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– Quoi qu’il en soit, je suis content que vous sachiez maintenant aimer les jacinthes. Ce qui importe, en effet, c’est de savoir aimer. Et ma sœur a-t-elle une agréable méthode d’enseignement?

Catherine fut sauve de l’embarras d’une réponse: le général entrait. Les compliments qu’il lui fit indiquaient qu’il était dans une bonne disposition d’esprit.

À table, l’élégance du service s’imposa à l’attention de Catherine. Par fortune, il était du choix du général, qui fut enchanté de l’approbation et qui déclara que ce service était tout ensemble simple et d’un goût habile. Il lui paraissait juste d’encourager l’industrie de son pays. Pour son palais peu exigeant, le thé avait un arôme égal dans du Stafford et dans du Saxe ou du Sèvres. Mais c’était déjà un vieux service, un service qui datait de deux ans; depuis lors la fabrication s’était bien perfectionnée; il avait vu de très beaux spécimens de cette fabrication nouvelle la dernière fois qu’il était allé à Londres, et, s’il n’avait été complètement insoucieux de ces futilités, il aurait pu céder à la tentation. Il croyait cependant qu’avant longtemps il aurait l’occasion d’en choisir un, encore que ce ne dût pas être pour lui. Catherine fut seule à ne pas comprendre l’allusion.

Après le déjeuner, Henry partait pour Woodston, où ses occupations le retiendraient deux ou trois jours. Tous se rendirent dans le vestibule pour le voir monter à cheval. De retour dans la salle du déjeuner, Catherine se mit à la fenêtre, avec l’espoir de l’apercevoir encore.

– Voilà une dure épreuve pour votre frère, Éléonore, dit le général. Woodston paraîtra triste aujourd’hui.

– Est-ce beau, Woodston? demanda Catherine?

– Qu’en dites-vous, Éléonore? Formulez votre opinion. Car, sur ces questions, les femmes sont aussi compétentes que les hommes. Je crois que l’œil le moins prévenu apprécierait comme il convient Woodston. La maison s’élève parmi de belles prairies exposées au sud-est; un beau jardin potager y attient; le mur qui enclôt le jardin, moi-même l’ai fait construire, il y a quelque dix ans, dans l’intérêt de mon fils. Woodston est un bénéfice ecclésiastique qui appartient à la famille. Je suis propriétaire des biens environnants, miss Morland, et, vous pouvez m’en croire, je ne les laisse pas tomber en friche. Ce ne sera pas une propriété d’un mauvais rapport. Henry n’eût-il d’autre revenu que celui de ce bénéfice, il ne serait pas mal loti. Peut-être semblera-t-il bizarre que, moi qui n’ai que trois enfants, je juge qu’une position lui soit nécessaire, et j’avoue qu’il est des moments où tous nous souhaiterions le voir dégagé de toute besogne: mais votre père, miss Morland, serait d’accord avec moi pour penser qu’il est utile que les jeunes gens soient occupés, quel que puisse être à ce sujet l’avis des jeunes filles. Le but n’est pas de gagner de l’argent, mais d’occuper son activité. Mon fils aîné, Frédéric, qui héritera d’une des propriétés territoriales les plus vastes du comté, Frédéric lui-même a une profession.

Le silence des jeunes filles prouva que cet imposant argument était, comme s’y attendait le général, sans réplique.

Il avait été question, la veille, d’une visite de l’abbaye. Le général s’offrit pour cicerone, et, quoique Catherine eût préféré la conduite de la seule Éléonore, elle fut encore heureuse d’accepter sa proposition. Depuis dix-huit heures, elle était dans l’abbaye sans en avoir rien vu qu’un petit nombre de chambres. La boîte à ouvrage, qu’on venait d’ouvrir, fut refermée précipitamment: Catherine était prête.

«Quand ils auraient parcouru lu maison, le général se promettait le plaisir de l’accompagner dans les pépinières et le jardin.» Elle acquiesça d’une révérence.

«Mais peut-être lui serait-il plus agréable de voir d’abord le jardin et les pépinières. Le temps était beau, mais, à cette époque de l’année, pouvait se gâter d’un moment à l’autre. Que préférait-elle? Il se mettait entièrement à sa disposition. Quel était l’avis de sa fille? Qu’est-ce qui flatterait le plus les désirs de la jolie invitée? Il croyait pouvoir le deviner. Oui, certainement, il lisait dans les yeux de miss Morland un judicieux désir de voir, avant tout, les pépinières et le jardin. Du reste, l’avis de miss Morland n’était-il pas toujours judicieux? Elle savait bien que les corridors de l’abbaye, par n’importe quel temps, seraient toujours assez secs. Il se ralliait aveuglément à son avis. Il allait prendre son chapeau et les rejoindrait.» Et sortit.

Catherine, et son visage exprimait du désappointement et de l’inquiétude, se mit à dire qu’elle serait désolée que le général, avec la pensée, erronée, de lui plaire à elle, s’astreignît à parcourir le jardin et les pépinières, contre son gré à lui…

Elle fut interrompue par Mlle Tilney qui, un peu confuse:

– Je crois que le plus expédient serait de sortir pendant qu’il fait si beau. En ce qui concerne mon père, ne soyez pas inquiète: il sort toujours à cette heure-ci.

Catherine ne savait au juste à quoi s’en tenir. Pourquoi Mlle Tilney était-elle embarrassée? Y avait-il donc chez le général quelque répugnance à montrer l’abbaye? La proposition pourtant venait de lui. Et n’était-il pas étrange que toujours il se promenât si matin. Ni son père ni M. Allen ne faisaient ainsi. Tout cela était bien contrariant. Elle était impatiente de voir la maison, point curieuse de visiter les pépinières et le jardin. Si, du moins, Henry avait été là… De ce qu’elle verrait, elle ne saurait même pas ce qui était pittoresque. Telles étaient ses pensées, mais elle les garda pour elle et mit son chapeau avec un mécontentement patient.

Quand, de la pelouse, elle vit pour la première fois l’abbaye d’ensemble, elle fut surprise de sa grandeur. Les bâtiments déterminaient une vaste cour rectangulaire. Deux des faces offraient à l’admiration la richesse d’un décor gothique. Le reste était caché par des bouquets d’arbres et un rideau de lierre. Les collines qui s’élevaient derrière la maison comme pour l’abriter étaient belles, même dans ce mois sans feuilles, mars. Catherine n’avait jamais rien vu de comparable, et son impression fut si vive qu’elle la formula, sans se référer à meilleure autorité, hardiment. Le militaire écoutait avec une gratitude extasiée, comme si son propre jugement sur Northanger fût resté en suspens jusqu’à cette minute.

Par le parc, on arriva au jardin potager. Lui aussi, le jardin potager, sollicita des éloges. Le nombre d’acres en était tel que Catherine ne put l’entendre sans effroi. Il était plus de deux fois plus grand, ce jardin potager, que les propriétés de M. Allen et de M. Morland réunies, y ajoutât-on encore le cimetière et le verger. Le nombre des murs à espaliers et des murs d’abri était incalculable et leur longueur infinie. Une cité de serres était installée là. Des populations travaillaient dans l’enceinte. Le général fut satisfait des regards de surprise qui lui disaient, presque aussi clairement que les paroles dont il avait forcé l’émission, que jamais la visiteuse n’avait vu tel jardin. Modestement alors, il avoua que «sans en tirer aucune vanité, il le croyait sans second dans le royaume. S’il avait une marotte, c’était celle-ci. Il aimait un jardin. Quoique assez indifférent à la table, il aimait les bons fruits, et, si non lui, ses enfants. C’était pourtant une servitude que la possession d’un pareil jardin. Les soins les plus attentifs ne préservaient pas toujours les fruits les plus précieux. La serre à ananas n’avait produit que cent fruits l’année dernière. M. Allen, supposait-il, avait ces mêmes déboires.»