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La lumière faiblissait. Catherine alarmée se retourna. Une extinction soudaine n’était pas à craindre. La mèche brûlerait encore quelques heures. Catherine, afin de n’éprouver à sa lecture d’autre difficulté que celle qui résulterait de l’ancienneté du document, moucha la lampe. Elle fut tout ensemble, hélas, mouchée et éteinte, la lampe. Nulle lampe n’expira jamais sur un mode plus pathétique. D’horreur, Catherine resta d’abord stupide… Tout était fini: sur la mèche nul point en ignition; en Catherine, nul espoir. Plus rien dans la chambre, que l’obscurité impénétrable et immobile.

Un brusque ressaut du vent accrut l’horreur de la nuit. Catherine tremblait de la tête aux pieds. Pendant l’accalmie qui suivit, un bruit pareil à celui de pas qui s’éloignent et le fracas, au loin, d’un ventail qu’on ferme frappèrent son oreille épouvantée. Une sueur froide perlait à son front; le manuscrit lui échappa; à tâtons elle se dirigea vers son lit et s’enfouit au plus profond des couvertures. Dormir était pour elle complètement hors de question, et la tempête était aussi tumultueuse que son âme. Catherine d’ordinaire n’avait pas peur du vent; mais, cette nuit, chacune de ses rafales était lourde de significations. Le manuscrit trouvé d’une façon si merveilleuse, si merveilleusement accomplies les prédictions du matin, quelle explication naturelle donner de tout cela? Ce manuscrit, que contenait-il? à qui pouvait-il se rapporter? comment avait-il pu rester ignoré si longtemps, et combien singulier qu’il lui fût réservé, à elle, de le découvrir! Jusqu’à ce qu’elle se fût rendue maîtresse de sa teneur, elle ne connaîtrait pas la quiétude. Aux premières lueurs du jour elle le déchiffrerait. Nombreuses étaient les heures, et si longues, qui devaient s’écouler encore. Elle frissonnait. Elle se tournait, se retournait dans son lit. Elle enviait les dormeurs paisibles.

Tantôt ses courtines mêmes semblaient s’agiter; tantôt la serrure de la porte était secouée comme pour une irruption. Des murmures sourds rampaient par la galerie, et plus d’une fois son sang se glaça à des lamentations lointaines. Les heures et les heures passaient. Catherine avait entendu clamer trois heures par toutes les horloges de la maison… Puis, un grand calme. La tempête s’était-elle calmée? Catherine s’était-elle endormie?…

XXII

Au bruit que fit la servante en repliant les volets, Catherine ouvrit les yeux. Il était huit heures; le feu brûlait déjà dans la cheminée; un allègre matin avait succédé à la nuit furieuse. Renaquirent simultanément en elle le sentiment de son existence et le souvenir du manuscrit. Elle sauta du lit dès que disparut la domestique, réunit les feuillets épars, revint en grande hâte à son oreiller, toute prête à la volupté d’une lecture de découverte. Ce n’était pas un manuscrit aussi copieux que ceux que les romans reproduisaient pour son effroi de lectrice: le rouleau, qui paraissait tout de feuilles volantes, était de dimensions minimes, beaucoup plus petit qu’elle n’avait cru la veille.

Son œil avide parcourut rapidement une page. Était-ce possible? ou bien ses sens la trompaient-ils? Un inventaire de linge en vulgaires caractères modernes! Si elle n’était pas le jouet d’une hallucination, oui, c’était bien une note de blanchissage. Elle prit un autre feuillet: mêmes articles, avec quelques variantes; un troisième, un quatrième, un cinquième, et le sujet persistait: chemises, bas, gilets, cravates. Deux autres feuillets étaient à peine plus impressionnants: ils notaient des dépenses: lettres, poudre à poudrer, cordons de souliers, etc. Le plus grand feuillet, celui qui enveloppait les autres, était une ordonnance de maréchal-vétérinaire, comme l’indiquait sa première ligne: «Appliquer un cataplasme à la jument alezane.» Telle était cette collection (laissée là, sans doute, par une fille de service négligente) qui lui avait valu une nuit blanche. Catherine se sentit humble comme la poussière. L’aventure antérieure n’avait-elle donc pu lui enseigner la sagesse? De son lit elle apercevait un coin comme ironique du coffre. Supposer qu’un manuscrit centenaire ait pu rester ignoré dans cette chambre, ou qu’elle eût seule le talent d’ouvrir un cabinet dont la clef était à la portée de tous! Comment avait-elle pu se leurrer à ce point? Plût au ciel que Henry ignorât toujours sa sottise! Du reste, il en était complice: si l’aspect du cabinet n’avait pas paru concorder si exactement avec la description qu’il avait faite, sa curiosité se fût-elle donné carrière? C’était là sa seule consolation. Impatiente de se débarrasser de ces témoignages de sa folie, les feuillets épars sur les couvertures, elle se leva, les remit autant que possible dans leur ordre primitif, et les replaça dans leur cachette, en formant des vœux pour qu’aucun nouvel incident ne les en fît sortir à sa confusion.

Que les serrures eussent été si rétives restait cependant un fait anormal, car maintenant elle les gouvernait avec une aisance parfaite. Là il y avait certainement quelque chose de mystérieux, et elle s’abandonnait à cette flatteuse supposition, quand la possibilité de portes non closes qu’elle aurait elle-même fermées lui apparut et la fit rougir encore.

Elle sortit au plus vite d’une chambre où les choses mêmes lui reprochaient sa conduite et se rendit, en toute hâte, à la salle du déjeuner, que Mlle Tilney lui avait désignée la veille. Henry y était seul. L’espoir qu’il formula aussitôt qu’elle n’eût point été incommodée par l’orage et l’allusion qu’il fit au caractère abbatial du logis étaient un peu troublants. Pour rien au monde elle n’eût voulu qu’il soupçonnât sa faiblesse. Cependant, incapable d’un franc mensonge, elle avoua que le vent l’avait un peu empêchée de dormir.

– Mais cette journée est charmante, ajouta-t-elle pour fuir ce dangereux sujet de conversation. Tempêtes et insomnies ne sont rien, une fois passées. Quelles belles jacinthes! J’ai justement appris à aimer les jacinthes.

– Et comment l’avez-vous appris? Empiriquement ou théoriquement?

– C’est votre sœur qui me l’a appris. Je ne saurais dire comment. Mme Allen s’efforçait tous les ans de me les faire aimer. Je ne parvenais pas à les aimer, quand enfin, l’autre jour, j’en vis à Milsom Street. Moi qui suis, par nature, indifférente aux fleurs!

– Mais maintenant vous aimez les jacinthes. Tant mieux. Ce vous est une nouvelle source de jouissances, et il est bon d’avoir sur le bonheur le plus de prise possible. D’ailleurs, le goût des fleurs est précieux aux femmes: cela les incite à sortir et à prendre de l’exercice. Quoique l’amour des jacinthes soit un amour casanier, qui peut dire, ce sentiment éveillé, si un jour vous n’en arriverez pas à aimer une rose?

– Je n’ai pas besoin de prétextes pour sortir. Le plaisir de marcher et de respirer l’air frais m’est un appât suffisant. Quand il fait beau, je suis dehors la moitié du temps. Maman dit que je ne suis jamais à la maison.