toilette semblait si près d’être finie qu’elle crut pouvoir donner un gage à sa curiosité. Oh, il ne s’agissait que d’une minute. Elle ferait un effort si décisif que le couvercle, si une puissance occulte ne le maintenait, céderait. Elle s’élança donc, et son espoir ne fut pas déçu. Le couvercle se souleva et, à ses yeux étonnés, parut, soigneusement pliée et seule dans l’immensité du coffre, une courtepointe en coton blanc.

Elle la considérait, et l’étonnement rosissait ses joues, quand Mlle Tilney, qui craignait que Catherine se mît en retard, entra dans la chambre. À la honte d’avoir donné asile à une absurde espérance s’ajoutait en Catherine la honte d’être surprise.