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– Mon père, dit-elle à mi-voix, souvent se promène ainsi de long en large.

– Tant pis! pensa tristement Catherine, à constater de quel mauvais augure était cette concordance entre un exercice si hors de propos et les inopportunes promenades du matin.

Après une soirée dont la monotonie et la longueur lui rendirent particulièrement sensible l’absence de Henry, elle fut heureuse d’être délivrée. Sur un signe du général, Éléonore sonna. Le valet de chambre voulait allumer la lampe de son maître. Mais le général ne se retirait pas encore.

– J’ai à lire plusieurs brochures, dit-il à Catherine, avant d’avoir le droit de me coucher. Peut-être mes yeux resteront-ils fixés sur les affaires du pays bien des heures encore après que vous serez endormie. Chacun ne sera-t-il pas dans son rôle? Mes yeux s’abîmeront pour le bonheur d’autrui: pour son malheur, les vôtres rénoveront dans le sommeil leur vertu.

Mais ce compliment magnifique n’empêcha pas Catherine de penser qu’une cause très différente de la cause alléguée décidait le général à surseoir au sommeil. Veiller plusieurs heures après que tout le monde fût couché, et sous le prétexte de vaines brochures à lire, n’était pas très vraisemblable. Il devait y avoir à cela une cause plus profonde: quelque chose à faire qui ne pouvait être fait qu’à la faveur du sommeil unanime. Peut-être Mme Tilney vivait-elle encore, peut-être recevait-elle nuitamment une nourriture grossière des dures mains de son maître. Si choquante que fût cette idée, croire à un trépas délibérément hâté était plus affreux encore. Cette maladie subite, l’absence d’Éléonore et, sans doute, des autres enfants, tout favorisait l’hypothèse d’un emprisonnement. Le motif? – la jalousie peut-être, ou une gratuite cruauté: cela était à élucider.

Tandis qu’elle ressassait en son esprit ces choses et se déshabillait, elle songea soudain qu’il était bien possible qu’elle eût, le matin même, passé près du lieu où cette femme infortunée était retenue prisonnière, passé à quelques pas de la cellule où la captive languissait ses jours. Quelle partie de l’abbaye était plus idoine à ces fins que celle où subsistaient les vestiges monastiques? Dans le corridor dallé et haut voûté où elle avait éprouvé comme une douleur, il était des portes, elle s’en souvenait, dont le général ne lui avait point donné l’explication. Sur quoi ces portes étaient-elles closes? La galerie interdite où étaient les appartements de l’infortunée Mme Tilney devait être, si Catherine s’orientait bien, exactement au-dessus de cette rangée de cellules suspectes, et l’escalier qu’elle avait entrevu et qui devait communiquer secrètement avec ces cellules avait pu faciliter l’œuvre barbare du général. Peut-être par cet escalier avait-on descendu la victime savamment insensibilisée.

Catherine s’effrayait, par moments, de l’audace de ses conjectures, craignait ou espérait avoir été trop loin. Mais ne s’appuyaient-elles pas sur des indices qui les authentiquaient?

Le côté de la cour où elle supposait qu’avait dû se passer la scène du crime étant en face de celui qu’elle habitait, elle pensa qu’en faisant le guet elle pourrait apercevoir la lueur de la lampe du général à travers les fenêtres intérieures, alors qu’il se dirigerait vers la geôle de sa femme. Par deux fois, avant de se mettre au lit, elle se glissa furtive hors de sa chambre vers une fenêtre de la galerie. Mais autour d’elle tout était obscur. Il était trop tôt encore. Divers bruits qui montaient la convainquirent que les domestiques étaient encore debout. Elle supposa que jusqu’à minuit il était inutile de rester en alerte. Mais à ce moment-là, quand l’horloge aurait sonné douze et que tout serait silencieux, si elle n’était pas déconcertée par l’obscurité de la nuit, elle sortirait à pas de loup et regarderait encore. L’horloge sonna minuit. Catherine dormait depuis une demi-heure.

XXIV

Aucune occasion de visiter les appartements mystérieux ne s’offrit le lendemain. C’était un dimanche. Tout le temps qui s’écoula entre l’office du matin et celui de l’après-midi fut consacré, selon la volonté du général, à prendre de l’exercice au dehors et à manger des viandes froides à la maison. Or, Catherine, dont le courage n’égalait pas la curiosité, ne se souciait d’une exploration à la lumière périssante du soleil de sept heures ou à la clarté, plus forte, mais circonscrite d’une perfide lampe. Et rien, ce jour-là, ne frappa son imagination, sauf, à l’église, un monument érigé à la mémoire de Mme Tilney, en face du banc de la famille. Son regard s’y arrêta longtemps. La lecture de l’emphatique épitaphe, où toutes les vertus étaient attribuées à la morte par cet inconsolable mari qui pourtant avait dû être son bourreau, affecta Catherine aux larmes.

Que le général, capable d’avoir élevé ce tombeau, fût en état de l’affronter un instant, n’était peut-être pas bien étrange. Mais qu’il pût s’asseoir, avec un si audacieux calme, à proximité de ce tombeau, conserver cette noble sérénité, regarder sans crainte l’assistance, – non, même qu’il entrât dans l’église… n’était-ce pas stupéfiant? Mais que d’individus endurcis au crime ne pouvait-on citer: elle en savait par douzaines qui s’étaient complus dans les vices les plus divers, ajoutant sans remords le crime au crime, jusqu’à ce qu’un trépas sanglant ou le cloître interrompît leur destin. Même la réalité du monument ne persuadait pas Catherine de la mort de Mme Tilney. Descendît-elle dans le caveau où les cendres, croyait-on, reposaient, contemplât-elle le cercueil où elles étaient prétendûment closes, cela prouverait-il rien? Elle avait assez lu pour savoir qu’une figure de cire est docile à jouer un rôle et qu’une inhumation est souvent illusoire.

Le jour suivant serait plus fertile. La promenade matinale de M. Tilney, si inopportune en soi, allait donner plus de liberté aux jeunes filles. Catherine, dès qu’elle le sut parti, rappela à Mlle Tilney leur projet de l’avant-veille. Éléonore était prête. La première visite fut pour le portrait de Mme Tilney, dans la chambre d’Éléonore. C’était, – réalisant les prévisions de Catherine, – l’effigie d’une jolie femme au visage doux et pensif. Mais elle aurait cru que ce portrait restituât les traits, le teint, l’air même, sinon de Henry, d’Éléonore. Une ressemblance absolue entre la mère et l’enfant n’était-elle pas de rigueur dans les histoires tragiques? Un masque une fois moulé était moulé pour des générations. Et voilà qu’ici elle était obligée d’étudier laborieusement l’image pour discerner une analogie indécise! Malgré ce mécompte, elle ressentait une émotion profonde, et c’est à regret qu’elle eût quitté la place, si son âme n’eût été dominée par un intérêt plus puissant.

Quittant la chambre, les jeunes filles s’engagèrent dans la grande galerie. Catherine, trop agitée pour parler, regardait sa compagne. Éléonore était mélancolique et pourtant calme: évidemment aguerrie aux tristes choses vers lesquelles elles allaient. Derechef, la porte à double battant fut franchie, et Éléonore s’apprêtait à ouvrir la chambre mortuaire, tandis que Catherine se retournait pour fermer, par précaution, la première porte, quand, à l’autre extrémité du couloir, surgit le général lui-même.